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Gaspard Eloundou : « Les sœurs Eloundou peuvent faire mieux que les sœurs Williams »

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Le père et manager sportif des jumelles indique par ailleurs qu’il n’a jamais été question pour « les filles » de changer de nationalité.

Que ressentez-vous en tant que géniteur et manager sportif de deux célébrités du tennis ?

Célébrité c’est trop dire. Je ne voudrais pas mettre la charrue avant les bœufs. Nous avons un projet, qui est celui de pratiquer le tennis de haut niveau à l’horizon 2020. Ce projet heureusement est devenu aujourd’hui un projet national de par l’implication du président de la République Paul Biya et de son épouse Chantal Biya, qui a par ailleurs accepté de devenir la marraine de Linda et Manuella.

Au vu de tous ces soutiens, nous sommes optimistes et pensons que les filles vont pouvoir réaliser ce rêve dans les prochaines années. Pour le moment, elles n’ont pas encore de renommée mais nous travaillons encore d’arrache- pied pour atteindre un jour l’objectif assigné.

Pourquoi avoir choisi d’être vous-même le manager sportif de vos filles alors que vous auriez pu les confier à quelqu’un d’autre ?

C’est un choix purement professionnel. Si vous regardez un peu l’histoire de ceux qui sont arrivés au sommet du tennis vous allez constater que les parents ont très souvent suivi eux-mêmes la carrière sportive de leur progéniture. Je veux parler des sœurs Williams avec leur papa, Richard Williams, qui, au départ n’était pas entraineur de tennis mais a été obligé de suivre des formations pour mieux encadrer ses filles. Je prends aussi l’exemple de l’Espagnol et ancien numéro 1mondial Raphaël Nadal avec son oncle Tony, etc.

Le tennis demande qu’on soit encadré de façon particulière. Ce n’est pas un effet de masse. L’athlète a besoin du soutien familial pour surmonter certaines épreuves, parfois extra-sportives afin d’atteindre le haut niveau. Le tennis est un sport individuel mais la réussite dans cette discipline demande que le parent ou le tuteur soit toujours présent pour l’encadrement psychologique et disciplinaire du joueur.

Qu’est-ce qui a motivé le choix de Manuella et Linda pour le tennis alors qu’elles auraient pu pratiquer d’autres disciplines ? C’est par un fait du hasard que les filles se sont retrouvées en train de jouer au tennis. Manuella et Linda ont débuté leur carrière en 2010, alors qu’elles avaient 8 ans au tennis club de Yaoundé, dans le cadre des activités de vacances comme le font tous les jeunes de leur âge durant cette période.

Par surprise à la fin du stage, c’est-à-dire en début d’année scolaire, leurs encadreurs techniques m’ont fait savoir qu’elles avaient beaucoup de potentialités et qu’il faudrait qu’elles soient mises dans les meilleures conditions d’encadrement. C’est la principale raison pour laquelle je les ai orientées vers le tennis et qu’elles ont débuté leur formation la même année au centre des Jeunes As du club France de Yaoundé.

Plus tard, elles vont poursuivre leur aguerrissement au sein de la Fédération camerounaise de tennis(Fecatennis) où elles vont passer près de deux ans. Elles seront ensuite placées sous les ordres de Léopold Atana, un entraineur de tennis suisse qui va particulièrement les prendre en charge.

Pour quelles raisons avez-vous choisi d’amener vos filles à l’académie sport/études de Lomé au Togo, loin de leur pays d’origine ? C’est un choix purement professionnel. L’idée d’amener Manuella et Linda au Togo m’est précisément venue en août 2013. Après plusieurs recherches sur internet, j’ai découvert l’existence de l’académie sport/études de Lomé au Togo.

Je me suis rendu compte que c’est l’un des meilleurs centres de formation de tennis en Afrique subsaharienne. C’est à base de toutes ces informations que je vais entreprendre de rencontrer Romain Tagba l’actuel président de la Fédération togolaise de tennis, directeur dudit centre et grand homme d’affaires (Directeur général du Togo télécom ndlr). C’est grâce à lui que les jeunes joueuses vont bénéficier d’une bourse d’un an au sport/études de Lomé et intégrer l’académie en septembre 2013. Pour avoir passé un an dans cette académie, je puis vous confirmer que nous n’avons pas été déçus. L’encadrement technique était vraiment à la hauteur de nos attentes, les filles sont revenues de ce stage en étant sportivement plus aguerries.

Au terme d’un an de formation au Togo, Manuella et Linda sont déjà de retour au Cameroun. Comment était leur séjour dans ce pays ? On est toujours mieux chez soi. En dehors du fait que leur bourse soit arrivée à terme, ce come-back est principalement dû à deux raisons. La première c’est qu’il y avait de petites rivalités entre elles et les athlètes locales. L’autre motif est la recherche des sponsors pour leur prise en charge.

En dépit de leur progression sur le plan athlétique, j’ai réalisé qu’il valait mieux pour elles qu’elles reviennent au Cameroun. Comme vous pouvez l’imaginer, dans un pays étranger la priorité est d’abord accordée aux joueurs du terroir. Lorsqu’on constate que vous vous démarquez, certaines personnes ne pensent qu’à tuer votre génie. L’ambiance était devenue délétère. Les filles étaient de plus en plus victimes de scènes de jalousie de gauche à droite. Certes elles ont bénéficié d’une formation de qualité mais à un moment donné, il a fallu les protéger contre toute cette adversité.

