Hommage à Joseph Ndi-Samba !

Vincent Sosthène Fouda, Président Du MCPSD Vincent-Sosthène Fouda, Président du MCPSD

Fri, 1 Jul 2016 Source: Vincent-Sosthène FOUDA

En général, quand on prend la parole dans de pareilles circonstances c’est pour encenser la mémoire de celui qui au bout de son parcours physique gît reposé, sans souffle ni voix dans sa bière. Je vais m’y atteler sans coup férir.

Joseph Ndi-Samba est né à Ayene le 30 mai 1941 c’était un vendredi, au lever du jour. Il est fils de Samba Mbang Moise et de Esther Nyangono. Du toit de la case familiale, trois puissants cris de joie stridents avaient retenti pour m'annoncer ce grand évènement. Ainsi les femmes qui passaient panier au dos pour le marché de Vimli le samedi et la messe du dimanche apportèrent la nouvelle jusqu’aux berges de Mfou. Il alla à l’école dans ce village Ayene jusqu’au CM2 et en 1964 entre travaux champêtres et initiation à la culture de ses ancêtres, il décrocha son baccalauréat en 1964 avant de s’envoler pour Londres où il obtient un Certificate in English studies for foreign Students en 1966. Il regagne le Cameroun et pendant qu’il prépare sa licence à l’université de Yaoundé, il dirige le Collège Madeleine, il est licencié ès lettre en 1969. Pour ce parcours brillant et fort élogieux, honneur et respect.

Joseph Ndi-Samba comprendra très vite, lui qui a su marcher des dizaines de kilomètres à pied pour chercher l’instruction, combien celle-ci est nécessaire pour le jeune Etat du Cameroun indépendant seulement depuis 6 ans, voilà pourquoi il va se rapprocher des sœurs du saint Cœur de Marie déjà installées à Mbalmayo mais aussi à Mvog Ada dans ces locaux éternels de l’Ecole Notre Dame des Victoires pour lancer les Cours du Soir Institut Samba afin de permettre aux hommes et aux femmes qui travaillent dans la journée de pouvoir s’instruire le soir – l’Université du Québec à Montréal est née ainsi sous l’impulsion des Jésuites pour donner une chance de développement au Canada français. Pour cette vision de l’éducation, honneur et respect.

Joseph-Ndi Samba laisse donc une œuvre éducative immense de deux collèges et d’une université.

Ce village Ayëné, que je traduirai par vision, Epiphanie si l’on prend dans la racine grec c’est-à-dire ce qui apparait a mérité Joseph Ndi Samba comme vous pouvez le voir – dans nos traditions bantou, l’on ne présente pas à un néophyte tout comme à un initié le karitié dans la forêt parce qu’il se montre lui-même. Ayëne s’est rassemblé pour donner naissance à l’arrondissement de NkolMetet qu’il a construit à la force de ses bras en allant puiser au plus profond des valeurs ekang qui sont l’avuman, l’anyang et le mgba. Pour l’ensemble de cet œuvre, honneur et respect.

Vous comprendrez donc que je ne puisse point parler de cet homme pluridimensionnel, le professeur de langue compétent, le fondateur, le maire, le bâtisseur, le citoyen honnête, l’homme d’affaire avisé, le père attristé par certains échecs de sa progéniture, oui entre ces diverses personnalités, je ne saurais qui choisir ni pourquoi d’ailleurs.

Je suis cependant persuadé, que Joseph Ndi-Samba, qui s’est endormi dans les bras de ses enfants à 9h 53, le vendredi 13 mai 2016 à Yaoundé, voulait partir sans bruit, comme il a vécu ces dernières années, entre ses réflexions, ses émissions radio, ses écrits testamentaires, ses petits-enfants, ses amis, ses frères et sœurs, ses parents. Oui car Joseph Ndi-Samba était cet adzap majestueux à la cours du père qui étend ses branches aux quatre coins du monde : l’avuman.

Joseph Ndi-Samba était d’une certaine école, d’une certaine race d’homme, cette race en voie de disparition dans notre pays, cette race qui a ce pays sous la peau. Cette race qui questionne l’élite, cette race qui pense à l’indispensable classe moyenne, cette race qui refuse l’indigence, qui refuse le maintien dans l’ignorance programmée du peuple des bas quartiers, de nos villages. Joseph Ndi-Samba avait une haute estime de la vérité et pensait qu’il fallait la dire pour sortir le pays des affres du sous-développement mais ils savaient aussi que les angoissantes vérités en plaisent pas et n’offrent malheureusement au patriote convaincu qu’un parcours du combattant stérile.

Joseph Ndi-Samba dans cet espace intemporel, indéfini, sans dimension et sans couleur, dans ce vide plein de mémoires, dans ce silence de la non existence qui sait de quoi est fait l'après ?

Joseph Ndi-Samba, fut un homme curieux, sceptique, qui questionnait en permanence cette nature qui nous entoure et dont nous sommes à la fois la somme et le produit...Et, qui connait l'essence et le contenu de cette nouvelle dimension dans laquelle tu es aujourd'hui plongé?

Joseph Ndi-Samba a su tendre la main pour organiser notamment l’enseignement privé dans notre pays, c’est lui qui y invita le Père Engelberg Mveng à ouvrir le Collège le Sillon – c’est lui qui m’a donné des conseils quand j’ai eu l’idée de construire chez moi à Yaoundé un établissement scolaire.

La raison et la science se penchent de plus en plus sur ce qui dans le passé n'était qu'un acte de foi et, le périple d'après la vie sur terre reste une grande interrogation de l'Homme de tous les temps et de toutes les cultures. Alors « keleu osu » pars en éclaireur, qu'on t'ouvre la porte, entre et, au gré de tes rencontres, touche l'éternité et:

- Dis à Machiavel que la fin ne justifie pas seulement les moyens, ici elle justifie tout.

