Guerre du Noso: le prof Bokagné casse les propositions du Dr Essomba en mille morceaux

Prof Bokagné et le Dr Essomba

Tue, 19 Jul 2022 Source: Prof Edouard Bokagné

Le Dr Dieudonné Essomba a longtemps milité pour le fédéralisme comme solution de la crise anglophone. Mais la solution de l'économiste est loin de convaincre plusieurs intellectuels et penseurs camerounais. Le prof Edouard Bokagné est l'un d'eux. Dans une tribune il démonte les arguments du Dr Essomba. Ci-dessous cette tribune ici publiée en intégralité.

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"La seule guerre qui porte ce nom - Dieudonné Essomba ne va pas le croire - est la plus totale négation de tout ce qu'il postule sur la crise de notre NOSO. Elle eut lieu dans un pays fédéral. Alors que lui voit le fédéralisme comme issue pour l'éviter ou alors pour la tempérer., c'est au contraire le fédéralisme qui l'a précipitée.

Il prétend qu'à 20% du territoire, elle ne pourra pas être gagnée. Les confédérés en ont eu un peu plus de 40%. Ils l'ont perdue. La guerre a tué près du million en additionnant les pertes civiles. Elle a duré des années. L'économie du pays ne s'est pourtant pas effondrée. Donc, il se trompe en décrivant la manière dont elle est supposée nous saigner.

Quelles en furent les raisons ? Le fédéralisme américain avait créé deux différents modèles économiques : un au Nord, industriel et l'autre au Sud, rural et agraire. L'économie nordiste employait des ouvriers payés. La Sudiste vivait surtout sur l'esclave noir dont la question est devenue cruciale pour la controverse et pour le manque à gagner.

Les Sudistes voulaient les asservir. Les autres, les libérer. Ce n'était pas par altruisme, ou par méchanceté des deux côtés, mais deux façons de voir la productivité. Dans un cadre fédéral, on laisse à chacun ses libertés. Qu'advient-il si elles se font diamétralement opposées ? Leur justice - fédérale elle aussi - a laissé la liberté d'interpréter.

On comprendra comment les esclaves eux-mêmes le percevaient. Ils fuyaient du Sud vers le Nord pour leur liberté. Il devenait crucial pour le Sud de se protéger. C'est naturellement lui qui a pris l'initiative des hostilités. Et le Nord les a acceptées. Chaque camp s'est constitué son armée. Ç'a tourné à une série de batailles jusqu'à ce que, finalement, le Nord l'emporte. 95% de sécessions ne parviennent jamais à se réaliser. Elles sont toujours écrasées.

Le Cameroun entre-t-il en guerre parce qu'il n'est pas fédéral ? Du tout. Comme je l'avais dit ailleurs, le fédéralisme n'a jamais été un vrai problème. Au mieux, un pis-aller. En 1961, le Cameroun est déjà indépendant. Le 11 février, on propose à la partie sous-tutelle anglaise de s'auto-déterminer. C'est l'ONU et l'Angleterre qui formulent les clauses. Il lui fallut choisir : le Cameroun non fédéral ou le Nigeria fédéral.

En choisissant, ils se savaient minorité. Pas de mécanisme donc par lequel imposer. Arrivant à Foumban pour tout ratifier, ils venaient sans juriste, ni constitution. L'idée du fédéralisme, ce n'est pas eux. Ils n'ont - ni ne pouvaient - rien proposer. Les Francophones seuls ont décidé. Eux-mêmes, Francophones, ce fédéralisme, ils ignoraient ce que c'était. C'est donc, à vrai dire, un simple essai qu'ils ont tenté.

Ils possédaient un modèle différent vers quoi ils se sentaient obligés de revenir. Imaginez que leur Ouest révolté eût été un État - ou une région- fédéré(e). Le maquis qu'on tentait d'y contenir aurait plus difficilement être mâté. Il a bien fallu, en cette période, faire le procès du fédéralisme et chercher les voies de l'abroger. Ç'a été dûment négocié. Pour finir, en 1972, on - c'est-à-dire tous ceux régis par ce fédéralisme - ont voté. Le oui à l'unité l'a emporté.

Mais ensuite, il y a eu un sursaut nostalgique à l'égard du fédéralisme chez les Anglophones. Venu d'où ? De la conscience de leur statut de minorité. Dans un État centralisé comme le Cameroun, le partage de ressources obéit à un système de répartition d'État dit d'équilibre régional qui suppose de négocier ; c'est-à-dire laisser de côté tout ce qui peut fâcher. C'est ce qu'on avait fait en réalisant l'unité.

On s'était gardé de toucher deux éléments du fédéralisme : le sous-système juridique et le sous-système éducatif. L'État fonctionnait avec cette contradiction dans sa charpente. Entre 1983 et 1984, le régime, après avoir changé en 1982, trouva le moyen de se quereller dans une sorte de tremens qui modifia sa conception de lui-même et de son vivre-ensemble. Il y eut une profonde réorientation de la distribution.

Or la clé régissant cette distribution se situait dans l'éducation. Elle avait conservé l'hiatus du fédéralisme : un sous-système français qui serait fatalement obèse et un anglais, congru. Ou caser les Francophones, plus nombreux, ou ça allait péter. Et ceux-là ont d'ailleurs anticipé : intégrant, dans leurs nombres, le sous-système anglophone. Les natifs de ces régions eurent la sensation d'être dépossédés et c'est de là que leur vient le sentiment d'être marginalisés.

Il y a donc eu cet effet de masse qui leur a paru un effort de les assimiler. Pour beaucoup chez-eux, le retour au fédéralisme pourrait l'atténuer. Pour d'autres, rien n'y ferait. Valait mieux se séparer. Chaque camp de leur âme commune et partagée s'est organisé. La guerre - fût-elle de sécession - ne commence jamais avec le début des hostilités. Elle prend le temps de se fermenter. La guerre détruit les structures. Elle crée sa propre trame de la réalité.

Il y avait - c'est certain - nécessité de rassurer l'Anglophone d'une place au sein de l'ensemble national par des réformes structurantes et un packaging rééquilibrant la sensation d'injustice l'ayant habité. Mais il était aussi impérieux qu'il perçoive les dangers de la guerre ; afin de n'en être plus jamais tenté. C'est, pendant ces dures années, ce qui a été esquissé. Ç'a été terrible et cruel. Mais à bien regarder, la leçon commence à porter.

Les communautés commencent à réaliser le pire dans ce qu'elles ont et le mieux de ce qu'elles ont jadis été. Elles découvrent, effarées, le visage de ceux qui se prétendent leur libérateurs.

Dans l'abri des zones francophones, elles se rendent compte que nous avons toujours bien des choses à partager.

Et c'est en définitive ça que nous aurons négocié…

Ça vaut bien la leçon d'une guerre de sécession…"

Auteur: Prof Edouard Bokagné