Guerre Contre Boko Haram: Le ras-le-bol des soldats camerounais

Opinion Icon1 Feature

Thu, 2 Jul 2015 Source: Didier Ndengue

Ils sont sous-équipés, maltraités par la hiérarchie militaire et oubliés depuis plusieurs mois dans le village «Sweram».

Les officiers du contingent de la Marine nationale déballent et menacent de déserter les postes de combat contre Boko Haram. Les soldats de la Marine nationale au front contre Boko Haram veulent vider leur sac.

A l’entame de leur neuvième mois de guerre, ils ont hâte de dire aux populations camerounaises comment le phénomène Boko Haram a pris de l’ampleur dans la partie septentrionale du Cameroun.

Ils s’expriment notamment sur la «disparition soudaine de la caisse spéciale créée par le président de la République, pour une gestion transparente de l’effort de guerre des camerounais, l’inexistence du repas de guerre, le manque d’équipements adaptés au front, les vraies origines de l’assassinat de leurs camarades d’armes, et les vrais visages des complices de Boko Haram, entre autres».

En effet, leur courroux part du fait qu’ils ont été «volontairement» oubliés dans le petit Sweram, non loin de Fotokol, depuis presque neuf mois déjà. En ce mois de juillet, ils doivent encore continuer à surmonter tous les obstacles que leur imposent, non seulement les terroristes, mais aussi leurs chefs de détachement. Le quotidien de ces marins est jonché d’embûches régulièrement ignorées dans les rapports envoyés au chef des armées.

«Nous sommes fatigués, épuisés. Nous dormons en plein air, avec des moustiques, la pluie, le vent; nous sommes exposés aux scorpions, serpents, etc. Plusieurs soldats sont malades. Et on ne nous permet pas d’avoir la permission pour aller nous faire soigner dans les grandes métropoles», s’indigne un soldat. Qui annonce des désertions dans les rangs, à cause du mauvais traitement au front. D’autres soldats seraient aussi sur le point d’emboiter le pas à leurs compagnons pour des mêmes raisons.

Des éclats de voix sont annoncés, comme par le passé, entre les chefs et les soldats camerounais au front.

Dans le village Sweram précisément, où «BH», abréviation de Boko Haram ici, a été chassé par les soldats de la marine en 2014, la fronde enfle dans les troupes. Qui se rendent compte qu’on les traite comme «du bétail», selon leur expression, depuis le début.

Notamment à Mindif, un village de Maroua, pendant leur recyclage. Ici, ils étaient censés être formés sur l’usage des armes lourdes. Mais ils en sont repartis bredouilles.

«On n’a rien appris là-bas. En principe, on devait nous apprendre à utiliser les armes lourdes. Mais ça n’a pas été le cas. On n’a même pas vu une arme lourde là-bas. Même pas une seule. C’était juste une mangeoire que nos chefs ont créée», critique ouvertement un soldat en poste. Après quoi, le contingent de trois cents éléments a directement pris la route de Makary, dans la zone de guerre proprement dite, pour la phase finale, ajoute ce soldat mécontent.

Le bouclage

Le contingent de la Marine nationale, contrairement à tous les autres corps d’armée au front, n’a perdu aucun soldat. Malgré le fait que leur mode opératoire ne soit pas très sécurisé. Quand ils sont arrivés à Makary, les marins ont lancé leur première opération baptisée «le bouclage». «Nous avons commencé à nous renseigner pour repérer l’ennemi, qui était au sein de la population. Après, il y a eu la fouille selon les renseignements. Nous avons pénétré tous les domiciles. Nous avons trouvé des armes à feu, du type kalachnikov, entre autres. Après, nous avons pris les zones occupées par Boko Haram, dans les petits villages de Makary», rapporte un autre soldat de la Marine nationale à Sweram.

Après avoir capturé les membres de Boko Haram et récupéré les armes qu’ils possédaient, les soldats les ont mis à la disposition de leurs supérieurs militaires pour exploitation. «Il fallait encercler les villages habités par BH, c’était des zones vraiment interdites par les autorités camerounaises. Pendant nos offensives, on a failli perdre quelques camarades qui n’ont pas été atteints heureusement. On voulait progresser, pour aller plus loin. Ils nous ont balancé une roquette, à Sagmé, dans la zone de Makary. Ils venaient souvent dans ces petits villages pour prendre des filles et en faire leurs épouses. Des mariages forcés. Ils venaient se ravitailler en aliments dans les petits villages environnants».

Selon des sources concordantes, les membres de la secte nigériane s’approvisionnent toujours dans les petits marchés autour des villages de Fotokol, mais de façon discrète. Ces marchés sont pourtant contrôlés par l’armée camerounaise. Jadis, ils se faisaient repérer par leur style vestimentaire.

Les adeptes du groupe terroriste portaient «des barques avec des insignes, du genre épées croisées, pantalons sautés, soit coupés, soit pliés de l’intérieur. Leur manière de se comporter était aussi très bizarre». Aujourd’hui, les membres de la secte ont changé de look. Mais l’armée camerounaise reste vigilante aux moindres faits et gestes.

Trahison des chefs

Les soldats de Sweram ont eu l’identité réelle des ennemis au Cameroun. Lors d’un briefing, ils avouent avoir été informés que le mouvement terroriste était lourdement soutenu. Les pistes de la France, des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite ont été invoquées. En d’autres termes, leurs chefs les ont constamment révélé qu’ils ont trois types d’ennemis au front.

«Notre premier ennemi, c’est la France et ses alliés. C’est que nos chefs nous ont dit. Le deuxième, c’est Boko Haram et le troisième, ce sont nos ennemis endogènes», détaille, pour sa part, une source militaire approchée par Intégration. Pour ce soldat, ceux qui collaborent avec Boko Haram de façon invisible auraient des intérêts politiques et économiques à défendre. Selon les marins au front, c’est sur le terrain de guerre qu’ils ont constaté que la maffia s’était déjà emparée du champ de bataille. Et les acteurs seraient connus de tous au front.

«C’est à cause du business que nos camarades ont été tués. Ils se sont fait livrer par les chefs. La marine est allée avec des hommes neufs sur le terrain, qui n’avaient pas encore tissé des relations maffieuses avec l’ennemi comme les chefs des autres camarades qui sont tombés», croit savoir un autre soldat. A en croire ce dernier en poste à Sweram, l’ennemi était très bien renseigné sur tous les plans tactiques des soldats camerounais.

Auteur: Didier Ndengue