- Dis à Marcel Nguini que l'esprit des Ekang suit le cours nlong et de so’o mais que la loi n'arrive pas toujours à orienter nos esprits dans des actes réfléchis. - Dis à Karl Marx que l'antagonisme de classes n'a pas produit de révolution puisque l'inexistence de conscience de l’idée de pays ici n'a pu engendrer que l'atomisation en clans, de tribus, de familles, la désintégration de l'État, la désarticulation de l'administration publique. Comme nos ancêtres, « L'égoïsme met tout au singulier, la charité veut le pluriel » telle a été ta ligne directrice.

- Dis à Nelson Mandela qu'un apartheid sournois et vicieux prend racine en nous comme une vermine et qu'aucune commission de vérité ne verra le jour ici parce que l'histoire en alternant allègrement sans égard ni sentiment le rôle du bourreau et de la victime atrophie cyniquement la vérité.

Mais surtout :

- Dis à Martin Paul Samba que si c’est vrai que nous avons gagné la guerre pour la liberté, nous avons perdu la bataille contre la misère, l’égalité et la fraternité. Dis-lui aussi que 102 ans après son exécution, le pays ekang est englué dans les problèmes fonciers au point où demain nous ne saurons plus où cultiver, vous honorer les ancêtres.

- Dis à Engelberg Mveng que la jeunesse actuelle ne s'identifie pas aux milliers de sacrifiés à l'hôtel de la Patrie. Dis-lui que nous avons du mal à créer l’émotion collective, que la 5ème colonne est plus que jamais présente parmi nous, qu'elle n'arrête pas de monter en première ligne au point de démanteler tout ce qu’il a construit.

- Dis à Um Nyobè qu’il avait raison quand dans une confidence du 18 août 1957 il avait prédit le risque que les gardiens du troupeau se convertissent en loup. En effet, le troupeau a été décimé par le berger.

- Dis à Charles Assalé que son rassemblement du monde paysan a échoué et que ce qui reste du monde paysan patauge dans une misère empreinte d'indifférence, de traîtrise et de lâcheté. Dis-lui aussi que les morts inutiles, précoces injustifiés de tous les jours se demandent pourquoi ?

- Dis à ton père André Fouda, que la famille se porte bien, que les enfants ont des enfants qui à leur tour ont des enfants. Mais dis-lui aussi que Yaoundé qui l’a vu naitre et où reposent ses restes n’a toujours est privé d’eau courante et d’électricité !

- Dis à ton voisin Alexandre Biyi Awala Mongo Beti que jusqu'à maintenant beaucoup d'hommes persistent à se croire supérieurs à d'autres hommes. Dis-lui aussi qu'on continue de violer les livres, de priver la jeunesse de connaissance, de tronquer le savoir.

- Dis à Jean-Marc Ela ton visiteur du soir qu'on continue à immoler les symboles du savoir et que la mise en déroute de l'intelligence se poursuit pendant que l'ignorance continue d'être une vertu. Parle-lui des difficultés que les enseignants rencontrent dans l’exercice de cette noble fonction qu’est la transmission du savoir.

- Dis à Sr Johanna de Nkol-mewout que le soleil a brûlé la rosée et que même si les fleurs persistent à éclore la promesse des fruits est une chimère.

- Dis à Jeanne-Irène Mone Ngono que des centaines de d’adolescentes patrouillent les rues et trottoirs de Mbalmayo, Ebolowa, Soa, Mini-ferme etc… et que dans des contorsions effrénées vendent à bas prix leur adolescence et leur innocence dans des bordels fumeux comme à Casablanca.

Et finalement, si tu croises André-Marie Mbida demande-lui de te remettre le Drapeau national, celui-là même qui recouvre ton cercueil ce matin afin que nous en fassions un patrimoine national.

Monsieur Joseph Ndi-Samba, A Ndi-Samba Nyangono, a man mvog Ndi, a man ngoan ya Mfou, bebela a nyo ! Otsit o bii Omgba Samba, mvog Omgba Samba besë be dzogo ayi loé, ngogué enga yi koui, benë tara a wu dze ?

Quand on se rencontrera à nouveau dans ce couloir de lumière, sache que je serai content de te revoir et comme on le faisait le samedi matin, on reparlera de livres, d'histoire, du pays ekang, de danses folkloriques, de socialisme, certainement de politique, et bien sûr du Cameroun que nous chérissons tous les deux!

Je voudrais terminer comme j’ai commencé, en levant les yeux vers le levant, pour te voir passer a couchant, vers l’embouchure de cette rivière millénaire, je n’ai aucun mérite de le faire, mais pour l’homme singulier que tu fus dans tes rapports à la vie et à la mort, toi l’énigme intellectuelle dans cette partie du Cameroun qu’est la région du Centre, tu es l’Adzap dans toute sa splendeur, tu es arraché de terre mais cet arrachement nous permet de mieux apprécier tes racines.

Je voudrais terminer comme tu l’aurais fait, par un conseil, sikulu be tara disais-tu

“O ne za a man Beti ?

Me ne man Engong

Nbalane y Ekang

Nlod Zen y’Esondo ai Bekon

Atobo nnam y’Emomilang

Ntebe nzang binying bisë

E bi bia yene E bi bi ne te yene

Ma ve, ma va’a Ntondobe a kulghi so

Nala o ne mbeng, o to fe nsôsô”


Ovon keng, mba yoat.

Auteur: Vincent-Sosthène FOUDA