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La corruption est-elle finalement un levier de gouvernance ?

Sat, 18 Jun 2016 Source: BALOUM AMCHIDE

Ineffectivité de l’article 66, black-out sur la loi anti-corruption, inefficacité du dispositif existant.

On s’en souvient comme si c’était hier et cela est de tradition, la CONAC (commission Nationale anti-corruption) crée en 2006 en remplacement de l’observatoire national, a procédé à sa présentation annuelle et publique du rapport sur l’état de la corruption au Cameroun le 25 novembre 2015. La même tradition veut qu’inexplicablement, le rapport présenté ne soit jamais celui de l’année en cours, ni celui de l’année écoulée.

Aussi, s’agissait-il de l’année 2013. Qu’avait-on retenu de ce document de 218 pages qui reste d’ailleurs en vigueur à date ? Juste ce qu’on savait déjà. La corruption n’a ni reculé, ni stagné. Elle s’est même sophistiquée. Toutefois la CONAC n’a pas rien fait. Les dénonciations et évidemment les expériences de corruption sont passées du simple au double.

45 dossiers correspondant à un flux financier de 130 milliards ont été transmis en justice par la CONAC, 33 personnes ont été mises en débet par le CONSUPE, 22 personnes ont été condamnées par le Tribunal Criminel Spécial avec recouvrement de 2 milliards, bref, par ses actions directes ou indirectes la CONAC estime avoir fait recouvrer 50 milliards et demi à l’Etat du Cameroun en 2013. Néanmoins, Dieudonné Massi Gams, Président de ladite commission, en personne, a donné au bout de cet élogieux constat, la note 3,5/10 à la lutte nationale contre le fléau. En simple pourquoi la corruption est-elle devenue une maladie incurable ?

Quand le laxisme entraine l’irréparable !

Dans l’ouvrage intitulé Les proverbes de Paul BIYA, publié en 1997 à Yaoundé aux Editions Carrefour par Hubert MONO NDJANA, sur le premier proverbe analysé, « rigueur », il écrit « l’on ne comprendra jamais pourquoi le couple –rigueur et moralisation- a disparu brusquement des discours officiels, pendant de très longues années. Bien qu’on l’utilisât encore en mars 1985 au Congrès de Bamenda, (…) les maux qu’il était censé combattre connurent un regain de recrudescence au point que c’est pendant la très longue récession économique qui a étranglé le Cameroun dans la décennie 1987-1997, que les plus grosses fortunes, hors de toute imagination ont, vu le jour.

C’est en cette période que les immenses cylindrées françaises, allemandes et surtout asiatiques ont déferlé sur nos routes, et que les châteaux les plus futuristes ont jailli de terre. ». C’est vrai que le 17 décembre 1996 Paul BIYA dans son discours d’ouverture du 2ème congrès ordinaire dira « la lutte contre la fraude et la corruption a été relancée ».

Ce que le Président n’a pas dit et que MONO NDZANA a éludé est que, comme 6 ans plus tôt, lorsqu’il annonçait l’ouverture démocratique, la relance de la lutte contre la corruption était une exigence forte des bailleurs de fonds qui l’avaient posé comme préalable pour maintenir le Cameroun dans le régime drastique de redressement économique des institutions de Bretton Woods. En fait, l’ordre gouvernant camerounais avait visiblement en antipathie, deux choses : la démocratie immédiate et la lutte effrénée contre la corruption. Mais sous la contrainte du régime de la conditionnalité imposé par les bailleurs de fonds, il s’est résolu à s’y soumettre.

Et comme tout le monde sait, il y a toujours une différence entre ce qu’on fait volontairement et ce qu’on fait par contrainte. Du coup, la solution n’est pas dans l’encombrement des instruments de lutte, mais dans l’efficacité et l’efficience de ceux-ci, deux prédicats d’une volonté réelle et effective et non d’un simulacre politique.

Un paysage encombré de textes et d’organes : à quel but ?

La Convention des Nations Unies contre la Corruption encore appelée la convention de Mérida entrée en vigueur le 29 septembre 2003, a été signée le 10 décembre 2003 à Mérida au Mexique par le Cameroun et ratifiée le 6 février 2006. Cet engagement international est advenu dans un contexte de saturation textuelle et institutionnelle qu’il faudrait absolument uniformiser dans un texte-loi unique, s’inspirant du modèle du code électoral. 237online.com Sorte de codification à droit constant qui donnerait plus de lisibilité à la lutte contre le fléau et contiendrait les effets pervers de l’éparpillement. Mais encore faudrait-il que les textes déjà adoptés au-delà de leur efficacité, soient effectifs.

