Selon le prof Edouard Bokagne, la performance des partis d'opposition lors des élections sénatoriales bouclées dimanche dernier, ressemble à un aspect du film Matrix.
"Dimanche passé, le RDPC a engrangé 70 sièges de sénateurs sur les 70 en compétition. Et les uns et autres de hurler à l'attentat contre la démocratie. Il s'en est même trouvés pour suggérer que, les 30 restants à nommer, le chef d'État ne les choisisse qu'au sein de l'opposition. C'est une singularité bien de chez-nous, ça : le pouvoir, nommer entièrement ses opposants…
Dans ce genre de situation, il faut procéder aux bonnes réflexions : comme celle tirée d'une répartie du film Matrix, le premier épisode de la série. Après être parvenu à éveiller Neo et à le déconnecter de l'univers artificiel de la matrice, Morpheus entreprend sa formation dans un programme, une sorte de matrice alternative. On bagarre beaucoup dans la matrice. C'est la première chose à apprendre pour y survivre une fois éveillé. Morpheus va donc initier Neo aux arts martiaux.
Neo y excelle. C'est d'autant plus aisé qu'il est hautement spécialisé. Mais il possède un problème - en fait, une tare - de ne pas encore connaître réalités et logiques structurelles de la matrice. Il y combat avec ce qu'il croit savoir du «réel» d'où il est issu et espère vaincre avec ça. Il se retrouve au sol, knocked-out. Et Morpheus lui pose la fatidique question que la défaite aux sénatoriales pose à l'opposition : comment t'ai-je battu ?
C'est-à-dire : où se trouve ton erreur ? Il faut bien percevoir la logique de cette réplique. On se trouve en séance d'initiation. (C'est très exactement là que se trouve l'opposition). Neo est, comme elle, quelqu'un de relativement jeune ; en fait un nouveau-né dans un système qui comporte des personnages plus anciens et tous aussi inefficaces parce qu'ils n'ont pas son potentiel. Pour parvenir à l'efficacité totale, Neo a besoin de deux choses : apprendre et savoir écouter. Pour la deuxième, il dispose de deux mentors : Morpheus et l'Oracle.
Morpheus, c'est l'apprentissage par empirisme, c'est-à-dire par tâtonnements. Il le dit lui-même, c'est «arpenter le chemin». L'Oracle, c'est une révélation immanente : ce qu'il appelle «connaître le chemin». Il y a une différence fondamentale entre les deux et seule la foi les réconcilie. Elle donne désir et volonté d'apprendre et d'avancer. Elle permet de surmonter les échecs ; de se relever après être tombé et de tenter autre chose quand ce qu'on a tenté a échoué.
Mais pour passer de «connaître le chemin» de l'essai parsemé d'échecs à «arpenter le chemin» d'une auto-réalisation qui rendra Neo victorieux contre les agents protecteurs de la matrice, il faut répondre aux questions essentielles : comment as-tu fait pour perdre ? J'ai souvent posé cette question. (En fait, j'ai toujours donné cet enseignement et récolté, ne varietur, que de belles bordées d'injures).
Les militants de l'opposition sont comme le personnage de Cypher dans le film : un type falot et sans envergure, qui préfère l'illusoire du virtuel au concret du réel. C'est lui qui trahira l'équipe, ruinera une mission ; sans savoir qu'il donne-là, l'opportunité à Neo de se dépasser et de donner sens à sa mission. Ça, c'est le film. Qu'en est-il de la réalité ? Comment l'opposition a-t-elle fait pour se faire rétamer ?
D'abord, cette opposition ne sait pas qui elle est et qui elle combat. Savoir qui l'on est relève d'un exercice psychanalytique profond qui s'appelle l'introspection. L'introspection est la plongée dans soi, à la recherche de son propre contour. À la fin de cet exercice, vous pouvez dire : voici qui je suis. J'ai bien aimé le billet de l'Honorable Libii après les sénatoriales. Il est très introspectif.
Si on le croit, son PCRN est à 10% d'une seule sur 10 circonscriptions : donc, virtuellement, à 1% du scrutin total. C'est bien pour lui de savoir ça. Ça jouit de quelques avantages. Ses gens peuvent, par exemple, récupérer leur caution. Mais comme on le voit, le chemin est encore long. Ce serait parfait si la considération de ce chemin lui apprenait que son parti n'est pas l'opposition. Il n'en est qu'une partie : celle qui a obtenu ses 10% de la région du Littoral.
D'autres de la même mouvance ont obtenu des scores tout aussi - sinon plus - étriqués, ça et là dans les régions, au hasard de la compétition. Il y a l'autre pitre qui avait dit à Nkongsamba qu'il irait aux élections. (À vous de comprendre l'illogisme qui l'a antérieurement poussé à ne pas y aller). Il a rapporté à l'opposition ce que des semblables à lui peuvent lui rapporter et qui reflète à la perfection son introspection : un zéro pointé.
Additionnez les zéros et les uns (inversez-les ou mettez les côte à côte) et vous aboutirez à la même réalité : l'action de gens qui ne savent pas qui ils sont. Ils se font tellement tabasser que j'en ai pitié. Ceux qui peuvent même se présenter sont heureux. Victoire, s'ils arrivent à récupérer leur caution. Les autres font des meetings pour annoncer qu'ils compétiront. Le jour de la compète, cherchez-les sur Facebook.
Bien faite, voilà ce que l'introspection de cette opposition donne. Dans le film Matrix, ils sont dans le Nebukadnezzar, le vaisseau maudit qui a de drôles de zèbres aux drôles de noms et d'intérêts. Ça finit à la fin par l'hécatombe. Il y a divergences de vues. Et trahison. Ils finissent eux-mêmes par faire le travail de l'ennemi : ils se massacrent entre eux. Cypher fait tuer Le Mulot. Élimine trois autres. Fait capturer Morpheus. Est lui-même descendu par Doug.
Chacun des coups de l'opposition est d'abord assené à cette même opposition. Le combat est sans merci. Vous connaissez les douceurs que les opposants, devant vous, se sont échangées. Leur maigre butin, en termes de voix, ils veillent scrupuleusement à l'émietter. Puis, il y en a qui vont à l'atalaku avec le RDPC. Ceux qui restent investissent soigneusement le terreau de la distraction. On marche pour des morts. On marche pour rien. On ne marche pas.
Là-dedans, le RDPC est pépère. Lui, a pour seul problème, comme les machines de Matrix, l'agent Smith qui s'est émancipé. Il a trouvé le moyen de se répliquer comme un virus qui menace tout le système et revêt un aspect protéiforme. On vous parle de lutte de clans. L'agent Smith infecte le système. Peut-être va-t-on finir, au rythme de délitement de la matrice, comme dans le film, à l'alliance de Neo aux machines pour arrêter la guerre.
C'est-à-dire que le chef d'État commence à nommer son opposition plutôt que son propre camp.
La réalité aura alors dépassé la fiction.
Dans ce cas, inutile de regarder Matrix. Vous le vivez !"