Il y a 2 ans mourrait le cardinal Christian Tumi ; retour sur sa lettre envoyée à Biya avant sa mort

Il s'est démarqué pour sa prise de position très déclarée

Mon, 3 Apr 2023 Source: Arol Ketch

Né le 15 octobre 1930 à Kikaikelaki, il est mort le 3 avril 2021 à Douala.

C’était un prélat qui a eu à des moments déterminants de la vie de la nation, le courage de dénoncer les dérives de la dictature reptilienne qui maintient captif les camerounais depuis plus de 40 ans. Il a aussi protégé de nombreux camerounais recherchés par les escadrons de la mort et a même organisé leur fuite du Cameroun.

Il est notamment au créneau pour dénoncer les abus du commandement opérationnel. C’est aussi lui qui avait confié les familles des 9 disparus de Bépanda à son chancelier le P. Jean-Pierre Mukengeshayi afin qu’il mène les enquêtes qui révèleront que : “Les jeunes garçons ont été exécutés près d’Edéa dans un endroit hautement gardé par les militaires”.

S’il est vrai que les objectifs du commandement opérationnel étaient pourtant nobles; à savoir, combattre le grand banditisme dans la douala. Cette opération s’est détourné de ses objectifs pour devenir une machine à tuer.

En un peu plus d'un an, plus de 1500 Camerounais ont été abattus de manière sommaire et extrajudiciaire.

Le Cardinal Christian Tumi avait interpellé directement le Président de la République Paul Biya qui avait mis en place cette force.

Dès Juin 2000, le Cardinal Christian Tumi dans une lettre mettait déjà en garde le gouverneur du Littoral contre les nombreuses dérives du Commandement Opérationnel.

Voici ce qu’il disait notamment dans sa lettre adressée au gouverneur de la province du littoral le 16.06.2000 :

“ Depuis la mise en place dudit Commandement, de nombreux cas de tortures, de blessures graves et d’assassinats sont signalés sur des victimes innocentes ou peut-être coupables, mais sans jugement

[...]

Nous constatons à notre grand étonnement que le Commandement opérationnel a inséré en son sein des anciens prisonniers pour pouvoir livrer leurs amis braqueurs et autres malfaiteurs et peuvent ainsi indexer des personnes à leur bon vouloir ; elles seront directement appréhendées et exécutées.

Le Commandement opérationnel a recensé certains coins de la ville de Douala et en a fait des lieux d’exécutions extrajudiciaires (des abattoirs humains) tels que Youpwe, Logbessou, route de la Dibamba (brousse), Bassa, le petit Nkaki… La population de Douala vit sous torture et arrestations arbitraires, des rafles inopinées, des interpellations intempestives. On croyait que le but du Commandement opérationnel était de libérer la population de toute peur et inquiétude. Le contraire est vrai aujourd’hui.

Les gens sont raflés à toute heure sans sommation. On les fait descendre des cars, bus, taxis, voitures personnelles, jusqu'aux élèves que l’on fait asseoir dans la boue avant de les rouer de coups. Après ils sont déversés à la brigade de gendarmerie de Mboppi, à celle des antigangs de la gendarmerie de Bonanjo et à la base militaire de Bonanjo afin d’être torturés et ainsi obligés de faire de faux aveux.

Ce n’est qu’au petit matin que les corps sont retrouvés de part et d'autre dans certains grands axes de la ville.

De nombreuses familles sont victimes des arrestations et des pillages. Dans certains cas, des fillettes malades et des bébés sont abandonnés à eux-mêmes. Pendant la prise d'assaut du Commandement Opérationnel dans certains domiciles, des bijoux, de l'argent et autres objets précieux sont parfois emportés.

Les occupants de certains foyers sont bastonnés, jetés dans les cars comme des objets, telle cette jeune fille presque à terme de grossesse qui a été brutalement précipitée dans un camion avec d’autres personnes ramassées dans les vidéoclubs et les ventes à emporter, pour se retrouver, infortunée, à la base militaire de Bonanjo sans aucun égard pour son état.

À cette base militaire, les personnes arrêtées ont été toutes appelées à subir le châtiment d’une dame spécialisée en bastonnade et torture. Blessées et tuméfiées de partout — ces personnes sont obligées de faire la "roulade dans la boue” y compris les femmes enceintes. Au refus de ces femmes de se rouler dans la boue, un homme en tenue ripostera : « Ne savez-vous pas qu'on peut vous enlever cette grossesse ? Ici, on enlève les enfants dans le ventre des femmes. Si vous ne faites pas la roulade, on va vous retirer ces enfants ».

[...]

Parmi les nombreuses personnes tuées par le Commandement Opérationnel, bien des filles ont trouvé inutilement la mort parce que supposés être « copines » des braqueurs. Ces filles sont souvent battues à leur arrestation, non seulement parce qu'on les accuse de complicité avec les malfaiteurs, mais surtout parce qu’elles refusent les avances des agents du Commandement Opérationnel.

[..]

Monsieur le Gouverneur,

À ce jour, on a tendance à croire que le Commandement Opérationnel a baissé les bras, mais il est à retenir qu'il fait plus de mal. Depuis un temps, au large du cours d’eau Nkam qui sépare les provinces du Littoral et de l'Ouest, des corps sont découverts au jour le jour ; ce n’est ni plus ni moins, œuvre d’un système meurtrier [...]”.

Je publie l’intégralité de sa lettre dans mon livre Rivière de sang dans lequel j’évoque le commandement opérationnel et l’affaire des 9 de Bépanda.

Auteur: Arol Ketch