L’article 66 de la Constitution du 02 juin 1972 modifiée par les lois de révision du 19 janvier 1996 et du 14 avril 2008 dispose que : « Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement et assimilés, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée Nationale, le Président et les membres du bureau du Sénat, les députés, les sénateurs, tout détenteur d’un mandat électif, les Secrétaires généraux des ministères et assimilés, les directeurs des administrations centrales, les directeurs généraux des entreprises publiques et parapubliques, les magistrats, les personnels des administrations chargés de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques, tout gestionnaire de crédit et de biens publics, doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction. Une loi détermine les autres catégories de personnes assujetties aux dispositions du présent article et en précise les modalités d’application. ».

Cette disposition a été enrichie d’une loi celle n° 003/2006 du 25 avril 2006 sur la déclaration des biens et avoirs qui a crée une Commission en charge de la déclaration des biens. Curieusement, ses membres ne sont pas encore nommés jusqu’à ce jour.

Dans le prolongement de l’ordonnance du 31 mars 1962 réprimant les infractions commises au préjudice de la fortune publique, et du Code pénal, le Cameroun sous le règne du renouveau, nous le rappelions d’entame, a démultiplié les initiatives depuis 1997 par l’adoption du plan gouvernemental de lutte contre la corruption, suivi des comités sectoriels de lutte contre la corruption. Le PNG (programme national de Gouvernance reconfiguré en 2005 n’a produit que des résultats très mitigés.

L’avènement de l’ANIF (l’Agence Nationale d’Investigation Financière) en mai 2005 et la CONAC en mars 2006 n’y a pas changé grand-chose. La Chambre des comptes de la Cour Suprême créée par la Constitution de 1996 et activée par une loi d’avril 2003 tarde inexplicablement à s’ériger en Cour des comptes nonobstant les engagements du Cameroun auprès des bailleurs accompagnateurs à cet effet, mais également ses excellents rapports annuels, épinglent des gestionnaires publics indélicats qui, devrait-on s’en étonner, jouissent toujours de la pleine confiance du Chef de l’Etat en parfaite impunité.

Le Conseil de Discipline Budgétaire et Financière du Ministère du CONSUPE crée en 2004 connait reconnaissons-le quelques éclatants succès en terme d’affichage médiatique tonitruant de quelques gestionnaires coupables de fautes de gestion. Le principal hic étant le caractère parfois empressé de certaines conclusions dont les insuffisances procédurales trahissent aux yeux d’une partie de l’opinion, des relents de règlements de comptes. Le fameux TCS (Tribunal criminel spécial (re)crée en décembre 2011 bat son plein de condamnations les unes plus spectaculaires que d’autres, sur fond de curieuse sélectivité et d’étrangéités procédurales. Certains n’hésitent plus à parler d’épuration politique…

Que dire des « fruits » de la coopération internationale tels le Programme CHOC (Change habits and oppose corruption) promu par des bailleurs de fonds, logé au Premier Ministère dont les résultats après son extinction restent introuvables, quid de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) dont la validation internationale laborieuse n’est pas encore suivie de résultats probants en dehors des campagnes de sensibilisation à impact très modéré, ou encore le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs du NEPAD (MAEP) dont l’entrain semble s’émousser avec la chute d’Abdoulaye Wade son fervent promoteur.

Que penser alors de l’initiative STAR de la Banque Mondiale avec ses multiples commissions rogatoires souvent annoncées à grand renfort médiatique mais toujours confusionnelles dans leurs résultats ? A ne surtout pas oublier, l’installation en 2015 à l’Assemblée nationale, des Députés-Rapporteurs spéciaux institués par la loi portant Régime financier de l’Etat de 2007 dont le rôle est d’effectuer des contrôles inopinés sur pièce et sur place auprès des gestionnaires des fonds publics. Nul doute qu’on entendra parler d’eux au jour où le parlement camerounais saura ouvrir des enquêtes parlementaires…

Auteur: BALOUM AMCHIDE