Le pays de Paul Biya, le pays des rumeurs

Wed, 1 Jun 2016 Source: camer.be

Le système de gouvernance instauré par le chef de l’Etat, au pouvoir depuis 1982, alimente toutes les supputations.

Les deux chambres du Parlement camerounais (Assemblée nationale et Sénat) sont convoquées en session ordinaire, le 2 juin prochain. L’agenda n’est pas connu, la presse et les partis supputent que les parlementaires se verront soumettre un projet d’élection présidentielle à laquelle le président Paul Biya, 83 ans, se représenterait. Ce dernier a quitté Yaoundé vendredi, pour un « court séjour privé en Europe ».

Le Cameroun est le pays des « on-dit ». Dernier en date : Brenda Biya, 18 ans, la fille cadette du président, serait convoquée par la justice américaine. Aucune trace de cette convocation au sein du système judiciaire outre-Atlantique. Autre rumeur récente?: les parlementaires des deux chambres se réuniraient à partir du 2 juin en session extraordinaire en vue de l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. Il s’agit en fait d’une session ordinaire dont l’agenda n’est pour l’instant pas connu.

« Comme le pouvoir est centralisé entre les mains du chef de l’État, homme mutique et invisible, tout le monde raconte n’importe quoi?! », commente un des rares journalistes familiers de la présidence. Ainsi va le Cameroun depuis très longtemps. À 83 ans, Paul Biya le dirige depuis 1982. Depuis plus de dix ans, les barons du régime lorgnent sur son fauteuil. Beaucoup sont tombés en route, fauchés par le locataire du palais d’Etoudi lors d’opérations Epervier contre la corruption, mal qui ronge le pays. Les cadres de la diaspora attendent aussi de revenir investir au Cameroun, pensant que le Sphinx, surnom de Paul Biya, effectue son dernier mandat.

Présidentielle anticipée? En fait, personne ne sait réellement quand le chef de l’État compte raccrocher. Ira-t-il à la fin de son mandat, prévue en 2018, ou organisera-t-il une présidentielle anticipée?? Modifiera-t-il ou non la Constitution pour créer un poste de vice-président, pour en faire son successeur potentiel?? Ses apparitions et ses discours sont rares. Il vit la plupart du temps à Mvomeka’a, un village du sud, en pleine forêt équatoriale, ou en villégiature à Genève. Il ne tient plus de conseil des ministres, reçoit peu en dehors de sa famille et de quelques proches, et gouverne par procuration. Il consulte toujours les dossiers et signe les parapheurs.

Paul Biya donne ses instructions au directeur de cabinet civil, Martin Belinga Eboutou, et au secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. Ce dernier reçoit aussi souvent les hôtes étrangers à sa place. Certains ministres ont quitté leur poste sans jamais avoir d’audience avec Paul Biya, qui n’entretient que des relations professionnelles avec ses collaborateurs. Avec cet ancien séminariste, personnage imprévisible et insondable, l’exécutif peut s’attendre à tout. « C’est quelqu’un qui a beaucoup lu le bréviaire de Mazarin », confie Jean-Marie Atangana Mebara, ancien SG à la présidence dans Le Secrétaire général de la présidence (L’Harmattan).

Vice-Premiere ministre. Ces deux derniers mois, les apparitions publiques de Biya ont été un peu plus fréquentes, actualité oblige. Il a reçu, le 19 avril, Samantha Power, l’ambassadrice américaine auprès de l’Onu, puis s’est rendu deux fois en visite officielle au Nigeria (2 et 15 mai), et est réapparu à la mi-mai pour la conférence Investir au Cameroun organisée par Havas, suivi de la fête nationale, le 20 mai, à laquelle la Première dame n’a pas participé, alimentant d’autres rumeurs.

Avant de s’envoler, vendredi dernier, pour un « court séjour en Europe » en pleine polémique sur les raisons de la convocation des parlementaires. En novembre puis janvier dernier, deux proches de Biya l’ont appelé à se représenter, ouvrant la voie à toutes les supputations. Un an plus tôt, il avait aussi confié à Ban Ki-moon, en visite, son souhait de créer un poste de vice-Premier ministre.

« Il n’y aura pas de crise politique malgré tout ce bruit, prédit un autre visiteur régulier du chef de l’État. Paul Biya fonctionne comme l’ex-président Ahidjo. Il ne va pas choisir son successeur mais orienter la succession. » D’ici là, le lobby béti, son ethnie, va vouloir le maintenir aux affaires jusqu’à son dernier souffle.

Les bétis occupent de très nombreux postes clés dans l’administration, les entreprises publiques… Pour certains proches, les hésitations du « boss » sont liées à la conjoncture internationale. Faut-il déclarer ses intentions tout de suite avec un tandem Hollande-Obama plutôt conciliant ou attendre que de nouvelles équipes se mettent en place en France et aux États-Unis en 2017?? L’arrivée de Juppé serait plutôt bien vue, mais celle d’Hillary Clinton représenterait un saut dans l’inconnu.

Dans ce pays d’ordre qui n’a souffert que d’une tentative de coup d’État depuis 1982, les institutions fonctionnent malgré tout, même si la répartition des postes, sur une base ethnique, régionale et partisane, est souvent un facteur d’inertie. Les deux générations de Camerounais qui n’ont connu que Biya au pouvoir affichent toujours la même résilience face aux lendemains incertains. La vie continue...

À Douala, la capitale économique, on se lève tôt. En zone bamiléké et au nord, on travaille la terre. Les populations nordistes se sont même organisées en comité de vigilance pour faire face à la menace Boko Haram. Seules raisons qui pourraient amener un changement brusque : une profonde détérioration sociale ou la mort du chef.

Auteur: camer.be