Je suis Camerounais, je suis champion de natation

Florian Ngimbis Florian

Wed, 3 Jun 2015 Source: L’Oeil du Sahel

Il ya plusieurs années, alors qu’étudiant fringant et sémillant j’arpentais les couloirs de l’université de Yaoundé I inconscient du gouffre qui m’attendait au bout, je fis la connaissance d’une jeune fille. Chose banale à cette époque où ma soif de vivre semblait aller de pair avec l’art de draguer que je croyais maîtriser à fond. Les lieux de plaisir non alcoolisés n’étaient pas rares à cette époque dans notre triste capitale et à défaut d’aller regarder un film dans le défunt cinéma Abbia (snif !), je conçus le projet de l’emmener doubler nos taux de mélanine respectifs en bronzant sur les bords du bassin d’une célèbre piscine elle aussi disparue de nos jours (re-snif !). L’idée était simple: lui en mettre plein les oreilles et le cadre aidant, conclure.

Les choses ne se passèrent évidemment pas comme prévu. La jeune fille comme toutes les Yaoundéennes ignorait la signification du mot tête à tête et se ramena avec deux copines qui administrèrent une cure d’amaigrissement à mon portefeuille déjà pas très épais. Allongé sur une serviette entre les trois créatures qui semblaient plus intéressées par les dernières péripé- ties de leur feuilleton favori que par mon laïus, je décidai de marquer un coup d’éclat. Je n’ai jamais été véritablement attiré par les piscines publiques. Les taux de chlore douteux et la pensée de toutes les cochonneries auxquelles les baigneurs peuvent se livrer sous l’eau ne m’ont jamais encouragé à changer d’avis.

Mais ce jour là, je me suis rappelé mon enfance passée à Mouanko sur les bords de la Kwa-Kwa. Je me souvins de ce jour de juin où je remportai le trophée de meilleur nageur junior après une course d’anthologie qui m’aurait peut-être ouvert une carrière à la Manaudoux (celle du début hein ?). Hélas, mon père ne voulut plus entendre parler du sujet… J’étais donc là à me demander comment rehausser mon prestige auprès de ma conquête lorsque je remarquai qu’un concours de natation était organisé.

Mon inscription ne fut que l’affaire d’un instant et cinq minutes plus tard j’étais debout au bord du bassin entre quatre gaillards concentrés comme si l’enjeu était une médaille olympique. En attendant le départ, j’improvisai une séance d’étirements digne de Michael Phelps, qui si elle ne m’échauffa pas réellement, eut le don d’attirer sur moi les regards admiratifs -du moins je le crus- de la foule qui s’était concentrée au bord du bassin.

Mon minuscule maillot de bain mettait bien en valeur mes bijoux de famille et j’essayais autant que possible de gonfler ma maigre poitrine et de rentrer mon ventre aux abdominaux inexistants. J’imaginais déjà la foule de mes futures admiratrices qui fondrait sur moi lorsque je ressortirais de la piscine ruisselant de mon succès et des deux longueurs d’avance que je ne manquerais pas d’infliger aux barboteurs du dimanche qui me tenaient lieu de concurrents.

A vos marques ! Je pointe les fesses vers le ciel, mes maigres mollets poilus bandés comme des cordes d’arc. Prêt ! Je jette un regard en coin vers mon harem, esquisse un sourire en constatant qu’elles sont aux premières loges… Partez ! Je décolle, que dis-je ? Je plane en un magnifique vol plané, les bras à l’horizontale, le corps parfaitement aligné, puis, au dernier moment, mes bras se rejoignent au dessus de ma tête et je heurte la surface de l’eau avec un délicieux plouf qui je m’en doute provoque un minimum d’éclaboussures.

Je touche le fond de la piscine en me disant que je n’avais pas besoin d’aller si loin. J’aperçois les autres qui filent vers l’autre bord avant de me rendre compte que je fais du sur place. J’amorce une remontée qui n’a d’effet que de m’envoyer à trente centimètre sous la surface. Je bats vigoureusement des mains, réussi à émerger. J’esquisse un crawl qui non content de me laisser sur place, me renvoie sous l’eau. J’ouvre la bouche dans un cri de surprise. Erreur : je bois la tasse, la première. J’essaie de remonter, mais les remous provoqués par le deuxième passage de mes concurrents me renvoient sous l’eau.

Je bois une autre tasse d’eau chlorée avant de réaliser que je suis en train de me noyer dans deux mètres d’eau. La panique aidant, ma situation devient de plus en plus désespérée. Le peu de lucidité qui me reste m’empêche de crier au secours. De la dignité tout de même ! De longues secondes passent avant qu’un maître nageur comprenne enfin que mes gesticulations ne sont pas les figures d’un ballet de natation synchronisée, mais bel et bien les soubresauts d’un noyé. Je suis retiré de la piscine à moitié inconscient.

La générosité de mon sauveteur ne va pas jusqu’au bouche à bouche et il se contente de m’administrer de violentes claques dans le dos. Toussant crachant, les yeux hors de la tête, je rassemble le peu de dignité qui me reste pour récupérer mes affaires et m’enfuir sans daigner chercher mes accompagnatrices qui ont d’ailleurs disparu au milieu de la foule qui me lorgne avec des ricanements en coin que je préfère ne pas entendre.

Non mais, sérieux ! Je suis un type bizarre ou alors on peut désapprendre à nager ? Et moi qui croyais que la natation était comme le vélo, des trucs qu’on n’oublie pas, même après des années sans pratique… Peace and Love mes frères !

Auteur: L’Oeil du Sahel