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La visite inutile de Mbappé au Cameroun - Wilfried Ekanga

Kylian Mbappe au Cameroun

Fri, 7 Jul 2023 Source: Wilfried Ekanga

Mon peuple périt faute de connaissance. Et je suis accablé de tristesse.

La visite de Mbappé au Cameroun ressemble aux nombreux « RIP » que vous avez écrits sur Facebook après le décès de Cabrel Nanjip, tout en oubliant de réclamer des autoroutes à ce gouvernement (qui n'a toujours pas dépassé les 60 km en 10 ans et 450 milliards de CFA plus tard).

Les Camerounais sont devenus champions de l'émotion décorative et des réactions de surface, sans jamais chercher à tirer des avantages ou des leçons des situations qui leur arrivent. Ainsi, chaque nouvel événement vous fait gesticuler dans tous les sens, puis le lendemain, comme sous le coup d'une amnésie collective, vous avez déjà tout oublié ! Et vous attendez le prochain événement pour gesticuler à nouveau… et puis oublier.

Et ainsi de suite, dans un éternel (et triste) recommencement.

De la même façon que nos concitoyens continueront de mourir sur les routes après Cabrel Nanjip tant que vous n'aurez pas réclamé des autoroutes (et ce malgré vos « RIP » appuyés), la visite de Kylian Mbappé sur la terre de ses pères restera elle aussi totalement caduque et stérile, si vous n'en profitez pas pour remettre sur la table un sujet qui dérange. Et qui dérange surtout ce régime hypocrite et mesquin : le sujet de la double nationalité.

LES ÉLITES MORIBONDES

Il ne vous a sûrement pas échappé que les autorités camerounaises n'ont eu de cesse de désigner le joueur du PSG comme étant « franco-camerounais ». Une expression qui peut surprendre, dans un pays où la double nationalité est a priori proscrite. Alors, pourquoi les pouvoirs publics font-ils cette précision, à votre avis ? C'est simple : ils n'ont pas remarqué qu'ils se sont embourbés dans leur propre hypocrisie. En effet, avec l'arrivée de Mbappé, on remarque (comme d'habitude) que lorsque vous avez brillé hors du pays et acquis une reconnaissance internationale, même si le Cameroun ne vous a aidé en rien dans votre progression, même si vous n'y êtes pas né et que n'y avez jamais vécu, le Cameroun insiste soudain à vous reconnaître comme l'un de ses enfants prodigues. Par contre, si vous sollicitez une assistance pour un projet en cours et qui est supposé faire de vous la star de demain, le même Cameroun vous rappelle que selon sa loi, vous êtes un étranger, et qu'en tant que tel vous ne pouvez rien réclamer.

Même si vous y avez vécu avant de vous expatrier. Même si c'est là que l'on a enterré votre cordon ombilical.

Autrement dit, c'est un pays où les dirigeants n'aiment pas semer, mais aiment récolter là où ils n'ont pas semé. Il existe dans la diaspora un éventail immense de génies dans des domaines divers et variés, mais qui rencontrent toutes les peines du monde à faire profiter le pays de leurs talents, et ce malgré toute leur bonne volonté, pour la simple raison qu'on leur exige de renoncer à leur passeport étranger (qui leur facilite pourtant les déplacements et bien d'autres formalités d'usage). Or lorsque les mêmes génies réussissent à éclore et à éblouir le monde au prix de leurs propres efforts, on leur reconnaît tout à coup du « sang ancestral », et on parle soudain de « retour aux sources ». Un passeport national est même octroyé à certains... au mépris de ces lois qu'on leur sortait goulûment avant qu'ils ne deviennent célèbres !

Face à ces incongruités (et à beaucoup d'autres), le Cameroun devient alors inattractif et inintéressant pour tout champion en devenir. Dans le sport comme ailleurs, ceux qui en sont partis et ont acquis une nationalité étrangère rêvent d'évoluer pour leur nouveau pays, et ceux qui sont nés à l'extérieur n'ont quasiment jamais le Cameroun comme premier choix ! Avec les conséquences que l'on connait : la désertion des talents !

