L’énigmatique stratégie de Me Akere Muna

Akere Muna Campagne Akere Muna

Mon, 23 Jun 2025 Source: Julie Foka

Le candidat Akere Muna semble aujourd’hui s’engager dans une pente glissante : celle de se présenter comme le candidat des anglophones. Je le dis tout net : cette posture est, à mes yeux, plus pernicieuse encore que le discours équivalent tenu chez certains nordistes, dont Guibai Gatama semble être la tête de proue.

Pourquoi ? Parce que les nordistes, eux, ne prennent même plus la peine de déguiser leur logique tribale : ils comptent sur leur « grand nombre » pour forcer la balance électorale, quitte à l’arracher au forceps, sur le fait qu’ils (l’UNDP de Bello Bouba ou le FSNC de Tchiroma) connaissent parfaitement les mécanismes de tricherie massive qu’ils ont, le temps de leur partenariat avec le RDPC, mis en place dans le Grand Nord pour truquer les élections à leur avantage, et ils comptent utiliser cet outil de triche massive contre leur ancien allié d’hier... En partant du principe qu'ils sont sérieux dans leurs fronde contre l'ancien partenaire et ça, ce n'est pas sûr ! , mais là n'est pas le sujet de ma réflexion du jour.

J'é disais que chez M. Muna, c’est autre chose. En suivant sa logique qui consiste principalement à appuyer sur son groupe linguistique et ethnique, les anglophones ne représentant qu’environ 19 % de la population, on peine à voir quelle arithmétique électorale crédible pourrait soutenir son ambition. Faut-il en déduire qu’il miserait sur un mécanisme autre que démocratique pour accéder à la magistrature suprême ? Une aide étrangère ? Une imposition en coulisses par quelque main invisible ? Autrement dit, sur tout sauf le suffrage du peuple camerounais ? Il m’échappe encore en quoi ce repli identitaire mal camouflé serait une stratégie sérieuse, sinon un pari sur la frustration de certains et la distraction des autres.

À chaque saison électorale, à chaque soubresaut de la marmite républicaine, il en est toujours pour ressortir cette vieille rengaine aux relents communautaristes : « Il est temps qu’un anglophone soit président du Cameroun ». Comme si la République était un buffet ethnique, où chacun devrait passer à tour de rôle pour servir sa part. À force de confondre la diversité culturelle avec une loterie politique, à force de réduire l’aspiration démocratique à une affaire de quota régional, on finit par trahir ce qui fait justement la force d’une République : l’universalité du mérite, et non l’identité de naissance. Ce n’est pas parce qu’on parle anglais qu’on mérite la présidence, pas plus qu’on ne devient chirurgien parce qu’on a regardé la série télévisée Dr House.

S'il fallait encore rappeler cette évidence, ce que l’anglophone mérite, c’est ce que chaque citoyen mérite : un État de droit, une justice équitable, des infrastructures dignes, et un accès égal à la compétition politique. Ce qu’il ne mérite pas, c’est une présidence par compassion linguistique ou par héritage géographique.

Donc, lorsque un individu de la trempe de Me Muna fonde sa légitimité présidentielle sur le simple fait d’être né dans le Nord-Ouest ou le Sud-Ouest, il ne s’élève pas, il réduit la République à un club ethnique. Et ce n’est pas mieux que ces autres aventuriers du septentrion qui chantent, la main sur le turban, qu’« après Biya, le pouvoir doit revenir au Nord ». Même égarement. Même poison. Le Cameroun ne se guérit pas de l’exclusion par une nouvelle exclusion. Il ne se réconciliera pas en inversant les oppressions, mais en dissolvant les logiques tribales dans une ambition commune.

J’entends déjà les cœurs blessés : « Mais Julie, tu ne comprends pas la marginalisation anglophone ! » Si, je la comprends. Trop bien même. Mais ce n’est pas parce qu’on a été marginalisé qu’on a vocation à diriger. La souffrance n’est pas un diplôme de gouvernance. À ce compte, les orphelins du régime devraient tous devenir ministres.

Si nous voulons sortir de l’impasse, cessons de penser en termes de « qui » doit gouverner, et demandons plutôt comment et pourquoi. Car une dictature anglophone reste une dictature. Une kleptocratie bakossi n’a rien de plus enviable qu’une autocratie béti. Et un Cameroun juste ne peut naître que d’une vision inclusive, pas d’un repli nostalgique ou d’une vengeance identitaire.

À ceux qui veulent gouverner, qu’ils parlent anglais, français ou douala, je ne poserai qu’une seule question : Quel est votre projet pour ce pays ? Le reste, vos origines, vos langues, vos ancêtres, c’est folklorique. Pas politique.

Auteur: Julie Foka