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L’armée ne peut pas vaincre les sécessionnistes- Dieudonné Essomba

Dieudonné Essomba Camer Le Cardinal Tumi a initié une conférence générale des anglophones

Mer., 1 Août 2018 Source: Dieudonné Essomba

L’initiative de Monseigneur Tumi, par-delà des exigences parfois exorbitantes, est très salutaire et mérite d’être suivie avec intérêt. Ceux qui se font des illusions sur l’éradication du mouvement sécessionniste par les moyens militaires se trompent lourdement. Une guérilla sécessionniste n’a pas pour vocation de battre l’armée : elle n’en a pas les moyens.

Son but est de mettre l’Etat à genoux en l’épuisant, et c’est cela que font les rebelles anglophones. Leur action se fait en ciseaux :

-d’un côté, elle soumet l’Etat à d’importantes charges de défense, de sécurité et reconstruction, explosant le budget qui y est consacré au détriment d’autres postes essentiels, comme la santé, l’éducation, les infrastructures, etc.

-de l’autre côté, elle réduit les sources de revenu de l’Etat, en déstabilisant les réseaux économiques. Les rebelles anglophones ainsi ont anéanti les flux commerciaux dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest et avec le Nigeria, conduit la PAMOL à l’arrêt des activités, déstabilisé le fonctionnement de la CDC, réduit la production du cacao de 80% au Sud-ouest, sans compter d’autres activités.

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Le but poursuivi est de saigner le Trésor Public à blanc et de conduire l’Etat à l’impossibilité opérationnelle de mener correctement ses activités, entraînant un important ralentissement, voire un abandon des investissements prévus.

Une Sécession n’agit donc pas comme un lion qui déchiquète l’Etat avec des griffes et des crocs, mais comme un serpent qui injecte le venin dans le corps de l’Etat et le ronge de l’intérieur.

Je l’ai dit et redit, il n’existe aucun moyen humain par lequel l’Etat unitaire du Cameroun peut vaincre la Sécession anglophone. Aucun ! C’est ABSOLUMENT impossible : l’Etat du Cameroun est beaucoup trop petit, beaucoup trop sous-développé, beaucoup trop en difficulté économique pour réduire militairement une Sécession représentant 20% de sa population.

Et ceux qui espèrent ou attendent que la Sécession dépose un jour les armes sont d’une puérile naïveté. Une Sécession est une rébellion d’un type très particulier : elle ne vise pas à conquérir le pouvoir d’Etat, mais à sortir d’une Communauté nationale qu’elle considère comme force occupante. C’est un état d’esprit qui se nourrit de haine et d’une spirale de provocation-répression sans fin. Ce n’est pas une affaire d’un jour et il faut compter au moins 50 ans, le temps de deux ou trois générations pour espérer un changement d’esprit de la communauté rebelle.

Des gens qui ont commencé avec les mains nues, et ont pu s’armer ne peuvent jamais se débarrasser de leurs armes. C’est même un non-sens que d’attendre que des individus qui craignaient le moindre arrêté du plus petit sous-préfet, mais qui ont fini par attaquer l’Etat et à confiner les autorités administratives dans les grandes villes hypersécurisées, des gens qui ne craignent plus de s’attaquer au cortège d’un Ministre de la Défense accompagné de 6 Généraux puissent baisser les armes.

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Dans cette histoire, ce ne sont pas les Sécessionnistes qui souffrent, mais les populations et surtout l’Etat. C’est l’Etat qui est harcelé à tout instant, c’est son autorité qui est démolie, c’est sa puissance qui est désacralisée. C’est surtout le doute sur ses capacités à assurer son autorité qui monte en force : les Villes Mortes imposées par les Sécessionnistes sont appliquées à la lettre, sans que l’Etat puisse les empêcher malgré ses efforts. Par ailleurs, ceux qui osent afficher ouvertement leur soutien à l’Etat sont enlevés et battus, voire exécutés.

Les Sécessionnistes imposent leur ordre sans que l’Etat puisse arrêter cette dynamique infernale, et il n’y a rien à attendre d’eux. Absolument rien : au lendemain de la rencontre du clergé anglophone qui a proposé cette Conférence, AYABA CHO a fait une déclaration largement relayée par le NET.

