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L’Etat et la répression de la démocratie au Cameroun

LeprésidentBiya Paul Biya Yaoundé Le président camerounais, Paul Biya

Tue, 13 Dec 2016 Source: Enoh Meyomesse

L’Etat au Cameroun, probablement plus qu’ailleurs, est un Etat essentiellement répressif. Il a continué dans la lancée de l’Etat colonial. Cela est une conséquence directe de la décolonisation singulière qu’a connue le pays. Toutes les fois qu’il y a eu des manifestations publiques, il a frappé, et les morts se sont comptés par dizaines, voire par centaines, sans que nul ne soit inquiété en quoi que ce soit du côté des «forces de maintien de l’ordre». L’Etat leur garantit une totale impunité. Il est ainsi, par ce comportement, un des plus grands murs contre lequel se heurte l’exercice de la démocratie au Cameroun.

A – Pleins pouvoirs et candidature unique à l’élection présidentielle

Paris a commencé par imposer à l’Assemblée Législative du Cameroun, ALCAM, le 29 octobre 1959, l’octroi des pleins pouvoirs à Ahmadou Ahidjo, afin de lui permettre d’appliquer la première constitution du pays, totalement anti-démocratique, et véritablement monarchique, conçue par la France. Le point de vue du député Kemajou Daniel, est assez édifiant sur ce point:

« M. Kemajou : Le projet gouvernemental sur les pleins pouvoirs soulève de notre part plusieurs observations. Les pleins pouvoirs permettraient (…) d’élaborer le projet de Constitution hors de l’Assemblée, de préparer une loi électorale, de résoudre par des échanges de lettres les problèmes d’ordre international, d’élaborer des conventions avec la puissance tutélaire qu’est la France, et, enfin, de concentrer, entre les mains d’une seule et même personne les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaire, c’est-à-dire d’instaurer une dictature, le pouvoir personnel ou, en d’autres termes, le règne du bon plaisir, de l’omnipotence policière, des camps de concentrations, des déportations, des arrestations et emprisonnements arbitraires, des exécutions sommaires, des pendaisons, des licenciements arbitraires et abusifs des fonctionnaires, des persécutions des étudiants dans les lycées et collèges, du chômage, de la misère noire, des injustices sur injustices, de l’esclavage, etc, etc, etc.» (1)

(…) Au nombre des cibles privilégiées de l’Etat dictatorial mis en place par Ahidjo, figuraient en bonne place les étudiants.

1973-1976-1981: «l’ordre régnera par tous les moyens»

1973. Fin novembre, début décembre. Grève à l’Université de Yaoundé. Les étudiants se plaignent pour diverses raisons. Jean Fochivé, le terrifiant patron de la police politique du régime, est le premier sur les lieux. Comme à l’accoutumée, son diagnostic, connu d’avance, est énoncé : les étudiants sont manipulés par les opposants au régime, ces «pêcheurs en eau trouble» qui, bien que vaincus,«n’ont pas baissé les bras». C’était le genre de propos qu’adorait entendre Ahmadou Ahidjo. Aussitôt, l’armée est dépêchée sur les lieux. Elle tire. Combien de morts il y-a-t-il eu ce jour-là ? Le samedi d’après la fusillade, le ministre des Forces Armées, Sadou Daoudou, au cours de l’émission de Radio Cameroun consacrée aux militaires, «Honneur et fidélité», justifie l’action de l’armée :

«…ce pays a beaucoup trop souffert pour obtenir la paix, nous ne transigerons pas devant les fauteurs de troubles. Ce n’est pas parce que l’on est étudiant que l’on peut se permettre de faire de la subversion. Si c’était à recommencer, nous recommencerons…» (2)

Inutile de dire que cette déclaration du ministre d’Ahmadou Ahidjo avait glacé d’effroi la population (…)

1976: nouvelle grève des étudiants. Cette fois-ci, des tracts du Manifeste National pour l’Instauration de la Démocratie, Manidem, de Woungly Massaga, avaient inondé le campus. Ils y avaient été distribués en l’espace d’une nuit. Sans autre forme de mesure, l’armée avait de nouveau été déployée sur les lieux. Il s’en était suivi de nombreuses arrestations d’étudiants. La répression qu’avaient subie ces malheureux avait été terrible. Cette fois-là, par bonheur, l’armée n’avait pas trouvé le moyen de tirer, car la cible était inexistante. Néanmoins, elle avait fracassé de nombreuses portes de chambrettes d’étudiants, tout autour de Ngoa Ekele, à la recherche de tracts. Ce faisant, elle avait bastonné un grand nombre d’étudiants, violé des jeunes filles. Les malchanceux identifiés comme «meneurs», s’étaient retrouvés entre les mains du sinistre Jean Fochivé. Une camarade d’enfance de l’auteur de ce livre, prénommée Rité, est tombée hémiplégique, à la suite des effroyables tortures subies, pendant plusieurs années, dans les geôles de la BMM. Sa vie est, aujourd’hui, détruite.