LA NUIT, TOUS LES CHATS SONT DOUBLES

Dans le même ordre d'idées, si vous êtes un dissident qui s'exprime contre la gouvernance de Paul Biya, on vous rappellera que « vous n'êtes déjà pas Camerounais », et que « vous devriez plutôt vous mêler des choses de votre pays ». Mais tant que vous êtes « républicain » et « apolitique » comme Kylian Mbappé (pour l'instant), ce sont les commissaires et les préfets eux-mêmes qui joueront les gardes du corps et qui vous escorteront jusqu'à votre chambre, tei un chef d'État ou un émir du Golfe.

Mais le plafond de l'hypocrisie, c'est cette détestable caractéristique qu'ont les autorités camerounaises à être les premiers fossoyeurs de ses propres lois ! Inutile de citer ici les Français Rigobert Song, Roger Milla, ou encore l'Espagnol Samuel Eto'o. S'il faut rester sur l'administration, rappelons que l'ancien ministre des finances Essimi Menye Lazare (2007-2011) a toujours été américain. C'est d'ailleurs aux USA qu'il ira se réfugier pour échapper à la perpétuité pour détournement de fonds, pendant la traque de l'Épervier. De même, Grégoire Owona, (ministre du travail et de la sécurité sexuelle) n'est pas en reste avec son passeport français. S'ensuivent Louis-Paul Motaze, Ketcha Courtes, et quasiment toute la troupe ministérielle locale. Ce n'est pas pour rien que je les appelle le Gang de Malfrats. Car ils s'arrogent à eux seuls le droit de jouir de passeports multiples, mais redoutent l'idée que vous veniez diminuer leur « gombo » sur place grâce à votre expertise. Le seul moment où ils vous admettent, c'est quand vous pouvez leur servir de mascotte publicitaire, comme Eto'o, Milla, Noah, ou, en l'occurrence, Mbappé.

Mais puisque c'est l'émotion décorative qui vous anime, les groupes de danse et les selfies avec ce dernier pendant les ridicules 48 heures de son passage éclair seront amplement suffisants à votre bonheur, n'est-ce pas ? Même si après son retour le problème de la double nationalité pour tous sera demeuré intact. Votre avenir se limite à une poignée de main et une photo avec le capitaine de l'équipe de France, et cela vous importe peu que ça n'ait pas une plus grande incidence positive sur la situation sociale et administrative globale dans votre pays. De la même manière que la corde de terre entre Yaoundé et Douala est restée dans le même état cafardeux après le décès de Cabrel et qu'elle continue de vous tuer chaque semaine comme des mouches. Mais l'important, c'était d'écrire « RIP » et de pleurer en Direct-Live, pour montrer à vos « fans » que vous étiez bien tristes.

Or, ne vous y trompez pas : l'amour des petits résultats fait de nous de petites personnes.

EN BREF :

Car c'est bel et bien parce que ce Gang de Malfrats vous a cernés, c'est bien parce que ces binationaux en cravate (qui vous empêchent d'être binationaux à votre tour) ont compris votre fonctionnement ; c'est parce que ces « en haut d'en haut » (comme les appelle si bien le Dr. Aristide Mono) vous ont analysés de A à Z qu'ils savent qu'il vous suffit de peu, voire de très peu. Ils ont remarqué que même s'ils vous privent de tout, il leur suffira d'1 pourcent à peine pour vous faire danser allègrement, et obtenir vos « Merci ! ». Un peu de Bouffe et un peu de Bamboula, ça suffit à contenter un peuple qui ignore qu'il mérite beaucoup mieux que cette décoration de surface, cette cosmétique de façade. C'est ce que constatait déjà le poète romain Juvenal au 1er siècle de notre ère (il est né vers 58 et mort vers 130), dans sa célèbre locution « Panem et Circenses » (« Du pain et des jeux »).

Car c'est par le même tour de magie que les seigneurs de Rome distrayaient leur population, pour atténuer les risque de révolte. Et parce qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil, la technique fonctionne toujours, 2000 ans plus tard.

( Parmi toutes choses, gardons à l'esprit que le jour où Kylian Mbappé s'indignera contre l'assassinat de Samuel Wazizi comme il s'est indigné contre l'assassinat de Nahel cette semaine à Nanterre, les mêmes qui l'ont escorté hier depuis l'aéroport de Nsimalen s'empresseront de lui rappeler qu'il est Français, et qu'il ferait bien de rentrer s'occuper des émeutes qu'il y a chez lui en France, au lieu de parler des choses du Cameroun, qui ne le concernent pas.

Car c'est un régime où règne la sorcellerie, la vraie )

Auteur: Wilfried Ekanga