Les manuels d’histoire du Cameroun maquillent un événement majeur pour notre pays, et qui aboutira au recrutement forcé de nos grands-parents aux côtés des FFL, les Forces Françaises Libres : le coup d’Etat du commandant Leclerc devenu colonel pour la circonstance, dans la nuit du 26 au 27 août 1940 à Douala. Ils évoquent de manière glorieuse le « ralliement » du Cameroun au Général de Gaulle, mais se gardent bien de préciser de quel Cameroun il s’agissait, car il en existait deux : 1/- celui des colons, les oppresseurs ; 2/- celui des « indigènes », à savoir des Camerounais eux-mêmes, les opprimés.
Est-ce ce second Cameroun, à savoir celui de nos grands-parents, et qui était le Cameroun réel, qui a rejoint de Gaulle ? Non, c’est celui des colons. Celui des Français. Aussi, lorsque l’on parle du « Cameroun qui a rallié le général de Gaulle le 27 août 1940 », il faut bien préciser, « les Français du Cameroun », pas les Camerounais eux-mêmes. Leur avis n’avait pas été requis. Leclerc les a mis devant le fait accompli à Douala le 27 août 1940 au matin : « vous allez en guerre à nos côtés et de force ». Ensuite, il s’est rendu à Yaoundé où il a fait la même chose.
A son retour à Douala, il a décidé d’y transférer plutôt la capitale et toute la tête de l’administration coloniale. Il s’est installé dans le bâtiment qui se trouve derrière la communauté urbaine, et qui abrite une sous-préfecture, bâtiment qui jadis était le gouvernorat allemand, et que justement avait construit l’Allemagne à l’époque du protectorat. Quoi qu’il en soit, revivons le déroulement des événements.
Arrivée du colonel Leclerc à Douala dans la nuit du 26 au 27 août 1940 et coup d’Etat.
Philippe de Hauteclocque, avait quitté Londres le 6 août 1940, en compagnie du capitaine de Boislambert, de Pléven, du commandant Parent, et du capitaine Catroux, le 06 août 1940 pour Lisbonne, à bord d’un hydravion. Il arrive à Lagos le 12 août. Il y est accueilli par le gouverneur anglais du territoire, un nommé Sir Bernard Bourdillon, et par un général du nom de Giffard, commandant des troupes britanniques. Mais, contre toute attente, ce dernier ne se montre guère favorable, ni à de Gaulle, ni à son envoyé en Afrique équatoriale, à savoir le commandant Leclerc. Le consul britannique à Douala, qui se trouvait en déplacement à Lagos, en revanche, ne lui était pas hostile. Aussi, il accepte de rencontrer Leclerc le 13 août 1940, et lui fournit, au cours de leur entretien, de précieux renseignements sur la situation au Cameroun. Il l’informe du désir pressent et manifeste des réfugiés allemands en Guinée espagnole voisin de reconquérir le Cameroun. Ceci lui fait découvrir l’extrême urgence d’intervenir. (1)
En effet, ce territoire étant sous mandat de la Société des Nations, SDN, et en même temps un ancien protectorat allemand, celui-ci peut rapidement et à tout moment se retrouver soustrait à l’autorité française. Il faut donc impérativement agir pour prévenir un tel sort. D’autre part, le potentiel économique du Cameroun est de nature à procurer des devises au gouvernement de De Gaulle, qui en a considérablement besoin. Enfin, la position stratégique du Cameroun au fond du Golfe de Guinée en fait un atout important pour les réfugiés de Londres. A partir du port de Douala, il est possible de rejoindre l’Oubangui-Chari (RCA) et le Tchad.
Leclerc charge sans attendre Boislambert d’une mission d’éclaireur à Victoria (Limbé), afin d’effectuer une reconnaissance de la frontière, du Mungo, de l’estuaire du Wouri, etc. Au cours de son déplacement, ce dernier rencontre des « Français libres » du Cameroun. Il retourne à Lagos riche en informations.
Le 25 août 1940, en conséquence, sur la base de celles-ci, Leclerc et son équipe débarquent à Victoria. Le 26 août au matin, ils atteignent Tiko. Dans cette ville, ils font la connaissance de Français en provenance de Douala, venus à la rencontre d’Anglais y résidant. Ceux-ci se joignent immédiatement à Leclerc. Ils sont au nombre de onze, et parmi eux, malheureusement, il y a un colonel, c’est-à-dire un plus gradé que lui. Que faire ? Rapidement, il se confectionne des galons de colonel, pendant que Boislambert, de son côté, se confectionne ceux de commandant. Cette décision comporte également le gros avantage de placer Leclerc au-dessus du Français qui commande les forces de police à Douala, un nommé Bureau, qui, pour sa part est lieutenant-colonel.