Au mois de juin de la même année, quelque temps après ces arrestations, Ahmadou Ahidjo s’était retrouvé en vacances en France. Entre deux promenades, il avait accordé une interview à France Inter, (ne pas confondre avec RFI), au cours d’une émission dénommée Radioscopie, animée par un journaliste du nom de Jacques Chancel, et diffusée quotidiennement à 17 h. La communauté camerounaise en France, dans sa grande majorité, l’avait suivie, de bout en bout.

Nous nous trouvions, à l’époque, à la cité universitaire de Rouen, dans le Nord-Ouest de la France. A la question posée sur la nature de son régime et les événements de l’université de Yaoundé, celui qui aimait se faire appeler «père de la nation», avait ainsi répondu, tout de go : «…l’unité nationale et la paix sont fragiles au Cameroun, il faut, en conséquence, de la fermeté pour préserver ces précieux acquis du peuple camerounais…» (3)

(…) 1991: Paul Biya est déjà au pouvoir. Les étudiants de l’université de Yaoundé, dans leur majorité, sont plutôt partisans de la tenue d’une Conférence Nationale Souveraine. Le régime ne l’entend pas de cette oreille. L’armée est déployée dans le campus. Sa barbarie est telle qu’elle demande aux étudiants d’entonner un chant qu’elle avait spécialement composé pour ceux-ci :

«…mon C.E.P.E. dépasse ton baccalauréat, chante ! encore ! mon C.E.P.E. dépasse ton baccalauréat, chante ! encore ! mon C.E.P.E. dépasse ton baccalauréat, chante ! encore !»

On connaît la suite de la chanson: «zéro mort…». Morts imaginaires ou pas, il y a toutefois une chose à retenir (…)

Les événements de février 2008 (…)

Mais, pendant la chaude semaine du 25 au 29 février, à sa plus grande stupéfaction, Yaoundé a cessé de «respirer». Panique générale. Le président de la République est alors apparu, totalement transfiguré par la colère et le désarroi, à la télévision. Sa déclaration ? (…)

De ce discours lu sans exécution, préalable, de l’hymne national, trois choses importantes sont à retenir :

1/- la mise en cause de la jeunesse: «… des bandes de jeunes auxquels se sont mêlés des délinquants attirés par la possibilité de pillages …»

2/- l’Etat va sévir:«…Tous les moyens légaux dont dispose le Gouvernement seront mis en œuvre pour que force reste à la loi.»

3/- Le Cameroun est un Etat de droit: c’est la rhétorique habituelle au Cameroun. Toutefois, ce que se gardent bien de dire ceux qui y ont recours, est que des lois ont été confectionnées pour protéger un groupe d’hommes, et pas forcément toute la population.

C’est ainsi que les régimes les plus terribles sont basés sur le droit. Ils sont bel et bien des Etats de droit. Le régime hitlérien, le régime mussolinien, le régime stalinien, le régime colonial, l’apartheid, en Afrique du Sud, tous ces régimes iniques se réclamaient du droit, et sont de ce fait, bel et bien des Etats de droit. Ils n’agissent pas de manière arbitraire. Ils respectent le droit, leur droit. En conséquence, lorsque l’on a recours à l’argument selon lequel un Etat quelconque est un Etat de droit, cela ne signifie guère que celui-ci est un Etat juste, qui garantit le bien-être général de la population. Pas du tout.

(…) De même, les soldats ont effectué une descente dans le campus de l’université de Yaoundé I. Ils y ont éventré d’innombrables portes, tabassé des dizaines d’étudiants, au motif que ces derniers hébergeaient des «apprentis sorciers», selon l’expression du président de la République, s’ils ne l’étaient pas, eux-mêmes. Le lendemain de leur descente infernale dans le campus, plusieurs étudiants avaient des yeux au beurre noir, des lèvres tuméfiées, des bras et des jambes cassées. Ces victimes du retour musclé à l’ordre par tous les moyens «…Tous les moyens légaux dont dispose le Gouvernement seront mis en œuvre pour que force reste à la loi.»

« … Les étudiants Ntyam Freddy Lionel, Zambo Franck Thierry, Bikoé Jean Renaud, Ebo’o Félicien, Esselem Irénée ont eu des blessures profondes au niveau de la tête et des jambes brisées. Des dégâts matériels fort importants ont également été enregistrés (des portes de chambres défoncées, des scènes de pillage, etc.)

