Tribalisme veut dire : priorité accordée à une tribu au détriment d'une ou de plus d'une autre. Aussi l'idéologie tribaliste est-elle un ensemble de croyances que les hommes se font de leur existence, autour desquelles ils organisent leur vie présente, et grâce auxquelles ils entreprennent de modeler leur avenir. Cet ensemble de croyances affirme la prépondérance d'une tribu sur les autres. L'idéologie tribaliste n'est pas cependant ensemble de croyances seulement. Ce sont en fait des croyances ritualisées dans les actes. C'est donc un comportement, une conduite pratique, une forme d'organisation du rapport social à l'Autre qui ne fait pas partie de la même tribu que celle dont on se réclame.
Ainsi peut-on dire du tribalisme qu'il est un ensemble de représentations affectivo-intellectuelles objectivement déterminées par des structures socioéconomiques frustes et inégalitaires, et subjectivement intériorisées par les hommes, puis ritualisées dans leurs comportements au cours des luttes sociales qui engagent leur existence présente et leur devenir, et qui se nouent autour de la rareté des biens de toutes sortes : pouvoir, richesses, honneurs, etc.
Ce qu'on appelle tribu est une invention lexicale affectée d'un import péjoratif, et asservie aux desseins colonialistes et néocolonialistes de division, d'exploitation et de domination des peuples non-occidentaux, et africains notamment.
L'administration coloniale a largement contribué à la reproduction de l'ethnicité en l'exploitant en sa faveur. Ce système de divisions ethniques s'est perpétué de façon endémique sous l'administration néocoloniale.
Ainsi le Cameroun indépendant, bien que jeune, draine déjà une vieille tradition de tribalisme dont les manifestations se donnent à voir sporadiquement dans des affrontements physiques, politiques et intellectuels des individus ou des groupes ethniques différents. Retour sur quelques faits marquants.
Dans l'idéologie tribaliste cependant ces différences sont affectées d'un traitement particulier : elles sont converties en facteurs d'infériorisation de l'Autre, ou de supériorité qu'on s'adjuge sur l'Autre. Elles deviennent ainsi le prétexte au droit qu'on se reconnaît d'agresser l'Autre, de l'exploiter, ou de le dominer. On part donc d'une ou de plus d'une différence remarquée ou présumée entre l'Autre et soi. On la généralise au groupe dont l'Autre est issu. On s'explique, et explique, par elle l'état du rapport entre l'Autre et soi. Dans ce rapport on identifie l'Autre comme inférieur, et s'identifie soi-même comme supérieur. On s'autorise du rapport ainsi saisi en termes d'infériorité et de supériorité pour se reconnaître un prétendu droit sur l'Autre : le droit de l'agresser, de l'exploiter, de le dominer, ou commander, etc. Ce droit lui-même fournit l'alibi d'une action pratique d'agression, d'exploitation, de domination, de commandement, d'exclusion, etc, de l'Autre. On voit que l'idéologie tribaliste est à la fois idée et pratique de cette idée. Si le tribalisme est tant décrié, c'est bien parce que, clairement ou confusément, on en saisit la pratique non pas comme un acte accidentel et isolé, quelque chose de passager, mais bien comme un acte qui en inaugure une série ou s'y insère, laissant ainsi voir qu'il s'agit de quelque chose de plus ou moins systématisé, structuré. L'idéologie tribaliste a donc une armature intellectuelle et une matérialité, une consistance physique : elle tire ses idées de l'évidence, souvent trompeuse, de "vérités" rassemblées au hasard d'observations, d'expériences partielles mais hâtivement généralisées, de façon indue, et amalgamées aux contre-vérités de préjugés reçus sans critique. Sa matérialité s'appréhende dans la façon dont elle est ritualisée dans les conduites quotidiennes, les formes d'organisation de la vie socio-économique, associative, politique, culturelle, etc, et va même jusqu'à prendre corps dans des groupes organisés, et s'il se peut, institutionnalisés. D'où vient le tribalisme ainsi compris comme idée et pratique, c'est- à- dire comme pratique d'une certaine idée, implicite ou explicite, qu'on se fait de l'Autre, ou plus exactement des autres ?
Depuis la promulgation de la constitution du 18 janvier 1996, les Camerounais ne se sentent plus chez eux partout au Cameroun. Lorsqu'ils voyagent d'une province à l'autre, ils savent qu'ils vont à l'étranger, puisque leur loi fondamentale prévoit de les considérer, à leur arrivée dans la nouvelle province, comme des allogènes et, surtout, de protéger les autochtones considérés alors comme minoritaires. Cette ségrégation ethnique, cet apartheid tribal dont la loi fondamentale est la garante, nuit à l'unité nationale, détruit l'intégration nationale acquise de haute lutte et traduit le type de système politique sous lequel croupissent les Camerounais: Une dictature aveugle qui tire son énergie de l'exclusion sociale et politique des communautés ethniques(Le Jour).