Je suis Camerounais, je suis possédé

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Thu, 9 Jul 2015 Source: Florian Ngimbis

Vous savez, avant j’aimais le dimanche. D’habitude, après avoir vécu le samedi, le dimanche je cuvais. Grasse matinée, farniente, sommeil. Ce, jusqu’au jour où l’église de réveil qui est implantée dans mon voisinage direct décide d’acquérir du matériel de sono : amplis, micros, haut parleurs etc. Depuis, chaque dimanche, je suis réveillé par une tornade de décibels qui me projette hors de mon lit, hagard, en mode zombie.

J’ai bien essayé de parler au pasteur, l’implorant de baisser le volume, Dieu étant omniscient et tout le reste n’est sûrement pas sourd. Il m’a traité de mécréant. Moi mécréant ! On voit qu’il n’a pas eu la même expérience des églises de réveil que moi. Arrivé en fac tôt, trop tôt, je fais ma crise d’adolescence sur le tard. Aidé en cela par le traumatisme intellectuel qu’aura été mon passage dans les amphis de Ngoa Ekelle alias Yaoundé I, je décide de tout laisser tomber. Partout on crie à la folie, à l’envoûtement, à la possession.

Mes parents dépassés, m’envoient en redressement à Douala, chez une tante bigote qui dans la famille a la réputation de remettre les esprits turbulents sur le droit chemin. Moi, je rigole. Premier commandement dès que je franchis le seuil de sa demeure : au culte chaque dimanche, tu iras. Me voilà encombré d’une bible chaque matin pour rejoindre l’église en planches dans laquelle mon salut serait niché. Au Cameroun, pas besoin de marcher longtemps pour trouver une église. Avec les stations services et les bars, les business dont l’expansion est la plus fulgurante ces dernières années au pays de Samuel Eto’o.

Après un mois de fréquentation assidue de la maison de Dieu, le verdict tombe : je suis insensible aux simples prières dominicales, il me faut être délivré. Moi j’aime voir hein ? Comme on dit à Yaoundé, j’aime témoigner. J’ai dit ok ! Séance de délivrance du vendredi. Pas de petit déjeuner, il faut jeuner pour être dans la sanctification.

Je jeûne. Salle comble. Chaleur, transpiration, vacarme. Il faut chanter pour être dans la présence du Seigneur. Je chante, je danse, je transpire, tellement les cantiques sont entraînants. Ce jour là j’ai compris que la foi était comme la bière, elle descend mieux à plusieurs et avec de la musique.

Puis vient la prière. Le pasteur étincelant dans un ensemble en lin est un véritable orateur. Après avoir prié pour le Président de la République, son gouvernement de voleurs (ils sont pour la plupart en prison aujourd’hui) et tous les chiens errants, il entame la prière téléphonique. Au bout du fil des mbenguistes, nos frères d’Europe, d’Amérique etc. « Tu auras tes papiers mon frère ! », « Ma soeur, ton blanc va te mettre la bague au doigt ». Je me souviens même qu’on a prié pour «toucher le coeur » d’un préfet ! Après que Orange avec son service pourri eut coupé la communication "interruption attribuée" à Satan on est revenu en mode local. Le laïus qui grimpe crescendo.

Les trémolos qui accompagnent les moments les plus poignants, l’électricité dans l’air, les notes subliminales du piano en fond sonore. J’ai presque eu envie de pleurer, tellement j’étais bien. Je croyais l’affaire finie, que non. La délivrance la vraie a commencé. Passage devant les « cas » présentés. Le pasteur baignant dans un nuage d’onction chasse les démons à coup de prières et d’imposition de mains. Paralytiques courant dans la salle, aveugles de naissance reconnaissant les couleurs : « oui Pasto je vois le mouchoir, c’est rouge ! C’est rouge ! », démons domptés, chutes. Et puis moi.

Oui, le type, orienté par ma tante (ou par son enveloppe, je l’ai su plus tard) me fait signe d’avancer. Ma curiosité est plus forte que tout. J’avance. Imposition des mains. Je suis censé tomber à la renverse comme les autres, rien. Le pasteur revient sur ses pas et m’assène une tape sur le front. Je frémis mais ne bronche pas. Poussée sur la poitrine. Je reste debout, me demandant si l’homme de Dieu sait qu’il est difficile de faire tomber aussi facilement quelqu’un d’aussi petit que moi.

Physique élémentaire. Le Pasto s’énerve, convoque le feu, le balance à tout va, même si aucune étincelle n’est visible. Mon démon dit ngang ! Je ne sors pas. Papa pasto hurle, arme ses fidèles de cailloux spirituels et leur ordonne de les lancer sur mon démon. Je n’ai jamais été doué pour le théâtre, mais pour la première fois de ma vie, j’étais le centre d’une farce, tenant le rôle du manguier sur lequel une avalanche de cailloux spirituels pleuvait au cri de «sors de cet enfant ! Sors de cet enfant démon !».

J’avais juste envie de ricaner. Agacé par mon indifférence et mon manque de réaction l’homme de Dieu fait un signe à ma tante et dans le vacarme général, lui crie quelque chose à l’oreille. Je saurais plus tard qu’il lui parlait de la gravité de mon cas en lui donnant des instructions pour une séance ultérieure. J’ai failli tomber finalement, mais à cause de la faim. Et lorsque mon corps affamé depuis le matin m’a dit petit, moi je ne suis plus là ! Je l’ai répété à ma tante et nous sommes partis.

De retour à la maison, les oreilles sifflantes comme après une nuit en boîte, j’ai couru à la cuisine me faire une omelette épaisse comme la cuisse. Seulement, l’huile d’olive extra vierge que j’ai pris dans un placard, en lieu et place du vrac qui faisait l’ordinaire des plats chez nous était de l’huile consacrée. Vendue à pris d’or par le pasteur, elle était censée déloger la légion de démons qu’abritait mon corps lors de la prochaine session de délivrance. Devant cet énième acte démoniaque, ma tante a piqué une crise et le lendemain, mes démons et moi prenions le bus pour rentrer à Yaoundé.

Je ne sais pas pour vous, mais trop c’est trop. Je respecte le droit de tout un chacun de croire en ce qu’il veut, mais j’ai la haine devant ce commerce de la souffrance d’autrui. Ces vendeurs d’illusion qui se substituent à un Etat démissionnaire. On ne va plus à l’hôpital, ni à la police, ni au tribunal, on va à l’église et on confie ses soucis au Pasteur, homme orchestre, homme d’affaire, mais rarement homme de Dieu.

Qu’ils fassent leurs affaires, si au moins ils pouvaient me laisser dormir le dimanche! Même Dieu s’est reposé le septième jour non?

Auteur: Florian Ngimbis