Investir au Cameroun : Deux poids, deux mesures ?

Fri, 3 Jun 2016 Source: Bazou Batoula

Le Cameroun essaie d’attirer les investisseurs sur son sol. Cela est de bon ton car l’émulation économique est boostée à chaque fois qu’il y a de nouveaux acteurs. Cependant, un goût d’inachevé nous reste sous la langue. Il y ait en effet des principes en affaire qui demeurent têtus quel que soit l’environnement au sein duquel un entrepreneur veut se mouvoir. Il s’agit ici de la sécurité du business, du financement, du niveau de rentabilité. Sur chacune de ces lignes, il existe à mon sens un deux poids deux mesures si l’on considère l’attention que porte le gouvernement aux entrepreneurs locaux faces aux investisseurs étrangers qu’il drague tant.

Concernant la sécurité sur la durée

Lorsqu’un investisseur camerounais lance un projet au Cameroun, quelle garantie dispose t-il quant à la sécurité de son business sur la durée ? Est ce qu’on lui déroule un quelconque tapis rouge ? Il est assez ridicule de savoir que chaque 7 ans, des gens nous disent  « on verra après les élections s’il y a le calme et la stabilité pour investir ». De même qu’il est organisé périodiquement des élections au Cameroun, il s’en organise pratiquement partout ailleurs sans que cela ne soit toujours mis en avant. Donc, cette manière de gonfler le risque pays à répétition, soit pour augmenter les primes d’assurance, soit pour prendre en otage les choix des grands donneurs d’ordre n’est en réalité qu’une grosse escroquerie ou alors, une myopie économique.  A supposé que le pays soit instable, les premiers entrepreneurs qui en feraient les frais sont locaux. C’est donc eux qui devraient demander des garanties à l’Etat sur leur business en cas de réalisation du risque pays par exemple.

Lorsque les investisseurs étrangers dressent des conventions d’affaire avec le Cameroun, ils prennent bien soin de définir le cadre des litiges. Et en général, ils ont sur cette ligne un pouvoir de négociation avantageux. C’est ce qui les met à l’aise lorsqu’ils pilotent leurs affaires au Cameroun. Ils savent qu’il y a cette sécurité supplémentaire dont ne bénéficient pas les concurrents locaux.  Ces derniers ne doivent parfois malheureusement cette assurance qu’au niveau de sympathie qu’ils entretiennent avec le Pouvoir Politique?

La sécurité des affaires au Cameroun est un cauchemar permanent pour les entrepreneurs. Ils sont malgré tout entièrement exposés au risque même de continuer leur business. Par exemple, lorsqu’un orage ou un incendie ravagent les installations ou les stocks, le gros des pertes incombe à l’entrepreneur lui-même. N’allez surtout pas me dire « il fallait s’assurer ». Les assurances au Cameroun n’assurent pas ce genre de risque pour une raison simple. La structure même de ce qui va être assuré n’est pas modélisable, donc reste difficile à évaluer. Au final, les primes qui sont exigées sont pour plusieurs entreprises trop onéreuses.

Le Cameroun a donc tout intérêt à assurer aussi aux entreprises locales leur pérennité sur le long terme. Si ça doit passer par l’intégration des entrepreneurs locaux comme « personnalité ressource » du parti au pouvoir, que cela soit mentionné directement. De cette manière, chaque entrepreneur vera cela juste comme une formalité parmi tant d’autres pour faire les affaires au Cameroun. Et on ne tournerait plus autour du pot.

Quant au financement de la croissance

Un dilemme se pose ici. D’un côté, les entrepreneurs locaux ont besoin de financer leur croissance. Mais les systèmes financiers et fiscaux apparaissent à leurs yeux comme un piège. Du coup, ils ne sont en général ni clairs avec leur banquier, ni même avec le Fisc. Après, ils sont les mêmes à se plaindre d’être lésés dans leurs demandes de crédit.

L’entrepreneur français par exemple qui vient au Cameroun n’est pas confronté à ces problématiques. Son pays s’est déjà organisé depuis le départ pour résoudre cela. Le chinois qui vient au Cameroun a déjà une solution à son éventuel besoin de financement. Voilà donc que l’entrepreneur local est en retard de financement dans son propre pays et perd ainsi en compétitivité devant les nouveaux produits étrangers qui arrivent par tonnes. Et ça, ce n’est que le début. Car l’entrée en vigueur des accords de libre échange va faire disparaître toutes les industries locales au Cameroun. Exception faite des producteurs de prunes et de mangues (j’ai vu que l’UE nous permettait d’exporter vers l’Europe les mangues et les prunes bien propres).

