Dans ce village situé à Kribi, au Sud du pays, une vingtaine de pygmées se bat pour conserver ses terres, cultiver le tabac traditionnel et vivre « comme avant ».
Il y a d’abord la case. C’est une petite hutte construite en pailles, dont le vent essaie à chaque fois de l’emporter. Il y a une autre, juste à côté. Puis, une 3ème, nichée au cœur de la forêt, au milieu des chants d’oiseau. Elle est un peu en retrait, comme si son habitant voulait se faire tout petit. Il y a une 4ème. Le toit est fait en pailles et en tôles. Les murs sont un mélange de terre cuite et de pailles. La construction n’est pas encore achevée. « Voilà nos maisons, lâche Justin Botsimbo avec fierté, dans un français approximatif. J’y vis depuis que je suis né ». Pieds nus, il va d’un bout à l’autre, en décrivant sa vie.
« Je suis un pygmée, poursuit-il de sa voix grave. Je ne suis pas de Lolodorf. Mais, je suis un pygmée ». Dans son jeans bleu délavé et sa chemise fleurie, Justin est le chef de la « dernière » famille du campement pygmée de Dibongo, village situé à Kribi, au Sud du Cameroun.
En ce vendredi, le mot « dernière » intrigue. Justin qui ne se départit jamais de son sourire dévoilant ses dents abimées par le tabac, a des mots pour se justifier. « Lorsque je suis né, il y avait plus de 20 familles ici. Aujourd’hui, nous sommes la seule famille pygmée du village ». Son âge ? Justin Batsimbo réfléchit. Son front se plisse. Ses lèvres murmurent et finalement, il hausse les épaules, l’air penaud.
« Je suis un enfant de l’époque du président Ahidjo (1er président du Cameroun) », avoue-t-il tout sourire, comme si le mot Ahidjo suffisait à déterminer son âge exact. Qu’importe, le chef de cette famille d’une dizaine de membres a des choses plus importantes à raconter. Sa frêle silhouette se dirige soudain vers une case d’où s’élève une fumée noire. Une jeune fille s’active sur le feu en bois où est posée une marmite. Un jeune homme dort sur le lit sans matelas. Une femme a une pipe entre les lèvres.
La doyenne a presque 100 ans
Thérèse Batsimbo est la doyenne des pygmées de Dibongo. « C’est ma maman », s’exclame Justin, tout content. Vêtue d’une robe-pagne sans couleurs, Thérèse aspire sa pipe, le regard concentré sur un bâton de cigarette qu’elle tient entre les mains. Elle découpe les extrémités et ouvre la partie contenant du tabac qu’elle déverse dans sa pipe. Elle relève son visage et regarde son interlocutrice, droit dans les yeux. Thérèse a presque 100 ans. Son fils Justin le confirme : « elle est vraiment âgée ». Elle ne parle pas un mot français. Notre guide se porte volontiers pour traduire sa conversation en langue Bulu.
Thérèse veut savoir si, comme les « autres », nous venons « voler » leur histoire.
Elle veut surtout comprendre pourquoi nous sommes là. S’ensuit alors une explication ponctuée de Bulu et de français. Elle nous observe longuement. Un sourire épanouit finalement son visage ridé. « Avant, ce n’était pas comme ça, glisse-t-elle nostalgique. On ne souffrait pas comme aujourd’hui ». Avant, explique Thérèse en lançant ses deux mains dans tous les sens, elle pouvait cultiver son tabac « indigène ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.
Justin, sa mère, parlent de leur vie
« Les bantous ont pris toutes nos terres, peste-t-elle en sa langue. Nous ne pouvons plus cultiver ». Ce n’est pas tout. Sa pipe s’est éteinte. Elle se lève un instant pour aller prendre une petite braise qu’elle y met. Thérèse revient s’assoir. « Avant, je pouvais tout trouver dans la forêt, répète-t-elle inlassablement. J’allais au champ et je rentrais avec de la nourriture ». Des décennies plus tard, Thérèse ne retrouve plus rien. Les terres, elle n’en a plus assez. Elle montre du doigt la marmite qui boue sous le feu. « Nous préparons du ‘’kwem’’ (feuilles de manioc pillées) pour l’accompagner des tubercules, dit-elle. C’est la seule nourriture que nous avons ici ».
Thérèse explique que ce déclin a commencé à la mort de son mari « il y a longtemps ». Des hommes et femmes « bantous » ont commencé à peupler le village, à quelques kilomètres de distance du campement bien sûr. Au début, Thérèse comme les autres étaient contents. Seulement, les terres ont commencé à disparaître à vue d’œil. « Ils vendaient ça petit à petit, jure la vieille dame. On voyait ça disparaître et après, je n’ai plus eu de terres où cultiver mon tabac indigène ». C’est à ce moment que les habitants du campement ont réellement pris conscience de cette disparition. Justin Batsimbo s’en va alors voir les autorités administratives dont il ne maîtrise plus les noms. Ils le rassurent en disant qu’ils feront leur possible. De retour, rien ne se passe : les terres disparaissent toujours. Justin sort de la petite cuisine un instant.
