Dans le cadre de la célébration de son 89ème anniversaire, le président de la République a reçu comme cadeau, une analyse critique de l’économiste et consultant Franck ESSI.
Ce 13 février 2022, Paul Biya, l’actuel Président de la République aura 89 ans. Il est entré dans la haute administration dans les années 1960. Il a exercé les fonctions de chargé de mission à la présidence de 1962 à 1965 ; de directeur de cabinet et de secrétaire général du ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Culture de 1965 à 1967 ; de directeur de cabinet civil de 1967 à 1968 ; de ministre secrétaire général de la présidence de 1968 à 1975, puis de Premier Ministre de 1975 à 1982. Il entame actuellement sa 40ième année en tant que Président de la République du Cameroun.
L’énergie que l’on met à durer au pouvoir, c’est de l’énergie que l’on aurait pu mettre à faire. Faire les reformes et conduire à temps les transformations nécessaires au développement du pays.
Au Cameroun, cette longévité est synonyme selon nous de confiscation du pouvoir.
C’est une longévité qui ne s’accompagne pas de développement ni de transformations structurelles de l’économie.
C’est une longévité qui a engendré des crises. Des crises inédites qui ont entrainé des milliers de morts, des milliers de réfugiés, des centaines de milliers de déplacés internes et d’importants dégâts économiques et sociaux.
C’est une longévité qui est animée essentiellement par le besoin de s’éterniser au pouvoir. Ce désir de gouvernement perpétuel se méfie de toute relève, condamne toute ambition et fige les gens dans un culte de la personnalité qui est inacceptable.
Cette longévité, lorsqu’elle devient synonyme de vieillesse, est préjudiciable pour le pays. Elle est devenue le symbole de l’humiliation, de l’immobilisme et une raison objective d’effacement. Nous avons un président qui, parce qu’il est de plus en plus vieux et fragile, devient de plus en plus inaudible, invisible, inaccessible et absent.
Absent du terrain, absent des lieux et situations où la fonction présidentielle est cruciale. Ce qui fait qu’il ne va pas dans les zones en crise, il ne se rend pas au chevet des militaires, il n’organise aucune cérémonie d’hommages en l'honneur des morts civils et militaires que connait notre pays.
Nous avons un Président de la République que l’on ne voit pas, qu’on ne voit plus et qui ne rencontre plus personne. Cette situation à notre avis constitue un gaspillage voir un grave mésusage de la charge symbolique de la fonction présidentielle.
Cette longévité au pouvoir est également devenue la cause de l’immobilisme, de l’absence de dynamisme des autorités et parfois de la non-représentation du Cameroun au plus haut niveau dans les instances internationales. Actuellement, le Président Biya n'est plus capable de représenter valablement le Cameroun dans les instances internationales. Il est systématiquement absent des grandes concertations internationales. Il n’est plus à l’initiative de quoique ce soit au niveau sous – régional ou continental.
Cette longévité au pouvoir se manifeste par le non-respect de certains rendez – vous institutionnels. Les Conseils de Ministre ne se tiennent quasiment jamais. Le Conseil Supérieur de la Magistrature ne se tient pas à la fréquence légale instituée. Le Conseil de l’enseignement supérieur ne s’est pas tenu depuis les années 1980 !
Cette longévité par ailleurs se traduit de plus en plus par une délégation exagérée des pouvoirs. Si l’on considère que le Président de la République a été élu par le Peuple Camerounais, ce n’est pas le cas des hauts fonctionnaires et des ministres qui sont nommés par lui. Ce Gouvernement des "hautes instructions" d’un Président invisible auxquelles on assiste depuis des années est un dysfonctionnement démocratique. En plus d’être un dysfonctionnement démocratique, il est source de cacophonie au sein du Gouvernement. Une cacophonie qui se traduit par les guerres de clans et des règlements de compte permanents entre membres du Gouvernement. Et pourtant, la fonction présidentielle ne se délègue pas !
La longévité au pouvoir du Président Paul Biya s’accompagne aussi de l’absence de renouvellement de la pensée, des ressources humaines et des méthodes de travail. Cette longévité se traduit aussi par un combat acharné des innovations, d’où qu’elles viennent. Nous sommes en plein management de l’opacité pour citer le titre du livre de Charles Ateba Eyene.
Face à toutes ces inconvénients et ces conséquences négatives de la longévité au pouvoir, tout esprit lucide et démocratique ne peut que se poser la question suivante : pourquoi s’accrocher autant au pouvoir si on n’a plus l’énergie pour travailler ?
Une chose est claire pour nous : la longévité de Paul Biya à la tête de l’Etat au Cameroun a été improductive et source de multiples crises graves.
Nous pensons que cette longévité est encouragée par l’infime minorité qui en bénéficie. Elle est justifiée seulement par ceux et celles qui ne veulent pas ou font semblant de ne pas voir toutes les conséquences négatives de cet état des choses sur le pays. Cette longévité est faussement soutenue par ceux et celles qui se préparent, par des voies obscures et non démocratiques, à la prise du pouvoir pour perpétuer leur jouissance des privilèges.
Nous pensons clairement que la longévité au pouvoir telle qu’on la vit au Cameroun n’est ni bonne pour l’efficacité de la gouvernance ni pour le fonctionnement démocratique de la société.
Le Cameroun a besoin d’une réelle refondation. Une refondation qui permette de consolider la souveraineté du peuple et la souveraineté internationale du pays.
Une refondation qui permette une profonde et durable amélioration de la gouvernance publique.
Une refondation qui améliore substantiellement les conditions de vie des populations les plus défavorisées.
Une refondation qui n’est possible que s’il y a une meilleure sélection des gouvernants et une circulation plus régulière des élites qui nous gouvernent.
Pour que cette refondation démocratique s’opère, les jeunes camerounais aujourd’hui, qu’ils soient de simples citoyens ou des leaders en devenir, doivent s’engager pour que survienne ces changements souhaités.