La francophonie du président Paul Biya ne pouvait que laisser des traces chez les anglophones du Cameroun… après 41 ans au pouvoir, dont 34 comme président et 7 comme premier ministre dans ce pays, créé par les Allemands, et utilisé comme butin de guerre par les Anglais et les Français
En effet c’est autour de cette origine allemande que se construit toute l’histoire du nationalisme camerounais. Tout commence avec la naissance du parti UPC – Union des Populations du Cameroun – en 1948, dont le but est d’obtenir le non-renouvellement du mandat que les Nations Unies ont accordé à la France et à l’Angleterre et de rétablir l’intégrité territoriale du Kamerun, qu’ils écrivent avec un “K” pour préciser qu’il s’agit bien du Cameroun Allemand. Ayant perdu contre la France sa guerre de libération nationale, l’UPC voit ses revendications, dont la réunification avec le Cameroun anglophone, récupérées par le président à qui les Français vont donner “l’indépendance » sans élection : Ahmadou Ahidjo, en 1960. La réunification va se faire, mais elle est pilotée par la France qui, dès 1971, lorgne sur le pétrole se trouvant aux larges de ce territoire dit du Cameroun “occidental” et orchestre une réunification qui « larbinise » les anglophones. John Ngu Fontcha l’anglophone, vice-président de l’État fédéral, n’a aucun pouvoir. La réunification fera du Cameroun la République Unie du Cameroun après un referendum truqué, où l‘on demande aux Camerounais de choisir entre « oui » et « yes ».
Bien que se présentant comme bilingue, le Cameroun de Paul Biya continue à être aujourd’hui sous le joug français comme toutes les autres colonies françaises. Il partage avec ces dernières la copie de la Vème république française de De Gaulle, le Franc CFA comme monnaie, les accords de défense et surtout l’interventionnisme français quant aux choix des dirigeants africains.
« Les États francophones empêchent les Africains de parler d’une seule voix»
La francophonie dont se plaignent les anglophones du Cameroun est bien plus qu’une affaire linguistique : de nombreux textes comme celui de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) ne sont pas disponibles en anglais, le personnel francophone nommé pour servir les anglophones ne parle pas l’anglais, etc. Cette francophonie qui pose problème au Cameroun est aussi structurelle. Le Cameroun dit oriental subit dès 1955 de plein fouet la violente répression française théorisée autour de ce qu’on a appelé “la guerre psychologique anti-révolutionnaire”, faite entre autre de délation et de confessions publiques… De celle-ci va naitre l’État “indépendant”, qui va non seulement transmettre aux futurs dirigeants cette violence coloniale contre ses propres citoyens, mais surtout garder jusqu’à aujourd’hui ses structures administratives et sa sémantique. Les sous-préfets restent les chef de terres avec plus de pouvoir que les maires élus. Le vocabulaire est le même que celui de la répression française : on parle de “maintien de l’ordre”, de “l’autorité de l’État”, pour justifier la répression, de “désordre” pour caractériser les revendications des populations…
Cette francophonie structurelle et mentale, les anglophones du Cameroun l’ont subi depuis plusieurs décennies sans pouvoir y mettre des mots. L’arrogance francophone est ce qu’ils ont jusqu’ici réussi à articuler et ils ne sont pas les seuls, car le clivage francophone-anglophone auquel on assiste au Cameroun aujourd’hui s’étend bien au delà du pays. Dans toutes les sphères panafricaines, le malaise des autres face aux francophones se fait toujours ressentir. Les francophones sont souvent accusés non seulement de trop parler “en français” pour ne rien dire et surtout ne rien faire, mais ils attendent toujours de savoir ce que pense la France avant de prendre la moindre décision. Le cas de l’OCAMM (Organisation commune africaine, malgache et mauricienne) que le général De Gaulle crée en 1965 sous l’égide de Léopold Sédar Senghor pour contrer l’OUA (Organisation de l’unité africaine), de Kwamé Nkrumah, en est un exemple. Les francophones sont donc ceux qui ont toujours empêché les Africains de parler d’une seule voix.
« Vers la fin de la gouvernance à la Biya»
Parce qu’il est impossible de servir deux maitres à la fois, il est difficile pour Paul Biya aujourd’hui à 84 ans – alors qu’il est lui-même un pur produit du colonialisme français dont il fut le serviteur pendant plus de 50 ans au sein de ce laboratoire de la Françafrique qu’est le Cameroun – de donner aux anglophones leur espace national sans leur imposer cet esprit et ces structures françaises. Ce qui se passe aujourd’hui au Cameroun, c’est la fin d’une gouvernance à la Biya, par décret, où il suffisait jusqu’ici de nommer untel, de telle région, à un poste pour régler le problème. De donner une mallette à des contestataires pour ne plus en entendre parler. Les problèmes du Cameroun s’accumulent et Paul Biya, qui reste le seul maitre du jeu, devient la pièce qui pose problème. Sa méthode qui consiste à gérer par le pourrissement, donc à ne rien gérer sinon maintenir une certaine apathie auprès de ses concitoyens, commence à présenter des signes de panique. Paul Biya, qui croyait avoir trouvé la formule, est maintenant obligé de travailler sur ces dossiers qu’il a toujours laissé de coté, comme celui de la question anglophone.
Un immense chantier d‘émancipation
Son impatience qu’il manifeste avec l’usage excessif de la force ne traduit qu’une volonté d’en finir au plus vite, lui, l’homme du temps présidentiel. Mais rien ne se fera vite et surtout pas sans une opinion qui s’intéresse enfin à son histoire et à ce que le régime lui a toujours caché. La méthode Biya peut encore moins bien marcher cette fois, car les Camerounais qui se passionnent sur les réseaux sociaux de leur histoire, comprennent bien que si celle-ci leur a été cachée pendant près d’un demi-siècle, c’est bien parce que cela profitait à Paul Biya – dont on découvre qu’il avait été nommé en tant que Premier ministre, président d’une commission chargée de résoudre les problèmes qui se posaient à cette réunification biaisée. Ce qui a aussi changé pour Paul Biya, ce sont les technologies de l’information, car les réseaux sociaux et les médias contre lesquels il multiplie les lois de musellement font que les Camerounais ne seront plus jamais endormis comme ils l’ont été ces dernières décennies.
Sachant que Paul Biya, qu’on le veuille ou non, est sur la sortie, et peu importe s’il traine les pieds, il lui reste deux alternative. Soit il prend enfin le courage qu’exige toute transformation et surfe sur cette vague de revendications anglophones dans son pays – qui, comme la grogne sur la sortie du Franc CFA, n’est qu’un désir d’émancipation total du néocolonialisme – et permet ainsi au Cameroun de se reconstruire sur la base de son histoire au lieu de continuer à vouloir bâtir un État camerounais contre son propre passé. Soit il érode le peu de crédibilité qui lui reste et se retrouve disqualifié pour résoudre tous ces problèmes qui s’amoncellent. Il se retrouvera dès lors obligé, et plus vite que prévu, de laisser à son successeur le soin de les régler. Ce qui scellera son départ, ce sera son incapacité à démontrer à tous les Camerounais francophones et anglophones qu’il est encore en mesure d’être ce maitre d’œuvre capable d‘ouvrir cet immense chantier d’émancipation, qui permettra de changer à la fois ces structures de l’État et cette sémantique héritées du colonialisme, qu’il perpétue toujours parce qu‘elles ont toujours joué en sa faveur pour une conservation du pouvoir.