Dans mes brèves interventions au nom de la lutte pour les droits de l’Homme au Cameroun, je suis devenu sociologue amateur. J’ai décidé de m’investir dans ce projet, d’abord parce que, pendant plus d’une décennie, j’ai assisté en silence au spectacle d’un CL2P faisant face à toutes sortes d’abus, qui souvent n’avaient rien à voir avec les faits qu’ils défendaient. Le CL2P ne m’a jamais demandé de faire quoi que ce soit parce qu’ils peuvent très bien se défendre tout seul. Le devoir moral et intellectuel m’a finalement convaincu de monter sur le ring.
Dans la lutte pour les droits de l’Homme au Cameroun, il y a toutes sortes d’adversaires. Parmi ceux-ci:
– les complices du régime qui protègent jalousement leurs statuts et privilèges,
– ceux qui pensent qu’ils sont au-dessus de la mêlée, parce membres du sérail et apparentés,
– les lâches résignés à garder leurs «secrets publics»,
– et les «idiots utiles» du régime qui sont souvent de véritables laveurs de cerveaux, se présentant paradoxalement dans les débats publics comme des «révoltés et des révolutionnaires», mais qui en réalité sont les premiers partisans du statu quo dictatorial et répressif, car vivant essentiellement dans la matrice du régime de Yaoundé, et prospérant uniquement en tant que facilitateurs, penseurs, idéologues, et intellectuels modèles du «Renouveau» autocratique. Ils trahissent fréquemment leur manque d’indépendance envers le régime à travers les moyens solipsistes et narcissiques qu’ils utilisent pour cracher littéralement au visage de tout contradicteur sans la moindre élégance ni considération.
Pour cet article, je vais me concentrer sur les imbéciles et les idiots utiles du régime Biya qui apprécient particulièrement ce que le penseur français René Girard a appelé le «désir mimétique» et le «bouc émissaire».
Ces idiots utiles pensent toujours qu’ils peuvent identifier ou déceler vos motivations les plus basses, quand ils ne les fabriquent pas purement et simplement pour honorer leur «bonne ou juste cause», c’est-à-dire la pérennisation du statu quo dictatorial. Ceci est essentiel pour comprendre la lutte contre les libertés civiles au Cameroun. Ces marionnettes sont des idiots très combatifs qui doivent toujours se considérer comme les éternels «gagnants». Ce désir de «gagner» trahit toutefois un réflexe presque pathologique consistant à nier en permanence la réalité des faits.
C’est pour cela qu’ils ne racontent pas des mensonges comme des Hommes politiques ordinaires (pourrait-on dire), notamment dans ces scènes quotidiennes où le politicien sait qu’il ment, et où nous savons aussi qu’ils le savent, mais c’est un jeu que nous devons supporter, y compris en démocratie. Mais nos idiots utiles du régime dictatorial de Yaoundé quant à eux, croient réellement en leurs mensonges et c’est cela qui est le plus dérangeant. Leur objectif est surtout de prouver qu’ils sont motivés voire habités par la loi du plus fort (dont ils disent en être l’incarnation). Mais dans la réalité ils sont d’étranges «justiciers». En effet leur dépendance au régime Biya est tellement flagrante et évidente, notamment dans la manière qu’ils ont de s’attaquer violemment à quiconque ose analyser en profondeur le despotisme légal instauré au Cameroun par le Vieux Nègre.
C’est la manifestation de la notion de victime «sacrificielle» si bien décrite par le penseur René Girard. Girard fait en effet valoir que pratiquement toute communauté humaine est fondée sur ce qu’il appelle «le mécanisme du bouc-émissaire». C’est le processus par lequel nous déchargeons nos tensions sociétales sur une victime que nous avons collectivement décidée de punir. Ainsi au moins pendant un certain temps nous parvenons effectivement à trouver un semblant de paix et de stabilité à notre communauté volatile.Cela permet d’expliquer largement pourquoi la dynamique du bouc émissaire est si populaire auprès du régime de Yaoundé et qu’elle a acquis une onction quasi religieuse transformant «l’homme-lion» en dieu sur terre.
Le CL2P a maintes fois fait la démonstration de la manière dont la figure de «l’opposant» intervient dans le mécanisme sacrificiel du gouvernement camerounais à partir de la figure du «Maquisard» (pendant la guerre d’indépendance et après), du «putschiste» (lors du coup d’état manqué du 06 avril 1984 et après), de «l’éperviable» (avec l’épuration politique menée sous couvert de la lutte contre la corruption), puis de «la cinquième colonne anglophone » (depuis la répression aveugle du mouvement de désobéissance civile dans les deux régions anglophones). Et ainsi de suite…
Ce désir du bouc émissaire met en évidence un instinct très ancré pour le sacrifice humain qui ne tarde jamais à remonter à la surface au Cameroun, et qui pourrait même préexister à la modernité culturelle et technologique. Car le sacrifice qui se déroule dans les « mouroir concentrationnaires » du régime Biya est une conséquence directe des formes de comportements et des modes d’organisation sociale pervers de ce régime, et dont il s’en sert pour parvenir rapidement à ce qu’il considère comme des «succès politiques» retentissants.
Il s’agit d’une forme caractérisée de comportement méchant, cruel, et sanguinaire qui commence toujours bonnement par le fait d’empêcher les gens ordinaires d’exercer leur liberté d’expression, sans qu’ils se voient cracher toutes les immondices à la figure. C’est une mentalité autoritaire qui fait le lit du régime Biya, puis le malheur des idées de démocratie et de tolérance au Cameroun. Mais plus pour très longtemps, parce que l’arc de l’univers moral penche irréversiblement vers la Justice.