De Tiko, Leclerc et son équipe embarquent dans une vedette anglaise pour Douala. Ils sont au nombre de douze : Leclerc, colonel, Hettier de Boislambert, commandant, Tutenges, capitaine, Parent, capitaine, Quilichini, Denise, Fougerat, Son, lieutenants, Pennanhoat, forestier, les pères Dehon et Pouille, aspirants, Drouil, adjudant-chef, Bezazu, maréchal des logis, Bodart, maréchal des logis, Fratacci, Frizza, Civel, Labegois, sergents, Thevenet, caporal-chef, Lavine, Moser, Mercier, soldats. Leur plan : Fougerat et Frizza sont chargés de prendre possession de la poste ; Pennanhoat, du camp militaire ; les autres de tous les Blancs importants de la ville qui sont demeurés hostiles à de Gaulle. (2)
Exécution du coup d’Etat du colonel Leclerc et proclamation de l’indépendance du Cameroun.
Vers 17 heures, l’équipe de Leclerc rencontre des piroguiers malimba. Ceux-ci, après tergiversations, acceptent de les conduire à Douala. Ils y débarquent alors que la nuit est déjà tombée et bien avancée, et sous une pluie diluvienne. Une fois à terre, ils se dirigent vers l’église du centenaire, d’où ils rejoignent le domicile du capitaine Dr Mauzé. Ce dernier est réveillé par son gardien. Il sort du lit, et fait venir d’autres Français pro-de Gaulle, au nombre de ces derniers, le directeur des chemins de fer, un forestier du nom de Still, un capitaine nommé Dio, d’autres Français, Peux, Taillandier, Arnaud, de Suarez, Schoofs, etc. Puis, eux tous se lancent à la conquête de la ville. Le capitaine Dio et ses hommes qu’il a réveillés, s’occupent de tous les points stratégiques de celle-ci ; le lieutenant Quilichini, se charge de la gendarmerie ; le capitaine-médecin Laquintinie (3) se charge d’arrêter tous les antis-de Gaulle de Douala ; l’imprimeur Lalanne (4) est réveillé et il lui est intimé l’ordre d’imprimer de toute urgence des affiches à placarder dans toute la ville avant le lever du jour ; le texte des affiches est composé par un certain Van de Lanoitte, rédacteur de l’Eveil du Cameroun, un périodique colonial.
Le texte proclame l’indépendance du Cameroun et son adhésion au gouvernement de De Gaulle.
« Ce matin 27 août 1940, sur le sol d’Afrique et dans un territoire français, la France, avec ses propres armes, continue la lutte et rentre dans la seconde guerre mondiale, aux côtés de la Grande-Bretagne et de ses alliés. Elle sera présente à l’heure de la victoire après les combats dans l’honneur. Le Cameroun reprend son indépendance économique et politique. Il adhère à la France libre. Vive la France. » (5)
Une seconde affiche proclame :
« Depuis deux mois, le Cameroun Français se révolte à l’idée de l’armistice imposé à la France. De nombreux habitants voulant sauver leur honneur en sont réduits à fuir la colonie.
Le Général DE GAULLE a répondu aux appels qui lui sont parvenus. Appelé par les Français du Cameroun, décidés à rester libres, j’ai pris à partir d’aujourd’hui 27 août et au nom du Général, le poste de Commissaire général. (6)
LE CAMEROUN PROCLAME SON INDEPENDANCE POLITIQUE ET ECONOMIQUE.
Il est prêt à reprendre sa place dans un Empire Colonial Français, libre et décidé à continuer la lutte aux côtés des Alliés, sous les ordres du Général DE GAULLE jusqu’à la victoire finale et complète.
Nous apportons au Cameroun, grâce aux accords économiques préparés avec le Gouvernement Britannique, L’ASSURANCE DE LA REPRISE DE LA VIE ECONOMIQUE.
Dès maintenant, militaires et fonctionnaires qui ont montré leur sens du devoir, sont assurés de recevoir les soldes et les traitements auxquels ils ont droit. Il importe que dans ces jours de réorganisation, l’ordre règne.
DANS CE BUT, L’ETAT DE SIEGE EST PROCLAME.
Tous les fonctionnaires ou agents des services civils ou administratifs sont tenus de rester à leurs postes.
Toute communication téléphonique ou télégraphique est suspendue.
Toute circulation de véhicules automobiles privés est interdite dans la ville de Douala, sauf aux services médicaux ou après obtention d’un laissez-passer.
Toute tentative de révolte ou de provocation au désordre sera réprimée avec la plus grande sévérité.
