Il fut un temps où l’instituteur était un véritable notable partout où il se trouvait au Cameroun. C’était un homme écouté, respecté, craint. Il représentait la Nation à son lieu d’affectation et était l’interlocuteur privilégié des chefs traditionnels et des autorités administratives. Du point de vue de la formation, l’Etat avait créé des institutions appropriées (Ipar, Eria, Eni, Enieg, Eniet). Le concours de recrutement des futurs instituteurs était sérieux et sélectif. Les candidats admis recevaient une bourse indiciaire et la plupart était logés dans les dortoirs de leurs écoles.
A la sortie d’école, ils étaient intégrés dans la fonction publique, affectés partout au Cameroun et recevaient des frais de transport pour rejoindre leurs postes de travail. En attendant l’intégralité de leurs soldes, ils continuaient de percevoir leur bourse indiciaire sous forme d’avance de solde.
De la notabilité…
La carrière d’instituteur était pour ainsi dire enviable et enviée. D’autant plus que de ce poste, on pouvait aspirer, par voie de concours interne, à d’autres écoles et d’autres administrations au sein de l’appareil étatique. Beaucoup de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ont commencé par être instituteurs. Lorsque la crise économique a frappé le Cameroun, il a fallu prendre des mesures d’ajustement et réduire le train de vie de l’Etat. La catégorie d’agent qu’on a d’abord sacrifiée c’est celle des instituteurs. Pour commencer, leur formation a été suspendue, les Eni-Enia-Enieg-Eniet fermées. Et la vague de ceux qui étaient sur le terrain a vieilli. Les doyens sont allés à la retraite libérant des centaines de milliers de postes de travail. Pendant ce temps, la création des écoles a continué, et les besoins en enseignants se sont multipliés. Quand vient maintenant la nécessité de rouvrir les écoles normales d’instituteurs, l’Etat procède à la libéralisation. Chaque département ou presque a désormais son Enieg en attendant son Eniet. Les promoteurs privés reçoivent des autorisations de créer et d’ouvrir des Enieg et Eniet, même en cours du soir. Les conditions d’âge pour entrer dans ces institutions sont assouplies. Seulement, la bourse a cédé la place à la pension. La formation est devenue du mercantilisme, de la corruption, du harcèlement des élèves-maîtres(ses). La rédaction et la soutenance de mémoire étaient ainsi des prétextes pour gruger les élèves et leurs parents. Heureusement que le Minesec vient de suspendre cet autre aspect de la formation des instituteurs. On attend qu’il mette de l’ordre dans la supervision et l’organisation des stages pratiques dans les écoles d’applications, désormais coupées de la tutelle des Enieg.
A la clochardisation…
Voyons maintenant ce que deviennent les instituteurs "new look" formés dans les Ecoles Normales publiques et privées. Le gros du contingent est jeté en pâture aux fondateurs d’écoles privées pour des salaires tournant autour de 20.000 francs/mois, payables au maximum neuf mois l’an. Les plus anciens ont été recrutés comme contractuels, payés forfaitairement par une subvention issue des bénéfices de l’initiative PPTE. Certains d’entre eux ont été contractualisés grâce à la magnanimité présidentielle qui a ordonné un recrutement de 25.000 diplômés dans la fonction publique camerounaise. Quelques rares chanceux ont réussi au concours d’intégration et jouissent désormais du statut de fonctionnaire des corps de l’éducation nationale. Comme on le voit, au stade actuel du fonctionnement de notre système éducatif qui entre temps a éclaté en plusieurs ministères, la carrière d’instituteur souffre d’un manque criard de visibilité et de lisibilité. Les contingents des centaines de lauréats pour qui ont organisé à leurs frais des cérémonies solennelles de remises de parchemin, sont incertains quant à leur avenir. Quelles sont donc les priorités du gouvernement si la pupille de la Nation ne peut pas bénéficier d’un encadrement de qualité ? Pourquoi toutes ces écoles sans enseignants ? Pourquoi tous ces instituteurs qualifiés au chômage faute de recrutement ? Dans ce contexte, les APEE (Association des Parents d’Elèves et Enseignants) sont vite submergées car elles ne peuvent pas faire face à toutes les charges liées au recrutement des vacataires. En haut lieu on nous dira que l’Etat manque de moyens financiers. Pourtant pendant ce temps on octroie 400 millions à une fille pour battre campagne. On affrète un avion à une braqueuse des caisses de l’Etat pour aller elle aussi en campagne. On organise des commémorations, on invite le Pape au Cameroun, à coup de milliards, des gens détournent des milliards pour aller mettre dans les banques européennes. Malheureusement après leur mort les banques européennes gèlent ces sommes (elles les volent purement et simplement). Pendant ce temps des milliers d’instituteurs formés sont en chômage.
Plan d’urgence
Il y a donc nécessité d’un plan d’urgence en vue de rendre au métier d’instituteur toutes ses lettres de noblesse au Cameroun et ce plan d’urgence passe par le recrutement et l’intégration systématique de tous les instituteurs formés jusqu’ici, afin de résorber le lourd déficit en enseignant qu’accusent paradoxalement les écoles maternelles et primaires du Cameroun. La mise en pratique des principes de bonne gouvernance, dans la gestion de la carrière de tous les enseignants camerounais, l’application du statut particulier des enseignants rentreraient dans le train des mesures à prendre par le gouvernement camerounais pour sortir l’éducation de sa léthargie, voire de son agonie actuelle.
D’aucuns nous demanderont si ce que nous proposons est faisable. C’est non seulement faisable et réalisable, mais surtout opportun, urgent, nécessaire et impératif. Les grandes réalisations sous le couvert desquelles le Président de la République a conquis son 7e mandat ne peuvent pas être effectives sans un projet structurant centré sur l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants. Le feu sacré est au bout de nos modestes propositions.