Le Cameroun est divisé, tout semble s’effondrer

Lawyer Akere T. Muna Akere Muna, ex président du Conseil Economique Social et Culturel de l’UA

Tue, 4 Jul 2017 Source: Akere Muna

« Tournant et tournant dans la gyre toujours plus large,

Le faucon ne peut plus entendre le fauconnier.

Tout se disloque. Le centre ne peut tenir.

L’anarchie se déchaîne sur le monde... »

C’est en ces termes que s’ouvre le roman épique de Chinua Achebe, « Le monde s’effondre », paru en 1958. C’est en fait un extrait du poème de W.B. Yeats, intitulé « La seconde venue ». Le roman de Chinua Achebe traite plus ou moins de la transition du Nigeria colonial à l’indépendance, vue à travers la vie d’Okonkwo, un lutteur de la tribu Igbo.

Le Cameroun se trouve lui aussi au carrefour d’une transition dont les signes, que nous les acceptions ou non, crèvent les yeux. Une population, âgée à 70 % de moins de 30 ans, soucieuse du lendemain, se voit accablée jour après jour sous l’emprise d’une clique d’oligarques dont le seul souci est le temps présent et la préservation de soi. Une clique totalement inconsciente du caractère inexorable du changement: aujourd'hui, est le demain d’hier, et demain finit toujours par arriver.

Le fait le plus effroyable est que, en moins d’un an, ceux qui nous gouvernent ont en un tour de main réussi à transformer la diversité du Cameroun en un outil qui divise notre nation. En empêchant les citoyens - les avocats de la Common Law et les enseignants anglophones – d’exercer le droit élémentaire de manifester, droit garanti par notre Constitution, ils ont déclenché une étincelle. Et aujourd’hui, des mois plus tard, nous nous trouvons dans une situation précaire, tout semble s’effondrer.

Nous sommes désormais divisés entre sécessionnistes, fédéralistes et pro-décentralisation. Nous sommes divisés entre francophones et anglophones. Nous sommes divisés entre originaires du Nord-Ouest et originaires du Sud-Ouest. Nous sommes divisés entre Bamiléké et Béti. Nous sommes même divisés entre Ewondo, Bulu et Eton, entre Bamoun et Bamiléké. La nature non homogène des régions les prédisposent parfaitement à la division. C’est ainsi que l’on retrouvera les Mbamois et les Bassa dans la Région du Centre, des populations d’origne Sawa dans la Région du Sud, les originaires de Sancho dans la Menoua et la Région de l’Ouest, etc.

Les musulmans et les chrétiens dans les régions septentrionales cohabitent dans l’harmonie, mais il y en a qui se plaisent à y semer des graines de discorde. Et la liste n’est pas exhaustive. C’est sur cet équilibre plutôt précaire que tient la stabilité de notre pays. Si nous voulons survivre et prospérer, nous devons nous écouter les uns les autres et initier constamment un dialogue franc sur l’avenir du Cameroun. Toute forme d’arrogance et de discrimination est dangereuse. Qu’elle qu’en soit la nature ou les instigateurs, elle ne peut que menacer cet équilibre déjà précaire.

Tout récemment, la sortie du prélat de Douala, président de la Conférence épiscopale, que l'on jugera soit mal avisée, soit mal préparée, peut-être même les deux, nous montre que l’église qui était la dernière rescapée de ce désastre, et qui portait la légitime chance d’être une voix morale et une médiatrice de poids, se trouve désormais affaiblie par la perception d’une division. L’Église Évangélique du Cameroun est elle aussi en train de faire l’expérience du virus de la division dans un climat ambiant où nous avons désormais tendance à nous intéresser à ce qui nous divise plutôt qu’à ce que nous avons en commun.

L’évêque de Bafia a été repêché mort sur les berges de la Sanaga, quelques jours après que sa voiture ait été retrouvée sur le pont de ce fleuve à Ébebda. L’étrange thèse du suicide a été immédiatement avancée avant même que le corps ne soit retrouvé. Or, il ressort clairement de la déclaration de la Conférence épiscopale que ce vénérable évêque a été froidement assassiné. Alors, on ne sait plus où donner de la tête?

En ce qui concerne ce qu’il convient depuis lors d’appeler «problème anglophone» (c’est toujours avec quelques hésitations que j’utilise ce terme, car je n’ai jamais compris si cela signifie que les anglophones ont un problème ou qu’ils constituent un problème, et si oui pour qui ?), un certain nombre de mesures ont été annoncées, en guise de réponse aux revendications des enseignants et des avocats.

Et pourtant, demeurent ces constats : nous avons perdu une année scolaire, les avocats sont toujours en grève, de nombreux anglophones ont été contraints à l’exil, et d’autres croupissent en prison. Internet qui avait été suspendu a été rétabli après 93 jours, et après que des voix se soient élevées à travers le monde entier pour décrier une telle forme de répression collective. Nous sommes sortis de cette saga avec le record mondial de la plus longue panne d’Internet. Un record dont d’aucun se glorifie comme une affirmation de puissance, d’autres s’attendent même à ce que les régions qui avaient été sevrées se disent reconnaissantes pour la reconnexion.

Les dignitaires d’église anglophones des confessions les plus anciennes du Cameroun (Baptist Congragation, Presbytrian Church, et Catholique), ont été traînés en justice. Il existe actuellement une atmosphère des plus inconfortables où l’anglophone constitue à première vue un potentiel sécessionniste, un fauteur de troubles ou un terroriste potentiel. Je l’affirme de par l’expérience que j'ai vécu, ayant moi même été étiqueté comme tel. C’est ce qui arrive à ceux qui se soucient de leur pays, qui recherchent l’égalité, l’équité et le dialogue. C’est ce qui arrive, lorsque l’on fait des propositions concrètes après une analyse rationnelle des faits ; on peut alors être taxé d’ennemi potentiel de la nation.

Si la tendance toujours croissante à la mal gouvernance n’est pas rapidement inversée, nous nous réveillerons un jour dans un pays que nul ne reconnaîtra. Pour ce faire, il faudrait d’abord revoir certaines solutions négatives obtenues par une approche plutôt impulsive, et que nous avons apportées en guise de réponse à la protestation de nos frères et sœurs camerounais. L’apaisement national est le principal gage d’un dialogue collectif.

Alors, par où commencer l’apaisement ?

Auteur: Akere Muna