Grand Dialogue national : Trois ans après la grande foire à larrons. Qui s’en souvient ?

Grand Dialogue National

Sat, 1 Oct 2022 Source: Saint-Eloi Bidoung

Il y avait des comédiens qui ont bien joué leurs rôles et touché leurs cachets. Il y avait des prestidigitateurs qui sortaient des colombes (de la paix ?) de leurs manches. Il y avait aussi des animateurs de foires, qui jouèrent les clowns au palais des congrès. C’était un beau cirque au palais des congrès de Yaoundé, du 30 septembre au 04 octobre 2019.

C’était au quartier Melen à Yaoundé, il y a trois ans. Le Grand dialogue national n’était pas encore loin après la clôture de travaux le 04 octobre au palais des congrès. On en faisait encore des tonnes et des tonnes ennuyantes dans les journaux parlés et télévisés du « Tam-tam de Paul Biya. » Les réseaux sociaux résonnaient comme des cymbales et l’homme de la rue s’attardait sur le trottoir pour parler des travaux et des résolutions du Grand Dialogue national. Dans ce décor, une dizaine de jeunes tenaient leur « dialogue national », un matin, à la réception d’un hôtel du coin. Ces jeunes gens dialoguaient avec les responsables de cet hôtel qui leur demandaient de payer leurs arriérés de nuitées, faute de quoi ils allaient être déménagés de l’hôtel et logés dans les cellules de la Brigade de gendarmerie la plus proche.

La grande pièce de comédie dans toutes ses scènes

Les jeunes gens étaient désemparés, ne comprenant pas ce qui leur arrivait. Quelques jours auparavant, chômeurs, vendeurs à la sauvette et étudiants dans la galère, venus de nulle part et surtout pas de Muyuka ou de Ngarbuh, ils avaient été sélectionnés, après un casting rigoureux, pour jouer le rôle « de jeunes ambazoniens repentis » pendant le Grand dialogue national. Le comité d’organisation les avait revêtus de tee-shirts frappés de slogan pour le spectacle. Leur prestation avait arraché des applaudissements assourdissants dans la grande salle du palais des congrès, le jour de l’ouverture du Grand Dialogue National. La télévision d’Etat avait salué leurs talents de comédiens pendant des heures et des jours. Les soirs, avec leurs « cachets » de comédiens, ces troubadours du GDN allaient dans des boîtes de nuits de la capitale où des témoins les reconnurent par leurs tee-shirts de « de jeunes ambazoniens repentis » qu’ils arboraient toujours et partout. Sans doute sur instructions fermes des organisateurs du festival du GDN. Dans les boîtes de nuit et les bars à putes, les « repentis » firent bombance et ambiance jusqu’aux petits matins. Avec l’argent du Grand Dialogue national.

Puis vinrent la désillusion et la confusion. Ceux qui les avaient logés dans cet hôtel les avaient oubliés après le « spectacle » au palais des congrès. La triste vie des talents camerounais au Cameroun ! Aucun « organisateur » du spectacle de comédie de l’ouverture du Grand Dialogue national, si applaudi par les spectateurs dans la salle et si vanté par les médias d’Etat, ne répondait au téléphone. Il fallait pourtant payer la note de l’hôtel. Heureusement, un arrangement occulte, proposé par un « organisateur » du spectacle caché quelque part, libéra finalement la troupe théâtrale « des jeunes ambazoniens repentis ». Ces derniers fâchés, mécontents d’avoir été dévoyés et trompés, fondirent dans la nature. Sans doute avec de mauvaises idées en tête contre ceux qui les ont manipulés pour manipuler l’opinion publique. Tel fût le Grand Dialogue national.

Du sang neuf tous les jours au NOSO

A peine les lampions éteints dans la grande salle de spectacles du palais des congrès de Yaoundé que l’effroi et l’émoi faisaient la nique aux beaux discours débités par des participants aux poches pleines de perdiems de participation aux travaux du Grand Dialogue National. Des dizaines d’écoliers tombaient sous les balles et les coups de machettes d’enseignants d’un autre type sortis des bush incontrôlables et visiblement inviolables des alentours des villages. Une fois, c’était à Kumba. C’était le 20 octobre 2020. Un peu plus de deux semaines après le théâtre du palais des congrès. Et il y en eu d’autres. Tout aussi effroyables et sanglants. Autant dire que la fréquence connue est celle d’un massacre de civil tous les deux jours, d’une attaque contre des colonnes rebelles (il y en a diverses) tous les trois jours ; d’un affrontement entre Amba boys et Forces de défense et de sécurité trois par semaine.

Le débit du robinet de sang a augmenté et il y a en a qui s’y abreuvent, profitant du sang qui coule dans les villages et les bosquets du Nord-ouest et du Sud-ouest pour se faire du sang neuf. L’argent du contribuable, qui devait servir à la recherche de la paix et de la sécurité, contribue plutôt à entretenir la guerre et l’insécurité. Tant que cette guerre dure, il y en aura qui seront en paix. Les coulisses et les anecdotes rassemblées pendant la tenue du Grand Dialogue national prouvent que cette guerre en zone anglophone profite à des guerriers camouflés dans les broussailles de la République. Avec autant de mercenaires sur le terrain pour détourner le conflit, « Il n’existe aucune possibilité de gagner cette guerre par les moyens militaires. Il ne sert donc à rien de sacrifier le sang de jeunes militaires, des jeunes Amba Boys et de la population dans une guerre qui ne peut jamais être gagnée », comme le dit sentencieux l’économiste Dieudonné Essomba.

GDN : une foire et ses larrons

Trois ans plus tard, à quoi aura servi ce ramdam plus cosmétique et médiatique que -politique au palais des congrès de Yaoundé ? L’interdiction de l’utilisation du mot « NOSO » par Paul Atanga Nji n’aura été qu’un tour de prestidigitation dans une foire. L’arrestation d’Ayuk Tambe a laissé émerger Fieldmarshal, plus sanguinaire encore. L’élimination de celui-ci a donné la place à No Pity, plus sanguinaire que tous. La neutralisation de ce dernier (vraie ou fausse) a laissé la place à des chefs plus rusés, plus méchants et plus vicieux. Le « Statut spécial », si vanté dans les conclusions du Grand Dialogue National, est tombé sous les balles dans une embuscade. Le machin du désarmement et de la réinsertion fait lui-même partie des milliers de déplacés internes qui se cherchent un présent et un avenir. Au front, des jeunes gens pleins de forces baignent dans le sang tous les jours. Les écoliers font l’école buissonnière pour sauver leurs petites vies. Le Grand dialogue national n’aura servi à rien. Tout juste de l’animation dans le pays.

Des sommes colossales englouties dans les poches de ceux qui étaient chargés d’organiser la foire n’ont fait que faire monter le niveau de sang dans le bassin. C’est quand la prochaine foire, messieurs les clowns de la République ?

Auteur: Saint-Eloi Bidoung