UN PASSÉ COLONIAL PRÉSENT
Les strates successives d’expériences de participation et de compétitions politiques en Afrique sont le produit des pratiques précoloniales. Celles-ci ont tracé une voie qui délimite les trajectoires potentielles de la démocratie électorale en Afrique. Sauf que ces legs n’ont pas tous le même degré d’influence car leurs effets sur la liberté de manœuvre postindépendance ont été variables en intensité et en orientation.
Au maximum, l’influence du passé colonial en Afrique a donné la direction et déterminé les choix des processus électoraux de la période postcoloniale. Pris dans ce sens, il n’est pas superflu de dire qu’il demeure toujours difficile et coûteux de se démarquer du modèle colonial. Le système colonial a été purement et simplement perverti par des élections incohérentes, trahissant au minimum un chevauchement entre l’ingérence démocratique et la problématique de la légitimité des gouvernants, en passant par la fragilité du processus démocratique et la contestation du verdict des urnes.
DES TENDANCES RÉGIONALES DIFFÉRENCIÉES
Celles-ci sont différentes selon les pays, qu’il s’agisse de l’enracinement local de la culture de l’alternance politique ou de l’évaluation de son effectivité. En Afrique francophone, les consultations électorales se sont banalisées dans la quasi-totalité des États. Les élections ne vont pas nécessairement de pair avec des changements de pouvoir ou une libéralisation politique, ou même encore avec une grande stabilité politique.
Dans certains États de cette zone comme le Cameroun, l’Algérie, le Tchad où l’État de droit est limité, la modification des règles constitutionnelles est allée de pair avec des fraudes électorales, le choix des systèmes électoraux et des modes de scrutin, le contrôle de la validation des résultats, l’instrumentalisation d’une démocratie factice. Dans les pays africains anglophones et lusophones, on constate une nette amélioration des processus électoraux par rapport aux années antérieures, même si le virus de la fraude y garde toujours une force indéniable.
La voie à suivre est indiquée par le noyau dur des pays africains qu’on retrouve en haut des classements reconnus en matière de démocratie et de bonne gouvernance : Cap-Vert, Afrique du Sud, Ghana, Namibie, Zambie, Botswana, île Maurice, Seychelles, Lesotho. Dans ces États, le système électoral a évolué de manière progressive et avisée dans le cadre d’institutions nationales indépendantes, neutres et impartiales. La mise en place d’institutions fortes à la place des hommes forts a permis de garantir un équilibre entre la compétition et l’ordre, la participation et la stabilité, la contestation et le consensus.
Par ailleurs, la dernière élection présidentielle au Nigeria qui a vu la victoire de Muhammadu Buhari sur Goodluck Jonathan est un signal fort au reste des chefs d’États africains qui envisagent de se maintenir au pouvoir contre le gré des dispositions constitutionnelles librement consenties.
Cette perspective concerne également ceux qui organisent les élections pour ne pas les perdre. Á l’évidence, la qualité de l’expérience électorale nigériane signifie au minimum que la démocratie continue à gagner du terrain dans les esprits, malgré les performances contrastées de quelques pays africains dans les domaines du développement économique et social, voire de la stabilité politique et de la sécurité des populations.
UNE DÉMOCRATIE ÉLECTORALE À RECULONS
Les États africains se sont résolument engagés à travers l’Union africaine (UA) à instaurer la gouvernance démocratique et la paix en Afrique. Á cet effet, les 54 États membres de l’Union africaine ont adopté des instruments importants relatifs à la paix, à la démocratie et à des élections crédibles. Si la tenue d’élections est importante, il est tout aussi crucial de faire en sorte que les processus électoraux soient sous-tendus par une culture d’élections transparentes et démocratiques, mais aussi par des groupes dynamiques de la société civile jouant le rôle d’opposition. Et c’est là le fond du problème.
Les États africains ont du mal à s’arrimer aux standards internationaux, tout en peinant à s’approprier les principes fondamentaux de la démocratie électorale. Les circonstances dans lesquelles les élections sont tenues doivent évoluer. Il devient quasi impératif de mettre en place des institutions appropriées, des organismes indépendants et impartiaux chargés de la gestion des élections, et de garantir l’implication des partis politiques et des organisations de la société civile à toutes les étapes du processus électoral.
De même, la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels constitue aussi, un autre levier sérieux pour accélérer la démocratisation du continent africain. Ce n’est qu’après de tels changements que l’on pourra espérer une évolution des pratiques de gouvernance démocratique en Afrique.
UN RENOUVEAU DÉMOCRATIQUE À CONQUÉRIR
Je dirais que cela représente un défi pour les États africains. Ces élections constituent une étape importante pour la renaissance politique de l’Afrique. Et elles pourraient ouvrir une nouvelle période comme le fut celle de l’instauration du multipartisme entre 1990 et 1993. Ceci dit, les Africains doivent se détacher des schèmes de l’afro-pessimisme pour œuvrer à la promotion d’un idéal politique propre au continent africain.
Il est temps de mettre un terme à plusieurs années d’effondrement de l’État et de démentir les clichés faisant de l’Afrique un continent allergique à la démocratie. L’échec est donc à exorciser, sous peine de faire marche arrière ou de retomber, plus encore dans les travers du passé, 50 ans après les indépendances.
Rodrigue Nana Ngassam est doctorant en études internationales à l’université de Douala (Cameroun), chercheur associé au Groupe de recherche sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (GREPDA), chercheur associé à la Société africaine de géopolitique et d’études stratégiques (SAGES) et membre étudiant de la Société québécoise de droit international (SQDI).