Plusieurs étudiants de diverses universités du pays, arbitrairement interpellés, ont été victimes de mauvais traitements, de tortures et de détentions tout aussi arbitraires dans les commissariats et brigades de la République. En l’état actuel de ses investigations, l’ADDEC en a établi une liste – non exhaustive : Abia David, University of Buea, Ancien Président de l’UBSU, signataire de la déclaration du Conseil patriotique et populaire de la Jeunesse (CPPJ) du 17 février dernier ; Ngoya Carlos, University of Buea, ex-Vice-président de l’UBSU ; Tchiengwa Djomo Paul Merlin, Université de Yaoundé I, Faculté des Sciences, Filière Sciences de la Terre Niveau 4 ; Sandjong Yannick, Université de Yaoundé I, Faculté des Sciences, Filière Chimie (CH3) ; Njutapmvoui Ernest Dubois, Université de Yaoundé I, Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines –FALSH- Histoire Niveau 3 (Histoire 3) ; Onvoha Ernest Lincoln Université de Yaoundé I, Faculté des Arts, Let-tres et Sciences Humaines, FALSH, Arts du Spectacle (AS); Signs Kasiney Gama, Université de Yaoundé I, Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines, FALSH, Linguistique Générale Appliquée Niveau4 (LGA4) ; Osake Robert, University of Buea, Level 300, Economics ; Oben Benjamin, University of Buea, Level 200, Education ; Nyemo Betumami Charles, University of Buea, Level 200, Environmental Science ; Engwoh Ngoh Abia, University of Buea, Level 300, Sociology ; Ngu Bongen Blandon University of Buea.» (4)

Quant aux arrestations, les soldats ont conduit au parquet, plus de 1600 jeunes gens, qui ont écopé de peines de prisons s’étalant de deux à quinze ans ! Ainsi que l’avait annoncé le président de la République, «…force reste à la loi». Lors du conseil des ministres du vendredi 07 mars 2008, qui a suivi cette barbarie, ce dernier n’a pas desserré les dents.

«…Il a à peine tendu la main au Premier ministre, certainement parce qu'il était à côté de lui. Puis, il s'est mis à lire sa communication spéciale. D'abord d'un ton calme. Et, subitement, d'un ton grave. Je n'ai jamais vu le président dans un tel état… remarque un membre du gouvernement. Au bout de 20 minutes, il a conclu et s'est levé pour partir. Face aux hésitations de son protocole, Paul Biya demande s'il n'y a personne pour lui ouvrir la porte. Sur ces entrefaites, M. Badel Ndanga Ndinga, officiant dans son rôle de secrétaire des conseils ministériels, fait un saut inespéré, manœuvre rapidement et ouvre la porte au Chef de l'Etat qui laisse derrière lui un gouvernement quelque peu perdu voire désemparé…» (5)

Pour sa part, le Conseil Patriotique et Populaire de la Jeunesse, a rendu public la déclaration suivante :

«… Les jeunes condamnent cet usage disproportionné et scandaleux de la violence d’Etat, mobilisée contre les civils désarmés émeutiers, mais citoyens malgré tout. Ils s’étonnent en outre que la gestion des émeutes urbaines ait pris des allures d’une guerre contre le peuple, au vu de tous les corps de la police, de la gendarmerie et de l’armée (corps d’élites compris) mobilisés contre les populations, de l’artillerie lourde (canons et chars d’assaut) aperçue dans certaines rues de Yaoundé en cette circonstance, et surtout au vu de la centaine de vies humaines supprimées à travers le pays du fait des tirs sans sommation des forces armées et de l’usage des balles réelles contre les manifestants. (…) les jeunes dénoncent les conditions de détention, les mauvais traitements et les actes de torture infligés aux milliers de jeunes prévenus, ainsi que la diabolisation et la stigmatisation facile des émeutiers qui ne rendent pas compte de la complexité des problèmes et ne contribuent pas à la compréhension des causes du mal.

Les jeunes dénoncent tout autant la caporalisation du pouvoir judiciaire par l’exécutif, avec pour conséquence des procès expéditifs et commandés, la violation préméditée des droits de la défense, les multiples abus des juges manifestement aux ordres, les pression sur le barreau au fin d’empêcher l’exercice équitable de la justice et la violation scandaleuse du code de procédure pénale (…) par ailleurs, les jeunes ont du mal à comprendre que le bas peuple et les émeutiers de la faim, victimes de la mal gouvernance en vigueur, soient livrés à la mort ou à la prison sans jugement pour avoir exprimés leur ras-le-bol, alors même que le pillage de la fortune publique, infiniment plus dévastateur et perpétré depuis des décennies par des criminels à cols blancs souvent dissimulés dans le gouvernement ou au parlement, restent globalement impunis, bénéficiant, au contraire, de la complaisance hypocrite des autorités publiques. Remarquent que, à situation de crise comparable, au Burkina Faso pendant la même période, il y a eu 200 interpellations, et à peine 29 condamnations…» (6)

Auteur: Enoh Meyomesse