Où est donc passée notre dignité ? Par décret N°2023/317 de ce 1er août 2023, le Président de la République du Cameroun envoie son ministre des finances faire le tour des banques étrangères pour emprunter de quoi compléter notre budget national conformément à l’ordonnance N°2023/01 du 02 juin 2023 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi des finances 2023. C’est-à-dire que le pays n’a rien produit en 2023 et veut continuer d’emprunter pour consommer. Pour que vous compreniez bien la situation, c’est l’histoire d’un parent qui envoie l’enfant faire le tour des boutiques du quartier afin de voir s’il y a encore un boutiquier susceptible d’accepter de lui donner un kilo de riz à crédit. Tellement on a déjà emprunté de l’huile ou du sel chez le voisin que l’on n’ose plus lui envoyer l’enfant. C’est « souillant » ! De quoi est-il question ?
Non création des richesses
Entre 2010 et 2023, la dette du Cameroun est partie d’environ FCFA 800 milliards à plus de FCFA 12 000 milliards. Le pays a vu émerger une nouvelle race des ministres de finances qui empruntent pour payer les factures de la consommation au lieu de s’illustrer par une ingénierie de création des richesses. Et cette facture que l’on paie est celle d’une poignée de personnes proches de l’Etat patrimonial qui vit au rythme de la princière et aux frais de l’Etat. De façon complètement irresponsable, elles empruntent pour « se la couler douce » et dans l’insouciance des générations futures qui devront rembourser. Par exemple, on rassemble plus de 3000 enfants des caciques à la CAMTEL et on emprunte pour leur payer des salaires mirobolants alors que l’entreprise moribonde ne respecte pas son contrat de performance. CAMTEL vend la bande passante à MTN et Orange, et aucun de ses autres produits ne marche. C’est du pillage comme dans ces autres 35 entreprises publiques qui existent encore au Cameroun sur les 188 qui existaient au départ du Président Ahidjo. Sur le plan économique, le pays n’a fait que régresser. En 2023, l’on n’avait toujours pas atteint le niveau des salaires de 1993. Pour faire simple, le pouvoir d’achat était nettement meilleur il y a 30 ans et les citoyens vivaient mieux. C’est d’ailleurs pour cela que le Camerounais était fier et pouvait frapper la main sur sa poitrine en Afrique. Tout ça est fini.
Où est le problème ?
La concentration de toutes les énergies sur la conservation du pouvoir est le principal problème de l’ordre gouvernant. Un pouvoir sans conscience. Personne ne pense plus au sort du citoyen qui doit faire face aux contraintes de la gestion patrimoniale du pays : « On est quelqu’un derrière quelqu’un. Si tu n’as personne devant, alors tu restes derrière ; si tu n’as personne en haut, alors tu restes en bas ». On veut tricher avec l’économie qui n’est pas une science du favoritisme, mais une science du mérite. Vous devez être capable de créer des biens illimités à partir des ressources limitées. Ça dépasse le gouvernement.
Cas pratique : Le Cameroun importe dans le circuit officiel près de 600 000 tonnes de blé chaque année. Cela engendre une fuite en devises de près de FCFA 200 milliards par an. Le régime en place a fermé notre propre société nationale de production de blé (Sodeblé) pour soumettre à 100% le pays aux importations. On importait 40% de notre blé de Russie. La crise russo-ukrainienne est venue déstabilisée ce marché qui permettait de produire près de 15 millions de pain chaque matin pour un chiffre d’affaires de près de FCFA 1,5 milliard par jour (près de FCFA 500 milliards par an). Pour faire face à ce drame économique, tout le monde se tourne vers la possibilité de produire localement. C’est alors le moment que choisit Madame le ministre de la recherche scientifique et de l’innovation pour faire une impressionnante sortie médiatique et recommander que chaque camerounais plante le blé derrière sa maison (probablement comme le fipergrass). Incroyable ! Cette dame est en fonction depuis 2004, c’est-à-dire depuis bientôt 20 ans. L’âge d’une génération. Franchement. Entre nous, lorsqu’on sacrifie ainsi pendant 20 ans le poumon du développement d’un pays (la recherche et l’innovation), on compte sur quoi pour réussir la création des richesses ?
Ressaisissons-nous !
Oui, le régime nous a pris par l’usure. Oui, nous sommes mouillés pour l’essentiel dans le clientélisme : Le politics na ndjangui. C’est bien parce que le clientélisme permet à quelques-uns de tirer leur épingle du jeu. Mais, cela ne sert à rien d’accumuler des biens alors que nous ne pourrons pas en jouir demain à cause de la révolte populaire. Les Camerounais ont faim et le pays tient encore parce qu’il y a encore quelques boutiquiers qui acceptent de nous prêter un kilo de riz. Mais, les horizons sont sombres. Après FITCH, l’agence de notation MOODY’S vient aussi de dégrader la notation du Cameroun à CAA. C’est déjà la zone rouge. Le pays est au bord du défaut de paiement. La conséquence d’une telle notation est que les boutiquiers se méfieront de nous prêter de l’argent si ce n’est à des taux très élevés. Le service de la dette du Cameroun explosera dans le budget dès 2024. Et le citoyen mijotera son sort au fond du gouffre.
Je le dis et je le répète : il n’y a pas d’issue favorable possible si l’on ne désavoue pas ce régime pour se mettre résolument sur le chemin de la production locale des richesses. Le problème, ce n’est plus EUX. Le problème c’est NOUS qui faisons de mauvais choix et qui pleurnichons.
2025, c’est maintenant.
Louis-Marie Kakdeu, HDR, PhD & MPA
Membre du Shadow Cabinet SDF
Economie, Finances & Commerce.