L’année dernière, alors qu’elles étaient déjà revenues au Cameroun, les sœurs Elondou n’ont pas pu participer aux championnats des jeunes d’Afrique de l’ouest et centrale de l’International tennis federation (Itf), au Nigeria. La raison évoquée était celle de « l’insolvabibilité » de la Fecatennis. Comment avez-vous vécu ce passage à vide ? Ce n’était pas facile car au tennis pour être parmi les meilleurs, il faut participer à plusieurs tournois.

Quand un jeune joueur manque à une compétition, il rate sans doute l’occasion d’engranger des points et décroche au niveau du classement. C’est un manque à gagner énorme surtout pour des joueuses en herbe. C’est la raison pour laquelle Romain Tagba le président de la Fédération togolaise de tennis a voulu présenter les filles au compte de son centre et qu’il a saisi par écrit l’International tennis federation (l’Itf). Malheureusement, l’Itf lui fait savoir que les athlètes ne pouvaient représenter que les nations et non leur centre de formation. Contrairement à ce qui a été dit dans certains journaux, il n’a jamais été question pour Linda et Manuella de changer de nationalité durant cet épisode.

Compte tenu de tous ces manquements que vous relevez dans l’organisation du tennis au Cameroun, pensez-vous que les filles soient toujours en mesure de remporter les compétitions majeures telles les grands chelems comme les sœurs Williams?

Oui cela est toujours possible mais à condition qu’elles sortent et qu’elles aillent à l’étranger se frotter aux meilleurs dans cette discipline. Il faudrait également une plus grande implication des structures publiques de notre pays en charge du sport en général, du tennis en particulier. C’est la raison pour laquelle je tiens particulièrement à remercier le chef de l’Etat, son excellence Paul Biya qui a toujours répondu favorablement à chacune de nos sollicitudes.

Je crois que cette implication personnelle du président de la République et de son épouse est un élément de motivation, de détermination pour que les filles travaillent davantage pour atteindre un jour le sommet du tennis mondial. Cependant, je ne voudrais pas mesurer le rêve de mes filles à la carrière certes exceptionnelle des sœurs Williams. Chaque athlète naît avec son étoile et il n’est pas dit qu’elles ne pourront pas faire pareil et même mieux que les sœurs Williams. Il faut juste bien les encadrer.

En tant que parent et compte tenu des multiples voyages que vous effectuez chaque année, comment faîtes-vous pour garantir le suivi des études et de la carrière professionnelle de vos filles ? Nous travaillons beaucoup sur internet en particulier sur « You-tube » où nous pouvons réécouter certains cours. Je reste aussi en contact avec leurs enseignants. Au tennis comme à l’école, l’on doit faire preuve de discipline.

En tant que parent, je me dois d’être rigoureux envers elles dans les deux domaines. Je leur explique que même les grandes stars du tennis, à l’instar de sœurs Williams, ont fait de longues études avant de devenir ces vedettes mondialement reconnues qu’elles sont aujourd’hui. Pour ce qui est de leurs études, les filles ne m’ont jamais déçu. Elles sont très intelligentes. Malgré leur passage à Lomé au Togo, elles ont pu se réintégrer dans le système scolaire camerounais. Manuella et Linda ont toujours fait partie des meilleures élèves de leur classe. Elles viennent d’ailleurs de réussir à leur examen de Brevet d’études primaires et élémentaires (Bepc). Ceci grâce à la discipline et au travail.

Vous êtes le promoteur de l’Association camerounaise des parents des joueurs de tennis (Ascapajote), pouvez-vous présenter cette association ? L’Association camerounaise des parents des joueurs de tennis (Ascapajote) a été créée en 2012. C’est une organisation qui vise à sensibiliser les jeunes joueurs à travailler d’arrache-pied pour assurer leur carrière, sans toutefois abandonner les études.

Nous faisons essentiellement du lobbying. Nous avons cette année Nguy Caroline, (championne de tennis de table aux jeux universitaires depuis 3 ans), qui a bénéficié d’une bourse pour les Etats-Unis grâce à l’Ascapajote. Notre objectif étant qu’à l’horizon 2020 nous soyons capables de trouver des bourses étrangères annuelles à cent jeunes camerounais. Non seulement nous gagnons en termes d’argent, mais aussi ce sont nos enfants qui seront bien formés du point de vue sportif et intellectuel.

Au final, c’est le Cameroun qui gagne. Comme innovation, dorénavant les bourses de l’Ascapajote ne seront plus exclusivement attribuées aux seuls joueurs de tennis. L’Ascapajote entend désormais œuvrer pour que les bourses sport/études profitent aux athlètes d’autres disciplines sportives des quatre coins du Cameroun. Pour ce faire, nous aurons un représentant qui sera chargé de la sensibilisation et de l’encadrement des jeunes dans divers autres sports.

Quels sont les rapports entre l’Ascapajote et la Fecatennis ? Nous entretenons de bonnes relations. C’est de commun accord que nous travaillons au quotidien pour un même objectif, celui de contribuer au développement du tennis dans notre pays. Contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, il n’y a pas de rivalités entre l’Ascapajote et la Fecatennis.

Le président Jean Marie Abouna est un aîné qui investit beaucoup de moyens financiers pour la promotion du tennis au Cameroun. Je comprends qu’aujourd’hui il soit en baisse de régime au vu de tout cet argent qu’il a déjà dépensé. J’invite les autres autorités sportives camerounaises à mettre plus de moyens pour la valorisation du tennis dans notre pays et qu’on ne se limite pas à de simples slogans.

Auteur: Propos recueillis par Daniel Ndjodo Bessala