L'Eglise catholique face à la transition politique au Cameroun

Pretre Catholic Photo d'archives utilisée à titre d'illustration

Tue, 9 Aug 2016 Source: Ludovic Lado

Dans sa livraison du 02 Août 2016, Cameroon Tribune, la caisse de résonnance du gouvernement Camerounais et par ricochet du parti au pouvoir publiait un appel d’une dizaine de pasteurs pentecôtistes adressé à Mr Biya, âgé de 83 ans et au pouvoir depuis 33 ans, pour qu’il se représente aux élections présidentielles prévues pour 2018.

«Nous vous demandons humblement, écrivent ces pasteurs, mais vivement d’accepter d’être le candidat que nous voulons pour la prochaine élection présidentielle que nous vous prions de tenir à la date qui vous conviendrait pour le bien de notre pays.» C’est quand même nouveau dans l’histoire récente de notre pays que des ministres de culte soient si explicites sur un tel sujet, qu’une organisation religieuse flatte aussi crument le prince. Ceci dit l’histoire des religions montre aussi que très souvent une telle drague religieuse du politique cache d’importants jeux d’intérêts, et ce n’est pas propre à quelques chapelles pentecôtistes. Encore au Cameroun aujourd’hui, des billets de banque circulent entre Etoudi et les leaders religieux en général, toutes dénominations confondues.

En lisant l’appel de mes collègues pentecôtistes, je me suis quand même demandé, à la lumière de l’évangile, si un Jean-Baptiste ou un Jésus pouvait signer un tel appel pour Hérode ou pour Pilate. J’en doute ! Mais pendant que ces leaders religieux se prononcent sans hypocrisie d’autres se taisent. La prise de parole comme le silence peuvent être « gombotiques », car la bouche qui mange ne parle pas et celle qui parle a peut-être faim. Qu’en est-il de l’église catholique et quelle peut être sa responsabilité face à la transition politique qui se profile à l’horizon au Cameroun ?

Nous voici à deux ans des prochaines élections présidentielles au Cameroun, des élections qui risquent de ne pas être ordinaires pour plus d’une raison. D’abord parce que l’âge du président sortant est un facteur d’incertitude permanent. Deuxièmement, nombre de prétendants au siège d’Etoudi ne sont pas satisfaits des règles du jeu démocratique, notamment le système électoral en vigueur qu’ils jugent inique.

Troisièmement, plus on va vers les élections plus on sent une crispation de la machine administrative en matière de libertés politiques. Quatrièmement, les difficultés d’accès aux services sociaux de base comme l’eau, l’électricité, la santé, etc. énervent constamment les citoyens. Cinquièmement, le succès de la lutte contre Boko Haram est conditionné par une situation politique stable. La stabilité du Cameroun dépendra de la capacité des Camerounais à mettre sur pied une stratégie de gestion de tous ces risques qui constituent une menace réelle pour la paix. Et je pense que dans l’état actuel des choses, l’église catholique du Cameroun a un rôle à jouer. Lequel ?

Concrètement, la hiérarchie catholique au Cameroun, si elle le veut, peut contribuer à la création des espaces de dialogue politique sur les conditions de possibilité d’une transition politique pacifique au Cameroun. Et l’une de ces conditions, c’est le retrait de Mr Biya. Le clergé Camerounais doit donc avoir le courage le moment venu de dire à Mr Biya que pour le bien commun, l’intérêt supérieur de la nation et pour son propre bien, il est souhaitable qu’il ne se représente pas aux prochaines élections. Récemment, les évêques l’ont fait au Burundi, en République démocratique du Congo, au Burkina Faso, etc.

Concomitamment, le clergé catholique camerounais doit oeuvrer pour qu’un consensus se dégage sur la nécessité de ne pas toucher à l’immunité de Mr Biya après qu’il ait quitté le pouvoir. C’est le moindre mal dans un contexte comme le nôtre. Mais si la conférence épiscopale camerounaise venait à se taire à un moment aussi critique de notre histoire, alors qu’elle se taise à jamais. Car, après coup, et souvent au coeur du pire, les lettres pastorales et les beaux sermons ne servent plus à rien. C’est à la limite une impiété !

