Le pouvoir de Paul Biya a quelquefois tangué en 35 ans. Il a même valsé au bord du précipice. Mais l’adversité qu’il affronte depuis deux mois est d’une autre nuisance. Ce n’est plus simplement de l’ordre d’une simple incommodité qui importune: ce malaise quand votre pays est cité dans la mauvaise rubrique du journal télévisé.
Ce n’est pas simplement l’agacement lié à ce bourdonnement incessant, ce buzz négatif qui vous construit une bad reputation, avec cette question qui revient comme une ritournelle dès que vous vous retrouvez à une rencontre internationale : « Que se passe-t-il dans votre pays ? » A cet agenda que lui imposent des acteurs exogènes, il y a son propre agenda politique, qui n’a rien de facile. Essayons de démêler cet écheveau. Le tourbillon commence avec le rapport 2017 de Amnesty international.
L’ONG y accuse l’armée camerounaise des pires violations des droits de l’Homme, comme en 2016 déjà. Le Bataillon d’intervention rapide (BIR), chouchou des forces de défense camerounaises, corps d’élite aussi populaire que redoutable, est particulièrement visé. Autant toucher à Paul Biya lui-même. Le gouvernement a beau s’indigner, Amnesty bénéficie d’une plus grande audience et ses dénonciations ont une résonance qui fait mal. Africom, commandement militaire américain pour l’Afrique, est même soupçonné de couvrir les tortures alléguées, provoquant une enquête du Pentagone.
Les Etats-Unis ont conservé leur partenariat avec l’armée camerounaise, ils ont même exprimé leurs réserves au sujet des accusations de Amnesty international. La presse camerounaise n’a pas fait écho à la croisade droit-de-l’hommiste de l’ONG. Au contraire, elle s’est alignée sur une opinion publique excédée par la partialité du rapport d’Amnesty dont la virulence à l’encontre de l’armée est inversement proportionnelle à son silence face aux souffrances des populations de l’Extrême-Nord victimes de la barbarie de Boko Haram. Un vrai cas d’école pour l’ONG, prise à partie où elle reçoit d’habitude des lauriers. Mauvais timing aussi: ses accusations ont coïncidé avec une reprise des attentats terroristes avec leur lot de morts – déjà 2 000 – et de blessés et les torrents de larmes d’une population meurtrie. Cette dernière ne peut pas comprendre le discours des droits de l’homme car les siens ne sont pas respectés par Boko Haram.
Le pouvoir est mal à l’aise devant cette question dont il ne sait plus de quel côté se trouve la solution. On le sait avec l’envoi des missions d’explication en Afrique du Sud, aux Etats-Unis et en Europe auprès de la diaspora camerounaise.
Mais quelle idée ! Tout ce que ce vaudeville de campagne a réussi c’est ressusciter, amplifier et radicaliser les velléités des séparatistes dont les têtes de pont sont justement installées à l’étranger, où ils peuvent cultiver la haine et la division impunément. Cela s’appelle se jeter dans la gueule du loup. Une vidéo disgracieuse sur les conditions de détention des jeunes interpellés dans le cadre de cette crise circule depuis deux semaines sur internet. Tout comme les images incommodantes des émissaires du gouvernement, embarrassés par des manifestants surexcités.
Ce qu’on a vu, c’est un Etat ridiculisé et méprisé. Un Etat impuissant. Puis arrive la polémique sur la capacité du Cameroun à organiser la CAN de football en 2019. L’impétueux président de la CAF croit savoir que le pays de Paul Biya ne sera prêt ni aujourd’hui ni demain ni jamais, et semble plus enclin à la lui retirer. La sortie médiatique de Ahmad Ahmad au cours d’une visite à Ouagadougou n’est pas qu’une erreur, c’est une faute pour le dirigeant d’une organisation continentale destinée à rapprocher les peuples. Les déclarations approximatives du successeur de Issa Hayatou n’ont servi qu’à rassembler les Camerounaises derrière l’orgueil national, offrant au pouvoir de Yaoundé un soutien populaire qu’il n’espérait pas. La faiblesse de l’adversité proposée par le président de la CAF rend jouissive la moindre réponse du sommet de l’Etat : « 2019 c’est déjà demain et je prends l’engagement que le Cameroun sera prêt », a déclaré Paul Biya jeudi 10 août. En revanche, le président de la République sait désormais que l’atout Hayatou n’est pas simplement effacé, une équipe anti-Hayatou tient les rênes de la CAF et ne fera pas de cadeau à son pays. L’organisation de la CAN n’est plus un prestige, elle est devenue un enjeu diplomatique continental, mais aussi un défi de politique intérieure. En effet, si l’actualité focalise l’attention de l’opinion publique sur la CAN de football de 2019, il reste que le pays doit affronter en 2018, soit un an avant, au moins quatre scrutins et l’organisation de cette fête du football a tout l’air d’une campagne électorale.
International Crisis Group n’a pas tort de relever toutes les contingences liées à ces opérations qui soulèvent de tout temps les passions et réveillent les ambitions. La présidentielle, la mère des élections, est prévue dans ce même agenda touffu. Paul Biya n’est pas étranger à cet alignement d’échéances. Si les législatives et les municipales avaient été tenues à date, c’est-à-dire en 2012 au lieu de 2013, elles ne feraient pas partie de cet embouteillage. Et c’est aussi Paul Biya qui a fixé, tout seul, l’année 2013 pour l’organisation des premières sénatoriales, alors qu’il aurait aussi pu les programmer un an plus tôt ou plus tard.
L’équation posée sur sa table est financière. Il faut trouver les ressources budgétaires pour financer les quatre scrutins en tenant compte que les fonds de fonctionnement d’Elecam en année non électorale s’élèvent à 9,5 milliards de FCFA. Il faut aussi rappeler le contexte économique du Cameroun, pris en tenaille par une baisse des revenus pétroliers, une chute du cours du cacao, la mise en œuvre de l’APE rendue à sa deuxième année, le tout sous un programme contraignant avec le Fonds monétaire international.
Tout cela ne dispense pas le pays de continuer à financer la guerre contre Boko Haram et l’assistance humanitaire aux dizaines de milliers de réfugiés nigérians et centrafricains sur son sol. Une partie de la CAN sera nourrie à la dette, mais cette compétition grèvera de toutes les façons le budget de l’Etat. Mauvais signes. Chaque matin en se rasant, Paul Biya ne se dit peut-être pas qu’il aurait dû quitter ce pouvoir plus tôt, mais il devrait s’interroger, à 84 ans dont 35 passés à Etoudi, sur l’opportunité de continuer, car il semble bien que plus les jours passent, plus la situation devient difficile. Comme si l’avenir était devenu un vaste piège qui se referme sur lui.