« On veut nos terres »
Il revient, tenant en main sa Carte nationale d’identité: il est né le 1er février 1965. Il a donc 50 ans. « J’ai fait cette carte quand j’étais déjà grand », murmure-t-il. Il passe à autre chose. Les terres reviennent dans sa conversation. Il nous parle aussi de sa profession. Au campement, Justin est un guérisseur traditionnel reconnu. Il se considère d’ailleurs comme un « grand marabout ».
« Je soigne des gens venant de tous les coins du pays, assure-t-il avec fierté. Des grands messieurs viennent de Douala et Yaoundé pour que je les soigne ». Il assure qu’il guérit plusieurs maladies. Il les énumère : les personnes prises « dans la sorcellerie », des malades mentaux, des personnes souffrant de maux de tête, de ventre et bien d’autres. Justin a cependant un « gros » problème : sa pharmacie s’appauvrit au fil des années.
En fait, ce qui lui tient lieu de pharmacie est une surface plane où sont semées des plantes de toute sorte et de toutes les couleurs. Ne lui demandez surtout pas de vous y conduire. Justin ne le fera pas. Il fait d’ailleurs la sourde oreille, comme s’il n’avait vraiment pas entendu votre demande. « Comme nos terres diminuent, mes plantes aussi diminuent. Depuis cinq ans, je n’ai plus assez de plantes pour soigner mes malades, continue-t-il, furieux. Les bantous m’ont plusieurs fois fouetté parce que j’étais venu cultiver dans leur espace ».
Justin et son beau-frère (mari de sa petite sœur) qui vit au campement, ne parviennent plus à chasser du gibier. Les singes, porc-épic et autres animaux ont été chassés par la déforestation. Il n’y a « même plus d’endroits » où poser les pièges. La seule « viande » du campement ? Les crevettes. Malgré ses courbatures, Thérèse va tous les jours dans la petite rivière située à quelques mètres du campement chercher les crevettes. Avec ses filets, elle en pêche plusieurs pour les différents repas. Parfois, elle n’en trouve pas assez. « Mais, nous parvenons toujours à nous rassasier de ce que nous avons », souligne-t-elle.
Dans la cuisine, Fanny Bernadette Oyane, la petite dernière du clan des femmes, hoche la tête. Cette jeune fille vient du campement des pygmées de Bipindi. Elle parle quelques brides de français. Sourire aux lèvres, elle raconte sa vie à Bipindi, avant son mariage il y a deux mois (mai 2015) avec le dernier né de Thérèse qui dort juste derrière elle sous le lit sans matelas. Fanny Bernadette est allée à l’école. Elle a étudié les maths, le français et même l’anglais au Cours moyen première année (Cm1) avant de se marier.
Mais, au campement, elle s’est rendue compte que son mari et tous les autres « grands » ne parlaient pas français en dehors de Justin, marié à deux femmes. Le petit Martin Ndongo inscrit au Cours préparatoire (Cp) à l’école publique de Dibongo parle un peu français. Des petits enfants du campement, il est le seul qui veut vraiment apprendre et aller loin dans les études. Ce vendredi, torse nu, il revient de la rivière où il est allé puiser de l’eau.
A cinq ans, Martin est la fierté de son père, Justin Botsimbo qui veut que son fils fasse « l’école des blancs ». D’ailleurs nous dit-il, au Campement, les visites sont nombreuses. Des blancs et noirs viennent parfois leur rendre visite. Ces rencontres permettent à Justin de comprendre qu’il faut surtout apprendre certaines choses de ces « gens ».
D’après Thérèse, ces visiteurs viennent pour voir « à quoi ressemble les pygmées ». Ils viennent leur poser des questions. En partant, insiste-t-elle, il leur offre « toujours » de l’argent et même des cadeaux. Elle s’arrête d’ailleurs pour nous en demander. Juste un « petit quelque chose pour nous permettre d’acheter du sel et les condiments au marché».
Justin, lui, se dirige vers un hangar recouvert de tôles. C’est un « ami », de passage au village qui le lui a construit, en signe d’au revoir.
« Il était très gentil », s’exclame-t-il. Il est 19 h 13 min, le village s’assombrit. L’obscurité gagne les cases. Nous demandons les lampes. Réponse : il n’y en a pas. Ils s’étonnent car, nous disent-t-ils, ils ont été habitués à vivre ainsi, au naturel. Une vie dont rêve Justin. Il veut aller à la chasse, tendre des pièges et cultiver ses herbes, comme avant.