Je peux comprendre qu’un laïc, parce qu’il a femme et enfants, ne prenne pas de risques pour demander un ordre social et politique plus juste. En effet, sa mort fragiliserait tout un foyer. Mais, un prêtre, un évêque, justement parce qu’il a choisi de ne pas se marier, devrait être le premier à prendre des risques pour la justice sociale. Nous avons sous les yeux l’exemple du Maître Jésus Christ dont la vie a été écourtée parce qu’il ne ménageait pas les autorités religieuses et politiques de son temps. Qui suivons-nous finalement ? Tout bon chrétien ne devrait pas vivre plus de 33 ans, l’âge qu’avait Jésus quand il a été crucifié, surtout pas dans un contexte comme le nôtre. Nous vivons plus longtemps parce que nous avons choisi un christianisme confortable, qui évite la croix. Ce n’est pas le christianisme de Jésus Christ : « Quiconque veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt  16, 24).

Par ailleurs, j’interpelle aussi les laïcs qui ont l’habitude de reprocher au clergé catholique de ne pas prendre les devants en la matière. Non, c’est d’abord à eux que revient la responsabilité d’insuffler les valeurs évangéliques dans la vie politique et ils n’ont pas besoin de la permission du clergé pour s’organiser afin de mettre leur foi au service de la justice et du bien commun. Peut-on vraiment parler de politiciens catholiques au Cameroun aujourd’hui ? Où sont-ils et que font-ils pour donner une autre image de la pratique politique dans notre pays? Sont-ils vraiment « la lumière du monde » et le « sel de la terre » comme le demande le Maître ?

Je me suis souvent demandé pourquoi notre pays a tant de mal à émerger alors que la quasi-totalité des Camerounais sont des croyants, toutes religions confondues. Beaucoup de ceux qui sont aux affaires sont d’anciens élèves des écoles ou collèges catholiques. Pourquoi cela ne se voit pas dans la gestion du bien public ? Bref, à quoi nous servent les religions en général et le christianisme en particulier si elles ne nous aident pas à nous changer pour changer notre pays ?

Quand notre ami Karl Marx disait que la religion est l’opium du peuple, il n’avait pas tout à fait tort. Elle peut tuer l’esprit. En effet, il faut se méfier de la religion qu’il convient de bien distinguer de la spiritualité. La religion est l’organisation institutionnelle de la vie spirituelle d’un groupe donné. Jésus a partagé une spiritualité, mais il n’a jamais vraiment créé une religion faite de rituels et de dispositions institutionnelles. Le christianisme s’est alors constitué pour la systématisation, la distribution et la consommation du message de Jésus. Mais il arrive qu’une religion se vide de sa spiritualité pour ne plus conserver que des formes vides, sans contenu. C’est alors que la lettre qui tue prend le pas sur l’esprit qui donne la vie. La création des nouvelles églises est probablement un des business qui marche le mieux en Afrique aujourd’hui, parce que nos peuples meurtris par l’injustice sont en quête d’espérance et de guérison qu’ils ont du mal à trouver dans les églises missionnaires classiques.

Mais que dirons-nous à Dieu quand nous paraîtrons devant lui ? Que nous étions à la messe tous les dimanches, que nous payions notre denier de culte régulièrement, que nous collectionnions les sacrements, que nous récitions le chapelet, que nous étions aux veillées de prières, etc. pendant que les loups dévoraient le bien de la veuve et de l’orphelin ? Alors, écoutons bien la réponse du Maître : « Ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur! n'entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Plusieurs me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé par ton nom?

n'avons-nous pas chassé des démons par ton nom? et n'avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom? Alors je leur dirai ouvertement: Je ne vous ai jamais connus, retirezvous de moi, vous qui commettez l'injustice. » (Mt 7, 21-23).

Auteur: Ludovic Lado