Lettre à la misère dont je suis témoin

Thu, 24 Mar 2016 Source: Vincent-Sosthène FOUDA

Le poète Victor Hugo dans un mémorable discours à l'Assemblée Nationale française a introduit son discours par ces mots « Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère. »

C'est mots de Victor Hugo ont le visage de Monique Koumateke, de son quartier, le visage des milliers d'hommes et de femmes du Cameroun, eux qui ont quitté le sentier sinueux de la pauvreté pour embrasser et s'installer durablement dans celui de la misère.

Oui, « Pauvre » vient du latin « pauper », cela signifie à l’origine « qui est dans le besoin », « qui produit peu » (comme une terre peu productive).

« Misère » vient du latin « miseria », qui évoque le malheur, le souci, la peine. On y trouve plutôt l’idée de souffrance. La misère peut se définir comme le cumul de la pauvreté matérielle et de l’exclusion sociale. Il s’agit donc d’une pauvreté extrême qui s’accompagne d’un déni permanent de la dignité humaine, c'est-à-dire d’une absence de respect de la part des autres ou de soi-même.

Ainsi, la misère est absolue tandis que la pauvreté est relative aux besoins sans cesse renouvelés issus de l’économie productiviste mondialisée qu’une partie de la population ne peut satisfaire.

Il est difficile de recenser réellement la misère, car les personnes en situation de misère sont invisibles dans les diagnostics chiffrés. En effet, la misère atteint des personnes dans des situations d’extrême privation, marginalisées, et donc exclues des processus de décision, et échappant aux politiques sociales mises en place. C'est le cas de presque 74% de notre population.

Quand vous regardez la photo du domicile de Dame Monique Koumateke, impossible d'imaginer qu'on puisse copuler dedans, qu'on puisse y passer la nuit, sortir le matin, prendre le chemin du centre-ville, stopper un taxi y donner une destination! Ce n'est pas seulement Douala, ce n'est pas seulement un quartier, c'est l'ensemble du Cameroun qui est ainsi habillé d'un cache misère comme le montre Denis Atangana avec sa campagne "Donnez-nous seulement de l'eau".

Car ici on a du mal à laver son corps, à étancher sa soif! Quand on ne peut pas le faire, on ne peut non plus nourrir son corps, alimenter son esprit! Les populations vivent dans le dénuement, sans électricité ! Voilà pourquoi le domicile d’un magistrat hors hiérarchie et du premier groupe si mes souvenirs sont exacts est parti en fumé le dimanche dernier à l’omnisport juste à côté de INADES-Cameroun ; Kengne Pokam Emmanuel à 75 ans a été dévoré par les flammes dévorantes de la nuit sans lumière de la ville de Yaoundé !

Monique Koumateke pour qui j’ai été interpellé, puis assigné à résidence dans la ville qui m’a vu naître, Yaoundé, avait une carte d'électeur parce qu'elle pensait qu'elle pouvait agir sur la société, elle croyait au changement, moi aussi j'y crois comme ce jour-là il y a trois ans à Bonassama avec mon équipe de campagne aux élections municipales et législatives, j’ai découvert cette misère que nous cachons sous nos guenilles - oui Mbopi au Km 14 n'est pas différent de Mvog Ada, de Poumpoumré, de Pont Vert, la misère a envahi tout notre espace social comme des métastases d'un cancer.

Les bras m'en tombent, mais le journaliste Gerry Eba’a en service dans une chaîne de télévision de la capitale économique écrit sur sa page Facebook quelque chose que je souhaite reprendre ici: "chez les Monique Koumateke la pauvreté n’est pas un crime mais un cancer social qui se généralise et dont le gouvernement doit vaincre de toute urgence… Quelques images de la cabane qui a vu naître et grandir Monique Koumateke… » La réplique de Val Tonga journaliste dans la même ville bloggeuse vigilante nous interpelle si nous ne voulons pas simplement reculer chaque jour, d'une fraction de seconde notre agonie: « La pauvreté sourit à l'argent. L'argent achète le silence, réécrit l'histoire des fois ».

Nous sommes de l’autre côté de la périphérie, un côté que le système a créé et ignore. Ici dans l’intimidé la plus profonde, la femme ignore la couleur de la serviette hygiénique, elle utilise des morceaux t’étoffe dont la couleur ferait reculer plus d’un ! Pas de papier hygiénique, pas de toilette mais un trou à la profondeur superficielle fait nager les excréments jusque dans ce qui sert de pièce à coucher.

Le taudis est suspendu sur pilotis chancelant tandis qu’un marécage occupe l’espace qui sépare les pieds de la maison et le les premières planches qui servent de parquet ! Dans un coin s’entasse une ferraille servant d’ustensiles de cuisine. Quatre générations vivent ici au quotidien, père, mère, enfants, petits-enfants et grands-parents. Koumateke avait deux premiers enfants avant que ne survienne le drame qui l’a emporté. Sa fille ainée a l’âge qu’avait sa maman quand elle-même est venue au monde !

