Le discours des réfugiés camerounais à l'étranger

Wed, 18 May 2016 Source: journalducameroun.com

Ils constituent le deuxième contingent de réfugiés subsahariens en Europe après les Guinéens. Pour quelles raisons sont-ils aussi nombreux à courir des risques inouïs pour fuir leur pays? Rencontres.

Ils sont au premier rang dans une planque de Oujda au Maroc. Lors du naufrage qui a fait 100 morts au large de la méditerranée, le 19 avril dernier, 80 des disparus étaient Camerounais. Les chiffres sont de la Croix Rouge.

Quel est donc ce pays dont les ressortissants constituent le second groupe de migrants qui meurent chaque année en pleine mer sans que les autorités ne daignent en parler ?

La répression, l'impossibilité d'échapper aux années de conscription et la misère, dans une économie paralysée par la bureaucratie et la mainmise du clan au pouvoir sur les ressources du pays poussent toute une classe d'âge, entre 15 et 45 ans, à préférer le risque d'un terrifiant voyage vers l'ailleurs pour échapper à ce régime parfois surnommé la "Corée du Nord en miniature" de l'Afrique.

Un flot intarissable, en constante augmentation. Ils sont 1000 à fuir leur pays chaque mois, selon l'ONU. En 2015, le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) estimait à 24 000 le nombre de réfugiés camerounais enregistrés ayant quitté leur pays. Les fugitifs cherchent en particulier à échapper à la misère ambiante dans leur pays.

Rencontré à Bruxelles, E. 40 ans, a été contraint de fuir le Cameroun car, il en avait marre dit-il. "J'étais à l'université de Yaoundé où je m'apprêtais à m'inscrire en cycle de doctorat quand j'ai trouvé un moyen de partir du pays". E après son baccalauréat, sans emploi, il avait décidé de s'inscrire à l'université de Yaoundé, option chimie.

Il espérait trouver du boulot depuis lors. Parti du Cameroun pour le Nigeria puis la Mauritanie, le Maroc et enfin par voie de mer pour l'Espagne avant de poser ses valises à Bruxelles, il a dû travailler comme porteur de charbon à Oujda au Maroc pendant 4 ans pour réunir les moyens nécessaires pour sa traversée de la méditerranée.

M. et O., amis d'enfance à Yaoundé, se sont retrouvés sous le métro de Clemenceau à Bruxelles. O, lui aussi diplômé du supérieur au Cameroun a travaillé comme domestique pendant trois ans en Mauritanie. Lorsqu'elle a appris que ses employeurs, des expatriés italiens, cherchaient à adopter son petit garçon de 4 ans, elle a décidé de tenter la périlleuse traversée de la Libye vers l'Europe. C'est de l'Espagne qu’elle a pu prendre un bus pour Bruxelles où elle vit depuis lors.

G., Camerounais lui aussi, à 26 ans, mais il en paraît 40. Son visage triste et émacié porte la marque d'années de tourment. Plusieurs séjours dans les prisons marocaines à cause de sa situation de sans-papiers. Il a suivi dit-il plusieurs années d'errance et de cauchemar, en Libye, au Maroc, .... "Tous mes amis avec qui j'étais au Maroc sont morts en pleine mer.

J'ai été sauvé par mon gilet de sauvetage le 3 mars 2015 quand notre embarcation avec à son bord près de 300 migrants avaient chaviré". Dans un souffle, il évoque ses années de souffrances. "J'ai fouillé dans la poubelle pour survivre dans le désert marocain."

"Il y a eu beaucoup de morts, surtout des Camerounais" Et de révéler les péripéties du voyage clandestin : "C’est au Maroc, dans un petit village qui s’appelle El Aounia non loin de la localité de Oujda, que le propriétaire de la pirogue, qui porte le nom de Momo nous a embarqués en destination d’Espagne." A en croire le rescapé, «les propriétaires de la pirogue sont des Algériens qui nous ont fait savoir avoir réussi à faire voyager plusieurs personnes qui travaillent maintenant en Espagne».

C’est pourquoi, «mes camarades et moi leur ont payés chacun 500 mille francs Cfa pour aller rejoindre l’Europe». Ainsi, il renseigne que dans la nuit du 2 au 3 mars 2015, plus de 300 personnes ont embarqué dans la pirogue. Les passagers clandestins étaient, selon lui, «en majorité des Camerounais, Gambiens dont deux femmes et un vieux».

Les yeux embués de larmes, la gorge sèche, il observe une pause et continue de narrer sa mésaventure. «Tous les Camerounais sont tous morts.» Ces derniers, ajoute-t-il, «après des heures d’errance et sans protection en pleine mer, ont rendu l’âme après que notre embarcation ait chaviré». Les autres ressortissants Ghanéens, renchérit le rescapé, «vont à leur tour se jeter à l’eau, et aucun n’a survécu».

Avant que M. ne termine «son» histoire, sa voisine O., lui coupe la parole. Cette jeune femme originaire de Lolodorf, qui n’en revient pas de sa mésaventure, ne regrette pas d’avoir investi les recettes de sa récolte d’arachide et de manioc «pour se retrouver en Europe».

Sa volonté était, confie-t-elle, de mettre fin à ses dures conditions de vie de paysan au Cameroun. Si ces deux rescapés ont dû payer à plus fort le voyage, ce n’est pas le cas du jeune S.N à peine âgé de 17 ans. Il avoue s’être agrippé sur la pirogue au moment où celle-ci se jetait à l’eau le 5 janvier 2016.

Grelottant dans son tee-shirt noir et son pantalon bleu, il verse dans le fatalisme : «Si je ne suis pas décédé, c’est parce que ma mort, n’est pas encore programmée par le Bon Dieu, car le froid a été intenable.» Malgré son jeune âge, les autres passagers, fustige-t-il, «ne m’ont pas venu en aide, chacun était plus préoccupé à sauver sa peau».

C’est ce même spectacle désolant et triste, marqué par des lamentations et des pleurs, qui prévaut à la côte espagnole dit-il. Comme beaucoup d'autres, M. et O. hésitent à se confier à fond à la presse. Habitués au système de surveillance et de délation dans leur pays, ils soupçonnent, comme les réfugiés arrivés de longue date, le régime camerounais de les épier en Belgique même.

Des craintes non dénuées de fondement, explique un autre candidat à l'immigration arrivé fraîchement en Belgique et qui a requis l'anonymat. "Dans tous les pays européens, les ambassades gardent un œil sur les Camerounais, par l'intermédiaire d'un réseau d'informateurs", les "moustiques".

Ces dernières semaines, l'Office des étrangers en Belgique s'est fortement mobilisé pour accélérer les procédures de demande d'asile des Camerounais. "15% de ceux qui en font la demande obtiennent l'asile en Belgique", assure un officier de l'Office de l'étranger. E. a reçu son sésame le 29 avril dernier. M et O. ont pris le large et demeurent dans la nature, lorsqu'ils ont entendu parler de l'opération « rapatriement en masse » prévue au courant du troisième trimestre de l'année 2016 en Belgique. Les demandes de M et O ont été rejetées.

Auteur: journalducameroun.com