Il a débarqué par un froid matin de février 2017 au 57 bis de la rue d’Auteuil. L’accueil de Jeune Afrique annonce un visiteur au nom de roi mage. La poignée de main est ferme mais la silhouette vacillante, rongée par un lymphome qui l’oblige alors à séjourner à Paris. Balthasar est venu faire la connaissance du « Mbamois » de la rédaction.
Je connaissais le gentilé désignant les habitants du Mbam, cette vaste plaine du centre du Cameroun d’où sont originaires mes parents. Mais ce terme me paraissait peu usité, bien moins en tout cas que celui de Bafa, qui est à la fois le nom de la grande ville de la contrée et, par extension, celui de cette atomicité de peuplades parlant des langues qui changent tous les dix kilomètres et partageant, du reste, peu d’affinités culturelles.
J’ignorais qu’au fil du temps une ethnicité s’était construite en épousant les contours de ce département. J’ai découvert qu’une identité avait été forgée ces dernières années, puisant ses racines dans une historicité avérée ou fantasmée, faite de rituels collectifs, dans laquelle se reconnaissait la communauté « Mbamoise ».
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Au bout de deux minutes d’entretien, levant les yeux au ciel devant tant d’ignorance, mon invité surprise au franc-parler désarmant m’explique patiemment que nos articles appliquent au Cameroun et à l’Afrique des grilles de lecture occidentales, sans tenir compte des réalités du pays. Et que cette espèce « d’aliénation culturelle » – je le cite – nous empêche d’en comprendre les subtilités politiques.
De fait, au Cameroun, le « facteur ethnique » est devenu omniprésent à l’approche de l’élection présidentielle, qui doit avoir lieu entre octobre et novembre 2018. Il transcende les générations et les afnités partisanes, structure la vie politique et les rapports sociaux. Les conversations s’engagent par une question tout sauf anodine : « De quelle région viens-tu ? » La mention de l’origine pose les prolégomènes de l’entretien et détermine la nature des relations à venir. Elle peut être un sésame qui ouvre des portes, délie les langues ou, au contraire, jeter un froid polaire… Quant à la réponse, elle peut établir un lien de confiance ou en fixer drastiquement les limites.
Dans le cas du journaliste en mission, elle régule l’accès à l’information en fonction de sa sensibilité, tel un niveau d’habilitation.
« Je vous prenais pour un Bamiléké », s’est un jour excusé un ancien ministre de la Défense comme si, adressée à d’autres Camerounais, « Bamiléké » pouvait blesser autant qu’une épithète infamante. On est accueilli comme on s’habille, mais raccompagné comme on parle. Le mot « anglophone » ne définit plus un locuteur de la langue de Shakespeare mais désigne quiconque est originaire des régions frondeuses du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, anciennement sous tutelle britannique et aujourd’hui sous les feux de l’actualité.
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Probable candidat à sa succession, Paul Biya, 85 ans, se pose depuis longtemps en seul garant de la paix entre plus de 200 micronationalités aux intérêts antagonistes. C’est l’un des secrets de sa longévité au sommet d’un État qu’il dirige depuis trente-cinq ans. En période électorale, l’ethnie est instrumentalisée pour torpiller tout projet de candidature unique de l’opposition et éparpiller son électorat. Les stéréotypes sont mobilisés pour susciter la peur de l’alternance.
Mais le tribalisme n’est pas l’apanage d’un seul parti. Qui peut dire que l’UNDP [Union nationale pour la démocratie et le progrès] « recrute » véritablement au-delà de ce grand Nord dont est originaire son président, Bello Bouba Maïgari, ou que le SDF [Front Social-Démocrate] convainc au-delà des provinces anglophones?
Certains prétendants à la candidature tentent de prendre de la hauteur en produisant des idées. Peine perdue, cela ne prend pas. Incapables de transcender les rivalités ethno-régionales, les Camerounais confondent débat d’idées et défense de la communauté. Saturés, les égouts menacent de déborder… Et pourtant : parler la même langue maternelle ne revient pas à penser de la même manière.