Voilà ce que personne ne veut qu’on montre, la visite du gouverneur, celle du ministre de la communication, les caméras, le crépitement des flashes des appareils photos sont un enfermement dans la boite de la désinformation, pour vider le plus rapidement possible les lieux. Le gouvernement a toujours raison dans tous les pays du monde. Et le peuple alors ? Lui ne compte point dans cet îlot de misère.

Les hommes forts m’ont rendu visite, m’ont prié de me tenir à carreau, de quitter le pays qui m’a vu naître, de retourner à l’enseignement car s’il m’arrivait quelque chose de fâcheux « personne ne se frappera trois fois la poitrine pour s’occuper de Théry, de Jessie, de Moisha, d’Annielà, de Shire-Rose, de Junior » mes enfants. « Penses-y monsieur Fouda » m’ont dit-il avant de s’en aller en laissant poster là devant le portail de ma résidence deux policiers que j’ai tôt fait de donner à manger et une bouteille d’eau.

Je suis donc accusé d’attiser la violence pour avoir demandé de voir de montrer, de reconnaitre les responsabilités qui vont au-delà des hommes pour embrasser tout le système avant d’embraser le Cameroun tout entier pour le consumer. Ils oublient que c’est la misère qui est violence permanente dans notre pays. Que l’on n’a point besoin de la désinformation permanente pour rectifier ce dans quoi ils nous ont enfermés. Trois boîtes, la misère intégrée, celle qui n’a plus besoin d’aucun effort pour s’enraciner en nous. Le système gouvernant en place depuis trop longtemps déjà au Cameroun nous dit : « vous êtes des gueux, des miséreux, rien à faire vous devez l’intégrer c’est votre état, n’y sortez point ».

La misère générale, elle touche 86% de la population camerounaise dont 74% de jeunes de 0 à 48 ans. Ce sont des hommes des femmes qui n’ont jamais eu d’emploi, qui vivent dans des maisons-taudis qui appartiennent aux parents voire aux grands-parents. Ils sont allés à l’école, 30% sont diplômés du supérieur, ils ne peuvent pas ou plus passer les concours ! Les dossiers du derniers concours des administrateurs des prisons lancés par le ministre d’Etat ministre de la justice, garde des sceaux Laurent Esso s’élèvent à 35 Fr Cfa dont un mandat poste de 25 000 Fr ! Nombre de place 10 le calcul est rapide à faire 1 place par région ! Il y a environ 200 000 camerounaises et camerounais qui peuvent le faire mais ne le feront pas.

Enfin la misère disqualifiante qui découle des deux premières, c’est l’apothéose, elle est synonyme de chute de déchéance, de marginalisation générale et généralisée, vous êtes relayés à la périphérie de la vie y compris de la vôtre.

La misère spectacle

Monique Koumateke est sortie un matin, elle a attiré l’attention par des paroles et des gestes qui excitent la pitié, elle n’a rien obtenu, comme des milliers d’autres avant elle, elle a renoncé à la supplication pas par dignité mais par incapacité devant la société des prestidigitateurs qui nous gouvernent et nous met au pas.

Monique Koumateke dont le nom nous est toujours étrange comme le visage inconnu a donc avaler son acte de naissance, devant un hôpital de référence dans l’indifférence de toutes et de tous, le système gouvernant l’a mise dans la malle arrière d’un taxi, l’a baladée de centre de soin en centre de soin, il a montré comment elle avalait « deux à trois poissons braisés tous les jours et était incapable de passer un examen prénatal » !

Mais Koumateke est-elle vraiment différente de ceux et celles qui mâchonnent du cuir de chaussures usées, de ceux et celles qui s’enfoncent dans la tête des clous pointus, se tranchent la gorge dans les supers-marchés pour abréger leurs souffrances, de celles de plus en plus nombreuses qui se dénudent, ouvrent les fesses au carrefour Deido, au rond-point Akwa, pendant que nous sortons nos téléphones androïdes de nos poches pour immortaliser ces instants de misère specatacle ? Oui toutes ces images sont là, couchées à plat ventre sur le macadam chaud ou froid des plus absurdes de l’indifférence du système gouvernant et triomphant.

Oui voilà la raison pour laquelle nous disons que ce ne sont pas les hommes qui ont échoué mais le système, ce ne sont pas les hommes qui manquent de compassion mais le système, ce ne sont pas les hommes qui ont baladé le corps de Monique Komateke dans la malle arrière d’un taxi mais le système, ce ne sont pas les hommes qui ont organisé un plan de communication mensonger et permanent mais le système c’est lui qui doit démissionner en masse et le système est porté par le gouvernement de la République ; Monsieur Yang Philémon partez pendant qu’il fait jour car la nuit il sera difficile de vous reconnaitre dans la grande incendie de la misère collective.

Auteur: Vincent-Sosthène FOUDA