«Cette guerre est partie pour durer au moins 15 ans». L’officier supérieur qui s’exprime ainsi, membre de l’étatmajor de l’opération «Emergence», l’un des deux dispositifs déployés sur le terrain par les autorités camerounaises pour venir à bout de Boko Haram, est formel.
«Une guerre asymétrique, par nature, est essentiellement mutante. Il va sans dire que Boko Haram va s’ajuster à la Force Multinationale Mixte comme il a fini par prendre la mesure de l’entrée en guerre de l’armée tchadienne. A terme, il va aussi intégrer le déploiement des Américains et de leurs drones.
C’est une guerre longue, et les Camerounais doivent en avoir conscience», poursuit l’officier. Au passage, ce haut gradé s’inquiète du relâchement observé dans la population, à mesure que des nouveaux pays rallient le Cameroun dans sa guerre contre le terrorisme. «Les gens nous disent : pourquoi vouliez vous que nous fassions encore des efforts alors que les Américains sont là avec toutes leurs technologies ?
Il faut changer les clés du discours actuel», murmure-t-il. Est-ce un problème de communication gouvernementale ? Le haut gradé n’est pas seul à le penser. «Quand les Tchadiens sont arrivés, nous avons pensé que nous viendrons à bout des combattants de Boko Haram en quelques mois. Certes, sans eux, la situation aurait été difficile par moment et par endroit, mais nous avons compris qu’ils ne sont qu’un appoint et que c’est à nous de continuer à faire la guerre à cette secte, sans relâche.
Ils sont là, et cela n’empêche que des citoyens continuent d’être égorgés comme par le passé, que le bétail soit volé... Quand je regarde ce qu’accomplissent tous les jours les forces de défense et de sécurité, cela me motive. Cessons de faire comme si ceux qui viennent nous donner un coup de main aujourd’hui nous trouvent au bord du précipice. Disons leur merci et poursuivons notre mission patriotique» C a m e r . b e, explique Boukar Assanou, membre d’un comité de vigilance dans le Mayo-Sava. La surexposition des appuis des pays tiers au Cameroun, comme cela est le cas depuis l’annonce du déploiement de 300 soldats américains à Garoua, n’est pas sans risque sur le moral des populations. Mal gérée, elle peut en effet laisser à penser que l’issue de la guerre est proche, démobilisant les énergies locales au lieu de les doper.
«J’ai entendu des gens vanter les capacités des Américains à écouter, à analyser les communications dans toutes les langues locales que Boko Haram utilise, et grâce à des logiciels high-tech. Un tel discours, quoiqu’il s’appuie sur des capacités réelles de l’armée américaine, va affecter considérablement le renseignement humain», regrette Magloire Birchek, un retraité installé à Mora. Pourquoi prendre des risques pour donner la bonne information aux forces de sécurité et de défense si un partenaire du Cameroun peut collecter pour l’armée camerounaise ? Cette posture, certains peuvent la trouver exagérée s’ils ne prennent pas en considération le niveau de sous-scolarisation et d’accès à l’information des populations des zones affectées par le terrorisme de Boko Haram. Ici, le «mythe de l’invincibilité de l’armée américaine », érigé en dogme, structure les conversations.
«Contre le terrorisme, notre pays doit se garder de toute euphorie et rester concentré sur son objectif. Ce que fait l’armée camerounaise sur le terrain est d’une impressionnante efficacité, et c’est autour de cela que le discours officiel doit se construire pour que la dynamique agissante «population armée » soit toujours positive», suggère Hamadou.
Or, force est de constater que ces derniers mois , la mobilisation des Camerounais autour de la guerre contre Boko Haram s’est beaucoup estompée alors même qu’aujourd’hui, plus que jamais, le pays doit profiter de l’affaiblissement de la secte pour rassembler ses forces et lui porter le coup fatal.
Bref, la guerre s’est installée dans les habitudes. «Les dons en faveur des populations des régions touchées par le conflit et en direction des forces de défense et de sécurité engagées sur le terrain sont rares et n’occupent plus l’actualité», reconnaît d’ailleurs un proche collaborateur du gouverneur de la région de l’Extrême-Nord, Midjiyawa Bakari.