IL IMPORTE QUE TOUS LES CAMEROUNAIS SE RENDENT COMPTE QUE LA FRANCE, L’EMPIRE ET NOS ALLIES ONT LES YEUX FIXES SUR EUX.
VIVE LA FRANCE
VIVE LE CAMEROUN LIBRE
Le Commissaire Général
Colonel LECLERC (7)
De son côté, l’inspecteur Huet est réveillé. Il lui est demandé de rejoindre le camp des insurgés. Il y oppose une fin de non-recevoir. Il est aussitôt mis aux arrêts et remis au lieutenant Quilichini qui contrôle désormais la gendarmerie.
Le colonel Leclerc premier président du Cameroun.
Lorsque les habitants de se réveillent, ils découvrent éberlués toutes les affiches apposées par les amis du colonel Leclerc tout au long de la nuit. Ils n’y comprennent rien du tout. Celles qui proclament l’état de siège à Douala inquiètent au plus haut point la population. (8)
La peur des habitants de Douala.
Quelques années auparavant, la ville de Douala avait déjà connu un événement similaire. C’était lorsque les Français et les Britanniques avaient envahis la ville au mois de septembre 1914. Cela s’était traduit par une effroyable guerre qui avait entraîné la mort d’un nombre très élevé de personnes. Cela n’allait-il pas se reproduire ?
La peur qui s’empare de la population est ainsi fondée. Elle est intimement convaincue que les Allemands ne vont pas tarder à riposter, et que la guerre va se déclencher, eux qui sont tapis tout juste au large de Douala, à savoir dans l’île de Fernando Poo, actuelle partie insulaire de la République de Guinée Equatoriale. En conséquence, au cours de cette journée, nul ne songe à se rendre au travail. C’est à peine si le marché s’ouvre. Les gens commentent l’événement, et prennent des dispositions pour ce qui ne va pas tarder à survenir : le début des combats sur le sol camerounais. La ville se vide en un rien de temps de ses habitants.
Le colonel Leclerc convoque les chefs supérieurs et la population.
Le colonel Leclerc, pour sa part, entreprend d’asseoir son pouvoir. Il convoque, en milieu de matinée, divers chefs supérieurs au palais du gouvernement à Bonanjo. Sont ainsi concernés : Paraiso, Bell, Betote Akwa, Tokoto Rodolphe, Ebongue, Marc Etendé, etc. Paul Soppo Priso pour sa part est convoqué en sa qualité de président de la Jeucafra (9). Dans le même temps, tous les habitants des quartiers indigènes sont ameutés, dirigés de force vers Bonanjo où ils sont regroupés sur la place de la poste.
Rapidement, celle-ci est noire de monde et bruyante tel un marché. Face aux « indigènes », se tiennent à distance les Blancs de la ville, car en dépit de l’événement, la ségrégation raciale est maintenue.
Au bout d’une longue attente, quelques Noirs, à savoir les « élites » de l’époque, sont alignés près des Blancs. C’est alors que le colonel Leclerc effectue son apparition, sous une immense clameur de la foule, les Noirs imitant les applaudissements des Blancs. Il se met à serrer des mains. Puis, finalement, il tient un premier discours. Il explique à la foule les raisons de son arrivée en terre camerounaise, et son plan d’action. Il proclame à haute voix que le Cameroun a rallié le général De Gaulle réfugié à Londres, d’où ce dernier poursuit le combat.
Lorsqu’il achève sa brève allocution, un tonnerre d’applaudissements se déclenche, les Blancs applaudissent, et les Noirs les imitent. Puis il quitte la place de la poste, et retourne dans le bâtiment du gouvernement où il a pris ses quartiers. En milieu d’après-midi, à l’issue d’une longue réunion avec son staff, il publie une déclaration à l’attention des chefs d’unités administratives et des chefs traditionnels.
Déclaration à l’attention des chefs d’unités administratives et des chefs traditionnels.
« Dans un élan unanime, le Cameroun français s’est rallié au général de Gaulle et s’est dressé pour reprendre la lutte.
Après les fidèles de la première heure, je tiens à rendre hommage à tous les administrateurs et fonctionnaires dont l’attitude a été d’une correction parfaite et qui, spontanément, se sont rangés autour du représentant du général de Gaulle pour mettre sur pied l’organisation nouvelle qui nous permet de collaborer à la résurrection de la France.
Cette organisation doit se parfaire sans le moindre délai.
L’excitation et l’énervement qui ont pu suivre pendant quelques heures l’établissement du nouvel ordre des choses doivent s’effacer devant l’intérêt général.