L’Etat devrait à mon avis se battre pour que les entreprises camerounaises soient fortes, compétitives, et pérennes. Pour cela, il devrait résoudre en priorité ce problème de financement des PME au Cameroun. Notre Loi dit interdire l’usure. Pourtant, tous ceux qui ont déjà emprunté ne serait ce que 3 millions de Cfa aux banques du Cameroun savent très bien qu’ils vont rembourser 4,5 millions. Cela s’appelle de l’usure ! A part au Cameroun, ces taux n’existent nulle part. Si au moins les banques qui les pratiquent étaient camerounaises, j’aurai eu moins mal. Mais vu que les banques à capitaux camerounais ont totalement disparu, il paraît, grâce aux ministres camerounais (cas d’Union Bank, Amity Bank, CBC, Cofinest), le fruit de l’application de ces taux usuriers enrichie les investisseurs étrangers.

On voit souvent l’Etat du Cameroun organiser de grandes rencontres internationales pour lever 300 ou 500 milliards de Cfa. Je pensais que pour des montants aussi faibles, les nationaux pouvaient eux-mêmes apporter les fonds et être rétribués à mesure de leurs mises. Est-ce que le Cameroun a la permission d’émettre des titres à périmètre national comme il le souhaite pour financer ses projets ? Je ne sais pas ce qui se passe au sein des bureaux à Yaoundé.

Les Etats offrent de l’argent à leurs entreprises pour venir au Cameroun damer le pion aux entrepreneurs locaux. Et l’Etat du Cameroun ne réagit pas. C’est grâce à ces trésors de guerre qu’ils viennent écraser le petit tissu économique local. Lorsqu’on regarde par exemple en France, la philosophie des dirigeants, c’est de favoriser le crédit pour les PME. Ils reçoivent tout type de soutient à l’exportation partant des études stratégiques, en passant par le financement, sans oublier les systèmes de garanti et de sécurité qui les mettent à l’aise lorsqu’ils débarquent chez nous. Face à l’entrepreneur local, il n’y a pas match. C’est pourquoi, nous ne finirons toujours que par être les revendeurs de leurs produits.

Les dépôts des épargnants au Cameroun avoisinent les 3 500 milliards de Cfa. L’Etat ne peut pas dire qu’il manque où trouver de l’argent. Il n’a qu’à indiquer aux camerounais qui veulent investir dans quoi ils peuvent mettre leur épargne. Dans un rapport de confiance mutuelle, ceux-ci devraient investir. Or, la réalité nous indique bien pourquoi les camerounais n’ont plus confiance financièrement en leur Etat. Jusqu’à aujourd’hui, nos parents réclament encore leur argent de la défunte Biao. Ils ont atteint le summum avec la Campost où des épargnants ont mis une croix sur leurs épargnes.

Concernant la rentabilité

Je suis surpris d’observer que le Gouvernement oriente toujours les investisseurs étrangers vers les secteurs les plus lucratifs. C’est le cas pour tout ce qui est Hydrocarbure & Energie, BTP, Mines et Foresteries, et les Banques. Du coup, les entreprises locales se contentent de la grande distribution, la vente de la bière, l’import (pas export), le transport routier ou s’entassent dans la micro finance. Vu sous cet angle lorsqu’on est investisseur étranger, on se sent choyé. Mais lorsqu’on est entrepreneur camerounais, on se sent ridicule.

Les financiers disent que la rentabilité est une fonction croissante du risque. Je me demande cependant quel risque existe-t-il lorsqu’on opère dans l’hydrocarbure au Cameroun ? Quel risque existe-t-il lorsqu’on décime nos forêts pour envoyer en Occident ou en Chine ? Quel risque y a-t-il au Cameroun lorsqu’on vend du crédit télécom 10 fois plus chère qu’en France alors qu’on bénéficie des installations de l’Etat ? Dans ces secteurs, les prix sont élevés et la demande est toujours supérieure à l’offre. Voilà des secteurs « vache à lait » qui auraient pu faire le bonheur des entreprises camerounaises, mais l’Etat les offre bien souvent à des investisseurs étrangers pour pas grand-chose.

