Les 10 plaies d’Egypte du Cameroun: Passe-Droits et impunite

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Tue, 30 Jun 2015 Source: Paul Samangassou

Pour punir les Egyptiens qui retenaient en esclavage les Juifs et malgré les menaces qu’il avait proférées par la bouche de Moïse, YHVH, paraît-il, aurait lancé 10 calamités sur l’Egypte.

Les voici dans l’ordre de leur apparition : eaux du fleuve changées en sang, grenouilles, moustiques, mouches, mort des troupeaux, furoncles, grêle, sauterelles, ténèbres, et enfin, mort des premiers-nés. Chaque semaine, dans cette même place, nous publierons une des nombreuses plaies qui infectent notre nation.

Pas celles que pourraient nous infliger YHVH ou quelque autre déité, mais celles que nous ne cessons de causer à notre corps social, de manière plus ou moins consciente. Et Dieu sait si elles sont nombreuses, nos plaies.

Les deux premières plaies du Cameroun (Violation des lois & Indiscipline et Incivisme) produisent fatalement la troisième plaie. Dans les pays où les dirigeants sont sérieux, la loi n’est pas faite pour être contournée ni violée, si ce n’est pas les hors-la-loi, ainsi appelés parce qu’ils considèrent que, restreignant leur volonté de transgression, elle doit être combattue ; elle est faite pour fixer les règles que tous les citoyens sont tenus de respecter.

Ceux qui doivent la faire respecter font donc le nécessaire pour mettre les malfaiteurs hors-jeu. Mais lorsque gardiens de la loi et malfrats font amis-amis, ou lorsque ceux qui en veulent à la loi sont aussi nombreux dans un camp et dans l’autre, se développent passe-droits et impunité, deux contre-valeurs combattues sous d’autres cieux pour leur nocivité, exaltées chez nous pour leurs vertus vénéneuses. Rassurez-vous, elles ne tuent « que » le pays, qui est une notion abstraite.

Il ne suffit pas de connaître le système et d’y être introduit pour bénéficier des avantages indus qu’il attribue à ses affidés. Les choses sont bien plus complexes. L’Epervier a fondu sur quelques proies, sans véritable raison d’en faire des exemples, à ce qu’il paraît. Il s’est agi d’une opération cosmétique destinée, selon les experts, à rassurer les investisseurs et les bailleurs de fonds dont les pouvoirs publics craignaient de voir fondre la « générosité ».

Les mauvais coucheurs prétendent qu’il s’agissait surtout de faire d’une pierre quatre coups : donner un gage à ceux qui nous font croire depuis des années qu’ils financent notre développement, faire peur aux agresseurs des caisses publiques qui se multiplient de plus en plus, réduisant drastiquement la part de ceux qui se croient plus légitimes et qui s’empiffrent « légalement », menacer de manière subliminale ceux qui, après avoir pioché plus ou moins dans les fonds publics, pourraient être tentés de cracher dans la soupe plus tard, et enfin, détourner l’attention des protégés qui se goinfrent à l’abri de tout regard et sur lesquels les journaux attirent l’attention à l’occasion.

Dans ce pays que nous aimons chacun à sa manière (avec plus de 260 ethnies, le Cameroun souffre de ce trop plein d’amour contradictoire !), on peut identifier quatre groupes de citoyens (comme il y a quatre groupes sanguins) : ceux qui peuvent tout obtenir sans bouger de leur domicile ou de leur bureau (marchés publics, missions, inscriptions sur les listes des lauréats de concours, des places dans l’avion sans réservation préalable même s’il faut débarquer d’autres voyageurs, des bons de carburants payés sur les deniers publics pour les besoins de l’administration…) ; ceux qui gèrent la fortune publics et se déplacent avec des mallettes pleines d’un argent dont ils ne peuvent justifier l’origine ; ceux qui vivent dans le sillage de ces deux premiers groupes et qui, en grenouillant dans les rangs du parti de la flamme et de la fumée, vivent des copeaux et des miettes qui tombent parcimonieusement des tables de leurs commensaux ; le groupe des anonymes enfin, constitué aussi bien de ceux que la situation de l’Etat indiffère et de ceux qui se battent contre le système avec les armes dont ils disposent, et qui refusent de se laisser noyer dans la médiocrité ambiante.

Pour bénéficier du système et de ses « bienfaits », il faut appartenir aux bons cercles : claniques, ésotériques, religieux, académiques ou encore alimentaires. C’est une nébuleuse aux ramifications complexes où les membres ne se connaissent pas tous entre eux mais interviennent rapidement pour mettre hors de danger celui qui viendrait à se faire prendre. Quand on appartient à ces cercles, on est rarement poursuivi pour un larcin inférieur à plusieurs milliards de francs CFA, la nouvelle unité de mesure. Et encore ! Impunité, toujours.

Dans notre imaginaire collectif, la République est soit une table de festin autour de laquelle s’ébattent les « élus » de YHWH (le pouvoir ne vient-il pas de Dieu ?), soit une vache à lait que ne peuvent traire que ceux que Dieu aurait, dans sa grande générosité, appelés. Ils peuvent en abuser sans conséquences. Mais attention à la colère du même YHWH. Il a puni les Egyptiens pour bien moins que ça, eux qui ne faisaient pas de mal à leur pays, se contentant seulement de maintenir les Juifs en esclavage.

Auteur: Paul Samangassou