Une déclaration extrêmement dure et haineuse, où il n’ouvrait aucune perspective de négociation autre que « l’indépendance » de leur Ambazonie, menaçant les Anglophones qui n’étaient pas ouvertement sécessionnistes de traitres.

Vous voyez des individus de cette nature baisser les armes ? Surtout qu’ils ont le vent en poupe et le temps avec eux ? C’est de la blague pure !

Cela est connu, on ne dialogue pas et on ne négocie pas avec une Sécession. On l’étrangle en lui opposant un ennemi local sous la forme d’un Etat régional, lequel ratatine la Sécession par un effet également en ciseaux :

-d’une part, l’Etat Régional réduit son attractivité, car un grand nombre de personnes se contentent volontiers d’une autonomie de type fédéral. Celle-ci leur procure une autonomie suffisante qui les dissuade de l’aventure d’une indépendance totale. La Sécession cesse alors d’être alimentée par des mécontents.

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-d’autre part, l’Etat Régional dispose d’au moins de la même légitimité auprès des populations et de la même connaissance du terrain que la Sécession. L’administration et la police locales qui sont acceptées par la population et n’ont pas les traits d’une force d’occupation comme l’Armée Nationale combattent plus efficacement le mouvement sécessionniste, les forces fédérales venant en appui.

Certes, rétorquera-t-on, la Fédération ne fait pas disparaitre les Sécessions qui sont pratiquement éternelles, mais elle les contrôle et les maintient à un niveau bas. A ce propos, certains évoquent le Nigeria qui est fédéral et entretient néanmoins les Sécessions : personne n’en doute. Mais si le Nigeria n’était pas fédéral, il n’existerait plus du tout ! Son modèle permet de sous-traiter les mouvements sécessionnistes aux Etats Régionaux, la Fédération venant en appui.

Du reste, l’Etat unitaire n’empêche pas les Sécessions, sinon celui du Cameroun aurait empêché la Sécession anglophone. Il les amplifie plutôt, avec sa prétention à imposer aux Communautés sa vision bureaucratique et néocoloniale de l’unité nationale. Et tout le monde convient que ce désir de garder tout le pouvoir et toutes les ressources à Yaoundé, malgré la Constitution de 1996 qui avait prévu la décentralisation est responsable de la profondeur de la crise.

Cette folle équipée militaire pour imposer l’ordre « unitaire » au nom d’une approche idéologique et non pragmatique de l’Etat finira mal et va échouer de toute façon. L’Etat unitaire n’a pas les moyens politiques, économiques, financiers, diplomatiques pour réduire militairement la Sécession anglophone.

Il faut en prendre acte et envisager les moyens d’en sortir au plus tôt. Il ne faut pas que l’Etat épuise les maigres ressources de la Nation juste pour cette aventure, au point où on ne pourra plus rien faire d’autre. Faut-il qu’on perde la CAN ou qu’on en arrive à des baisses de salaire des agents publics pour comprendre que nous avons fait fausse route ?

L’initiative du clergé anglophone est on ne peut plus salutaire et ouvre une perspective intéressante pour sortir de cette mélasse. Si on peut supputer qu’une telle initiative ne peut pas aboutir à des résolutions prônant la Sécession, on peut néanmoins être sûr et certain qu’elle va condamner l’Etat unitaire dont les Anglophones ne veulent plus.

Il faut donc l’encourager, même si on n’est pas obligé de céder à tous les préalables. Il faut surtout ouvrir la porte à un modèle fédéral comme le maximum acceptable pour l’Etat. Cela évitera que la Conférence ne vienne proposer une Confédération pure et simple, car malheureusement, c’est vers cette perspective que l’aveuglement et l’arrogance du régime nous a conduits.

Et surtout, il faut cesser d’assimiler abusivement l’Etat unitaire à l’unité nationale. C’est archifaux, c’est contreproductif et c’est belligène. Il est important que nous intégrions une fois pour toutes qu’au Cameroun, l’Etat unitaire, c’est terminé.

C’est le mot « unitaire » lui-même qui est la source et le carburant de la guerre, après avoir été la matrice de la mauvaise gouvernance.

C’est ce mot qui est le problème et ce mot doit être proscrit de la Constitution et de tout le vocabulaire politique du Cameroun.

Auteur: Dieudonné Essomba