Les Camerounais excédés par les coupures d’électricité

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Wed, 17 Jun 2015 Source: Richard Bondol

«Depuis deux semaines, nous vivons dans le noir. Nous sommes condamnés à utiliser les braises et les lampes tempête, c’est inacceptable et inadmissible » se lamente Mylène EKAMBI, une habitante de douala, excédée par les coupures d’électricité.

Si la capitale économique du Cameroun est habituée aux délestages quotidiens, elle connait, depuis plus de deux semaines, une faible desserte en électricité qui plonge des quartiers entiers dans le noir et obligent les industries à tourner au ralenti.

Pour les spécialistes, ces problèmes d'alimentation électrique relèvent de l'anomalie structurelle dans un pays qui possède l'un des plus gros potentiels hydro-électriques du continent. L’année dernière, le Groupement inter patronal du Cameroun (GiCAM) rendait d’ailleurs un rapport sur les conséquences qualifiées de «désastreuses» des coupures électriques régulièrement subies par les entreprises.

La société privée Eneo Cameroon, qui produit, transporte et distribue le courant au Cameroun, est dans la ligne de mire, plus d’un an après avoir remplacé Aes Sonel, la situation ne paraît pas s'améliorer.

Pour faire face à cette situation, le ministre de l’eau et de l’énergie, Basile Atangana Kouna a présidé vendredi dernier, 5 juin 2015, dans la salle de conférences de son département ministériel, une session extraordinaire du comité de suivi de l’étiage 2015, regroupant les principaux intervenants dans la chaîne de la fourniture de l’énergie électrique sur l’ensemble du territoire national.

Comme d’habitude, des discours, rien que des discours. Au terme des échanges, le ministre Basile Atangana Kouna a espéré un retour à la normale d’ici la fin de ce mois de juin. En attendant, les coupures d’électricité, elles, continuent.

Si toutes ces coupures sont gênantes, elles sont surtout significatives de l'état de délabrement d’une société comme Eneo, pourtant porteuse de beaucoup d’espoir.

Joël nana Kontchou, le tout premier directeur général d’Eneo, ne déclarait-il pas le vendredi 12 septembre 2014 que « Eneo Cameroon arrive avec de nouvelles ambitions et de nouveaux moyens qui devraient contribuer à proposer à nos clients une marque cohérente avec sa mission historique, fière de ses nouvelles valeurs, puisant dans l’expérience de son personnel et les technologies innovantes pour relever les défis d’aujourd’hui ». Hélas, trois fois hélas !

Problème de gouvernance

« Comme Aes Sonel à l’époque, Eneo Cameroon aujourd’hui manque également de gouvernance, affirme un économiste et spécialiste de l'électricité qui a requis l’anonymat. Je parle de corruption ! Non seulement dans cette société d'électricité, mais aussi dans le ministère de l’eau et de l'énergie. C'est pour cela que personne n'a jamais voulu essayer d'améliorer la gestion de ces entreprises. »

Résultat des courses, selon notre interlocuteur : il faut « une meilleure gouvernance, pour le dire pudiquement, et un meilleur cadre institutionnel pour renforcer le secteur de l’électricité au Cameroun».

n meilleur cadre institutionnel et juridique, une meilleure planification de la politique publique en la matière, afin de susciter l'intérêt des investisseurs potentiels... mais pas seulement. C'est que les investisseurs en question, par définition, veulent surtout de la rentabilité.

Et du coup, des questions fusent de partout : Comment penser au développement quand suite à des coupures d’électricité, des congélateurs ne fonctionnent pas et que trois jours voire une semaine après, quand l’électricité est rétablie, les commerçants nourrissent les populations avec du poisson ou de la viande avariée ?

Comment penser à l’émergence du Cameroun en 2035 quand, lorsque l’état veut encourager les PME et qu’un jeune ouvre une scierie, celle-ci ne fonctionne pas pendant des semaines, alors qu’il a des employés à payer ? Comment vouloir s’arrimer au reste du monde et à l’usage des nouvelles technologies par la jeunesse quand par manque d’électricité, une salle d’informatique dans un quelconque établissement ne peut fonctionner pour que les élèves en profitent ? Comment, comment ?

Si, dans certains cas, la vétusté des installations est directement mise en cause dans la baisse de la production électrique comme ne cesse de le ressasser Joël nana Kontchou, le directeur général d’Eneo Cameroon, dans toutes ses déclarations ces derniers jours, il est également clair que les choix de gestion maladroits d’Aes Sonel hier et de Eneo Cameroon aujourd’hui ont beaucoup favorisé ce déficit.

L’accent n’a pas vraiment été mis dans la modernisation des installations mais plutôt dans l’exploitation des structures viables. Malgré les multiples contraintes inscrites dans les cahiers des charges, et qui mentionnent les activités de production, de transport, de distribution et de vente de l’électricité, les investisseurs ont plutôt joué la carte de la sécurité, minorant certainement les conséquences des fameux délestages.

Cela induit de curieux paradoxes. Par exemple, notre potentiel hydroélectrique est estimé à 12 000 MW, soit 10 fois l’énergie exploitée et produite ces dernières années.

Échec de la privatisation

En effet, c’est le modèle de privatisation de la gestion du réseau électrique adopté par le Cameroun, sous l’égide des institutions de Bretton Woods, qui pose de sérieux problèmes aujourd’hui. et pour tout dire, c’est l’absence d’une stratégie cohérente et efficace de l’état dans la gestion de la société nationale d’électricité (Sonel) avant la privatisation et des sociétés privées telles qu’Aes Sonel et Eneo Cameroon qui ont ensuite pris le relais, qui est responsable de la situation catastrophique de ce secteur.

Ces deux parties ont par exemple surestimé les capacités opérationnelles de leurs réseaux de distribution tout en minimisant la demande effective d’énergie de la population. Des erreurs de calcul que payent très cher les Camerounais aujourd’hui.

Heureusement ou malheureusement, des Camerounais ingénieux se sont tournés vers le roi soleil. Heureusement, parce que désormais nous avons des lampes, des panneaux, des torches, des téléphones et même des ordinateurs solaires. Malheureusement, car en saison pluvieuse il sera difficile de les utiliser au regard de l’instabilité du climat.

Ces outils quotidiens solaires nécessitent sans doute encore des recherches approfondies pour une plus longue autonomie et une durée de vie plus grande. Quand ce sera chose faite, en tout cas, il faudra alors revoir les prix car pour que les Camerounais, dans leur ensemble, puissent véritablement jouir des technologies solaires, il faudrait bien que les prix de ces outils collent à la réalité de leur pouvoir d’achat.

Auteur: Richard Bondol