Beaucoup estiment que le Cameroun est une île d’opportunités d’affaire. En réalité cela n’est pas si faux si l’on évoque juste deux voies de réflexion. La première serait simplement de répliquer ce qui a été réalisé dans les pays plus avancés. Vu sous cet angle, presque tout est à faire au Cameroun. La question est : Qui va le faire ? Est ce que celui qui a déjà réalisé ce genre d’affaire ailleurs (donc en est expérimenté) est plus crédible au Cameroun qu’un entrepreneur camerounais qui ne l’a pas éprouvé ? La réponse est simple. L’expertise s’acquiert surtout par l’expérience. Donc, objectivement, lorsqu’il faudra transposer au Cameroun un business qui est déjà mature ailleurs, cela saute aux yeux que les entrepreneurs étrangers dameraient le pion aux entrepreneurs locaux. La seconde voix consiste à élargir le champ d’action et les possibilités des entreprises qui existent déjà localement. A ce jeu là, l’expertise locale en termes de connaissance du marché et surtout de base de données clientèle serait un gros atout qui les distinguerait des concurrents étrangers. Après tout, il faut bien donner leurs chances aux entrepreneurs locaux, y compris en leur accordant le « droit à l’erreur » pour une période d’apprentissage. Toutes les entreprises chinoises qui dictent leurs lois aujourd’hui au monde entier ont bien bénéficié de ce temps de grâce.

Que peut faire le Gouvernement pour améliorer le climat des affaires ?

Au niveau de la sécurité du business, le Gouvernement peut rassurer les entrepreneurs sur le système judiciaire lié aux affaires. Exemple, il pourrait innover en faisant passer les juges de commerce aux suffrages des entrepreneurs. Un juge serait alors élu et non plus nommé. Car disons le clairement, les camerounais n’ont pas trop confiance en leur Justice en l’état actuel. Une autre innovation serait pour l’Etat d’encourager les assureurs en garantissant sur fonds publics les risques d’affaires que les assureurs redoutent.

Une innovation financière serait d’encourager les tontines d’entreprises. C’est-à-dire de créer une nouvelle ligne sur la sphère financière d’un niveau élevé par les montants. Ainsi, on verrait les entreprises sur ce nouveau marché prêter et emprunter sur du gré à gré comme elles le souhaitent. Vous me direz que « cela existe déjà dans le système financier actuel ». Mais, il s’agit bien de contourner ce système. Car disons-nous bien les choses. Si le système financier actuel était favorable à l’émulation économique du Cameroun, le prix du crédit ne serait pas si élevé. Il n’y aurait pas de frais sur les virements des particuliers au sein d’une même banque. Le terme « micro-finance » n’aurait jamais existé. On commencerait par financer en priorité les projets agricoles. Or, le mot d’ordre est donné pour que ce secteur ne soit jamais financé.  L’Etat ne ferait pas venir les gens d’Europe pour demander 300 milliards alors que l’épargne des Camerounais cherche preneurs. Donc, au moins on sait que ce système n’est pas le bon.

On peut organiser un grand salon de l’investissement local et national au Cameroun. Ce serait l’occasion de tisser une relation de confiance avec les entrepreneurs locaux ; de les arroser de subventions, de facilitations, d’exonérations qu’ils auraient de la part de leur Etat s’ils venaient de Paris.

On peut organiser un grand salon de l’investissement diasporal au Cameroun. Ce serait l’occasion d’intéresser via des produits financiers alléchants les Camerounais de la diaspora à prendre leur part dans la construction du Cameroun via le financement. Ils y gagneront ; car on ne perd pas dans un environnement en croissance.

On peut orienter les investisseurs étrangers vers les domaines que les banques locales ne veulent pas financer. C’est le cas des projets agricoles. C’est le cas des projets hospitaliers. C’est le cas des projets dans le logement.

Pendant le même temps, une démarche de restructuration du système financier devrait être engagée. Le but à terme étant la prise du contrôle par le Cameroun de sa politique financière, monétaire et économique. Autrement, disons-nous bien les choses, nous courons dans le sac.

En définitive, il y a plus à gagner au Cameroun pour les entreprises étrangères qu’ailleurs. Nous n’avons pas besoin de les charmer pour les faire venir. Elles sont déjà là et  viendront d’elles-mêmes. Leurs produits leur assureront de toute façon leur présence au Cameroun. Le gouvernement devrait se concentrer à renforcer la confiance économique avec les entrepreneurs et investisseurs locaux. Car en réalité, c’est eux qui devraient avoir la priorité de son attention au Cameroun. C’est en fait ça, je crois, travailler à la paix sociale.

Auteur: Bazou Batoula