Une œuvre commune nous unit. Toutes nos forces, tous nos sentiments doivent se concentrer pour sa réalisation.
Chacun doit se ranger derrière son chef civil ou militaire et exécuter strictement les ordres qui lui sont donnés par ce chef qui a reçu ma confiance et mes directives, et que je couvre dans toutes les initiatives qu’il peut prendre pour le bien du service.
Vive la France.
Vive le Cameroun français. (10)
Puis il publie une seconde déclaration à l’attention du grand public, et en adresse une copie à Charles de Gaulle à Londres sous forme de télégramme de victoire.
Déclaration au grand public à Douala le 27 août 1940.
« … Le Cameroun, depuis le jour même de l'armistice, a crié son indignation, son désir de continuer la lutte aux côtés des alliés, sa volonté de rester libre et de ne pas se soumettre à l'ennemi.
Le général de Gaulle, chef reconnu des Français Libres, a entendu cet appel. En son nom, j'ai pris ce matin, 27 août 1940, le poste de commissaire général et déclare le Cameroun autonome politiquement et économiquement. Accueilli avec un élan magnifique par la très grande majorité des éléments civils et militaires de Douala, je suis en mesure d'affirmer dès maintenant que la vie normale reprend son cours, qu'il n'y a eu aucun trouble ni aucun désordre. Les populations de toutes les villes du Cameroun se doivent de suivre l'exemple de Douala. Je leur apporte un appui effectif et suis décidé à aider de tous mes moyens et toutes mes forces les initiatives de ceux qui veulent sauver leur honneur dans le respect des traités.
Le Cameroun doit voir très rapidement, du fait de la cessation du blocus et des accords mis au point par le général de Gaulle avec le gouvernement britannique, sa situation économique améliorée. Les militaires et les fonctionnaires français de l'Empire ont manifesté la haute conscience qu'ils avaient de leurs devoirs, ils sont assurés de recevoir normalement les soldes et appointements auxquels ils ont droit. Mon intention, au nom du général de Gaulle, est de restaurer la vie économique normale du pays, de renforcer sa défense vis-à-vis de tout ennemi venu de l'extérieur, surtout de conserver à la France qui redeviendra un jour libre et victorieuse avec l'aide de son alliée, un des plus beaux territoires d'outre-mer.
Il ne faut pas oublier que c'est essentiellement la présence à côté de forces britanniques d'un élément français puissant et organisé qui a provoqué les promesses répétées du gouvernement britannique, en particulier celles de M. Winston Churchill, de rendre à la France la totalité de son territoire, ses colonies et ses libertés. La France enchaînée, toutes les colonies, la Grande-Bretagne, le monde, ont les yeux fixés sur le premier territoire qui a manifesté son esprit d'indépendance et sa volonté de rester purement français. (11)
Après quoi, le colonel Leclerc rejoint Yaoundé par train. Il y arrive le 30 août 1944. Il a été précédé par la nouvelle de sa prise de pouvoir à Douala. Il reçoit un accueil délirant de la part des Français ayant refusé la capitulation de leur pays. (12)
Cournarie : nouveau gouverneur du Cameroun.
Le Cameroun ayant déjà été conquis par l’envoyé de Charles de Gaulle, il ne lui revenait plus que de matérialiser cela par des actes administratifs. C’est ainsi que, le 3 septembre 1940, il décide par ordonnance que les « miliciens », nom attribué aux militaires « indigènes », deviennent des « Tirailleurs de l’armée coloniale », et l’appellation « Forces de police », est supprimée. Après avoir créé Radio-Douala, il crée de manière provisoire, le 20 septembre 1940, Radio-Yaoundé. Celle-ci se met à émettre pendant 30 minutes, à savoir de 12 h à 12 h 30, tout juste le temps de propager quotidiennement sa propagande.
Le 12 novembre 1940, il créé le « Haut-commissariat de l’Afrique Française Libre ». Le lendemain, 13 novembre 1940, il nomme Félix Eboué, jusque-là gouverneur du Tchad, Gouverneur général de l’Afrique Equatoriale Française, AEF. Par la même décision il désigne l’administrateur en chef Cournarie, Gouverneur du Cameroun sous administration française.
Douala : nouvelle capitale du Cameroun.
Enfin, une des décisions importantes prises à la faveur du coup d’Etat de Leclerc au Cameroun, a été le transfert de la capitale de notre pays, de la ville de Yaoundé à celle de Douala. Il faudra attendre la fin de la guerre pour que Yaoundé récupère son statut de siège des institutions.
* Extrait du livre : Histoire du Cameroun, Tome 1, d’Enoh Meyomesse. Pour l’acquérir : www.amazon.com