Les leçons à tirer de la libération des leaders anglophones

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Thu, 31 Aug 2017 Source: Patrice Nganang

La première leçon et la plus grande est que la pression de la rue menée par un leadership incorruptible paye. Elle paye toujours et elle payera toujours. Je peux me tromper, mais historiens aidez-moi, je ne me souviens pas que Paul Biya ait jamais libéré quiconque de ses prisons sans que celui-ci soit condamne au préalable. Au pays on appelé cela 'laisser la justice faire son travail.' Voilà donc une première, je dirai. Pourquoi donc la justice tyrannique n'a pas 'fait son travail' cette fois-ci?

Parce que pendant 224 jours, les Anglophones au Sud-Ouest et au Nord-Ouest, sont demeures unis dans une action de terrain, de rue, de ratissage, comme notre pays n'en a jamais vue. Ils ont mis en branle la désobéissance civique la plus longue de ce pays, et cela de manière parfaitement non-violente. Il est à noter que leurs leaders ne sont tombes dans aucun des pièges que le tyran a mis sur leur chemin, à commencer par les concessions de pacotille, ces genres de choses qui auraient fait les Francophones jeter l'éponge, vider les rangs, et signer des motions de soutien.

Bien au contraire, les Anglophones ont laissé à la maison ce qu'ils ont de plus précieux: leurs enfants. Ils ont maintenu l'opération Villes mortes et Ecoles mortes comme jamais cela n'a eu lieu dans notre pays - à sang pour sang. Les dernières images de Bamenda et de Buea que j'ai vues hier étaient extraordinaires, et c'étaient des maisons en feu, des voitures en feu. Car une action de désobéissance civile se protège évidemment, bien évidemment et cela a eu lieu.

Le tyran a donc plie l'échine, et c'est fondamental. C'est une victoire qui devrait encore plus intensifier le pourrissement, et c'est-à-dire la bataille sur le terrain. Il y'a quelques mois je parlais avec un aîné qui me racontait son rêve fou 'd'embrasement du pays'. Je n'ai pas voulu éclater de rire, car rien ne peut être plus politiquement bête que cela.

Historiquement, et cela depuis 1961, mais surtout à cause de sa proximité avec le géant Nigeria, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest ont toujours été l'avant-garde de notre histoire. Ce n'est pas pour rien d'ailleurs qu'en 1955, c'est à Kumba, et puis à Bamenda que les upecistes s'étaient refugies. Avant de prendre la route du Soudan. La position des Anglophones par rapport à notre histoire, leur avant-garde, s'est répétée en 1990, avec les marches pour le multipartisme qu'ils ont mis en branle. Mais surtout, c'est fondamental de se rappeler toujours que le lieu où l'opposition politique est portée dans notre pays est bel est bien dans la zone anglophone - avec le SDF. C'est dire que nous avons à faire ici avec la tête pensante de notre futur, et l'expression de ce futur-là, c'est le fédéralisme. La bataille politique n'a de sens que si elle est organisée, orientée, et tactiquement mise en branle. Les Anglophones, en mettant à plat la zone anglophone, redéfinissent les cartes politiques de notre pays, en leur donnant la coloration qui seule fasse sens - fédérale.

Mais le problème le plus visible chez nous évidemment est celui du leadership. Rien ne peut être atteint sans lui, et tout se perd avec un leadership corrompu. En tyrannie, et cela nous a été enseigne par les prisonniers le plus connus comme Wole Soyinka, mais surtout Nelson Mandela, la survie et même la victoire du prisonnier dépend aussi fondamentalement de l'oppresseur. La libération sans condamnation d’Agbor Balla et de ses compagnons les remet donc dans la scène publique, sans les diminuer de leurs droits citoyens. Et cela est important, cela est cardinal. De mon point de vue la condamnation en tyrannie est le handicap qui rend illusoire beaucoup de carrières post-emprisonnement - pensons ici à Marafa -, et fait des ex-prisonniers des laquais de la tyrannie qui les a emprisonnes. Il nous a ainsi été toujours donne de voir des gens sortir de prison avec dans leurs poches des motions de soutien qu'ils ont écrit en captivité. Ici nous avons bien au contraire un leader qui sort blanchi, et donc prêt à entrer de plein pied dans la bataille qui elle, est bien celle d'un Cameroun nouveau. L'enjeu n'est pas minimal, bien au contraire, car il s'agit de nous tous - et plus seulement des Anglophones.

Depuis 1961, depuis 1955, ils ont toujours porte sur leurs frêles épaules la composition même du futur de notre pays. Cela n'a pas changé et ne changera pas facilement. Car il s'agit bien de la composition dans les faits, d'un Cameroun dans lequel ce qui a eu lieu n'aura plus jamais place - la marginalisation d'une partie du pays parce qu'elle parle anglais. Seul un Cameroun fédéral rendra telle vision possible, et aujourd'hui il est soudain un peu plus à notre portée.

Auteur: Patrice Nganang