Selon une étude du Centre régional africain pour le développement endogène et communautaire, le pays a offert à Cam Iron près de 6 000 milliards de francs CFA sous forme d'exonérations fiscales pour les 25 années d'exploitation du fer de Mbalam. Un exemple parmi tant d'autres.
La politique fiscale dans le secteur extractif prive le Cameroun «d'importantes ressources nécessaires au financement de ses objectifs de développement». Conclusion de la conférence sur la fiscalité et les industries extractives tenue le 05 juillet 2016 à Yaoundé.
La position des participants (issus des organisations de la société civile, des administrations publiques, des organisations internationales de coopération, des médias, des organisations religieuses et des autorités traditionnelles) à cette conférence s'appuie sur une étude du Centre africain pour le développement (Cardec), une organisation de la société civile membre de la coalition camerounaise Publiez ce que vous payez (PCQVP), présenter à cette occasion.
Mbalam
L'enquête dont l'objectif était d'évaluer l'efficacité de la politique fiscale dans les industries extractives a été menée par Idriss Linge, journaliste spécialisé dans les questions financières.
Pour remplir cette mission, le consultant a examiné certains contrats et conventions qui régissent les activités dans le secteur extractif à la lumière des dispositions législatives (code général des impôts, lois de finances, loi fixant les incitations à l'investissement privé, codes pétrolier, gazier et minier), règlementaires (les décrets d'application des différents codes).
Et il en résulte que la fiscalité appliquée aux industries extractives ne permet pas «une mobilisation optimale des recettes». En cause, les exonérations fiscales très courantes dans le secteur.
Selon le journaliste, travaillant notamment pour l'agence de presse Ecofin, ces exonérations sont de trois types : les exonérations expresses contenues dans des dispositions spécifiques des différents codes et conventions (pétrolier, minier et gazier) (voir tableau page 11), les échappatoires fiscales découlant de la faiblesse de la législation et la fraude fiscale du fait de la faiblesse des dispositifs de contrôle.
La convention signée le 29 novembre 2012 entre l'Etat du Cameroun et Cam Iron pour l'exploitation du fer de Mbalam illustre bien l'ampleur des présents faits aux multinationales.
En s'appuyant sur les propres chiffres de l'entreprise détenue à 90% par la firme australienne Sundance, l'étude évalue à environ 5850 milliards FCFA sur la durée du contrat (25 ans, soit 234 milliards par an) les pertes fiscales au profit de l'entreprise du fait des exonérations fiscales (voir tableau 1 ci-dessous).
En plus de ces exonérations expresses, cette convention donne également à la firme la possibilité d'optimiser ses dépenses fiscales notamment en réduisant sa base imposable.
Opacité
Dans le secteur pétrolier, «la nonaccessibilité des contrats pétroliers en cours d'exploitation ne permet pas de mesurer clairement le niveau de perte et des dépenses fiscales dans le secteur», déplore Idriss Linge.
Même le Fonds monétaire international (FMI) avoue dans une note portant sur la fiscalité dans le secteur pétrolier au Cameroun réalisée en 2014, n'avoir pas eu accès à ces informations.
Néanmoins, certains éléments montrent que même si la contribution du pétrole au budget de l'Etat est qualifiée de «bonne» par l'inspecteur principal des impôts Ndzana Biloa, elle peut encore être améliorée.
Le rapport fait par exemple observer que « pour un volume des ventes équivalent, le secteur pétrolier paie moins d'impôts que certaines entreprises du secteur brassicole».
Les Brasseries du Cameroun revendiquent en effet avoir payé plus de 300 milliards de francs CFA d'impôts en 2015 avec un chiffre d'affaire qui se rapprochait juste de 600 milliards de FCFA.
Or en 2009, le secteur pétrolier a payé des impôts d'un montant similaire pour un volume de vente de plus de 720 milliards (voir tableau 2 ci-dessous).
Autre indice, pointe l'étude, «les taxes payées au titre de l'impôt sur le bénéfice n'ont pas beaucoup évolué entre 2009 et 2014, alors même que les recettes pétrolières ont fortement bénéficié de la hausse des prix et d'une bonne tenue du dollar US, se traduisant par des chiffres de ventes importants».
En plus, selon le rapport 2015 du Global Financial Integrity, le Cameroun aurait perdu près de 755 millions de dollars (408 milliards de Francs CFA) entre 2004 et 2014 du fait notamment des pratiques de dissimulation des capitaux.
Et «il est admis par plusieurs études concordantes que les responsables de ces sorties illégales de capitaux sont les multinationales, dont une majorité en Afrique sont des compagnies pétrolières», soutient le journaliste.
Attractivité
Pour Ndzana Biloa, « cette fiscalité est conforme à la Vision 2035 et au Document de stratégie pour la croissance et l'emploi (DSCE)».
« Dans la mesure où les taxes spécifiques permettent à l'Etat de se procurer les ressources nécessaires à la couverture des dépenses publiques, tandis que les incitations fiscales accordées en matière d'impôts et taxes de droit commun lui permettent d'attirer les investisseurs dans le secteur des industries extractives », soutient l'inspecteur principal des impôts, auteur de l'ouvrage intitulé «la fiscalité, levier pour l'émergence des pays africains de la zone franc : le cas du Cameroun».
Le même argument est d'ailleurs évoqué au ministère des Mines, de l'Industrie et du développement technologique (Minmidt).
On y ajoute même que l'objectif du Cameroun n'est pas seulement de profiter de la fiscalité tirée de l'exploitation des mines, mais également d'asseoir un secteur industriel bâti sur la transformation d'au moins 15% des minerais exploités (voir page 11).
Pourtant malgré ces incitations, de l'aveu même des autorités, tous les projets miniers sont en hibernation.
A la Banque mondiale, on apprécie très peu les exonérations fiscales. On conseille plutôt de lutter contre la corruption, d'instaurer davantage de transparence et de célérité dans la conduite des dossiers liés au secteur.