L’armée affirme avoir liquidé trois membres de Boko Haram. Au plus grand scepticisme des populations.
Trois personnes suspectées d’appartenir à Boko Haram ont été tuées dans la nuit du 09 au 10 juillet 2015, dans les environs de Kouyape, par un détachement de 15 militaires en opération. Les présumés membres de la secte islamiste conduisaient des boeufs au marché périodique de Kouyape, par Mozogo. Annoncée par le gouvernement, cette opération suscite toutefois des interrogations au sein de la population. Dans le contexte d’insécurité qui prévaut dans la région, personne n’imagine en effet que des gens, même membres de Boko Haram, se rendent au marché de Kouyape vendre du bétail, avec des kalachnikov en bandoulière. Quels clients espéraient-ils rencontrer sur les lieux ? Une escouade de militaires ?
«Dans cette affaire, il y a 15 militaires du poste de Nguetchewe et seulement trois suspects. S’ils avaient été interpellés et qu’ils appartenaient effectivement à Boko Haram, ils auraient pu fournir aux forces de sécurité de bonnes informations sur les stratagèmes utilisés pour écouler leur butin sur le marché local. Cela nous intéresse parce que les terroristes de Boko Haram ont volé tout notre bétail et que peut-être, ainsi, nous aurions pu retrouver quelques têtes. Il valait donc mieux les arrêter que de les éliminer», regrette Mahama, un habitant de Mozogo. Les militaires, eux, affirment avoir agi sur la base de renseignements fiables et avoir mis un terme à leurs agissements.
Pourtant, sur les suspects, aucune arme n’a été retrouvée. Certes, la guerre contre Boko Haram est une épreuve difficile pour le moral des troupes et des populations, mais l’exigence de justice doit être la règle, et non l’exception. Les militaires en opération ne doivent pas se lancer dans une guerre de chiffres, préjudiciable au respect des droits de l’homme dont l’armée camerounaise a jusqu’ici respecté, globalement, les grands principes. «L’armée camerounaise respecte les droits de l’homme et les manquements constatés ici et là sont le fait de quelques brebis galeuses et non d’une politique. D’ailleurs, chaque fois que des faits lui ont été rapportés et qui méritaient l’ouverture des enquêtes, elle n’a pas hésité à le faire et à sanctionner quand les faits étaient établis.
Toutefois, elle doit intensifier ses efforts parce que là où les militaires courent après les médailles sur le champ d’honneur, les bavures ne sont jamais loin. Certains peuvent être tentés de se lancer dans une course au bilan en essuyant les pieds sur la justice. Nous devons donc rester vigilants », reconnaît une source militaire sur zone. Que sont donc devenus les boeufs que conduisaient les suspects au marché de Kouyapé ? Les autorités administratives de l’arrondissement de Mozogo rassurent qu’ils sont recherchés avec le concours des membres du comité de vigilance du village Talakachi.
Le questionnement des populations à ce propos témoigne de la profondeur des soupçons portés sur l’administration et les forces de sécurité, quant à la gestion du bétail récupéré au cours des opérations militaires. «Ni l’administration, ni les militaires, ne se soucient de connaître les véritables propriétaires du bétail récupéré. Or, c’est notre seule fortune, les boeufs», regrette Birche Akassa, refugié à Mozogo. Cette situation est apparue au grand jour le 29 mars 2015 quand, à la suite d’une incursion dans la localité nigériane de Kohom, des militaires camerounais avaient libéré 19 otages et ramené au Cameroun 13 boeufs et des petits ruminants.
«Nos vaillants soldats ont rempli leur mission avec succès. J’en ai d’ailleurs rendu compte au préfet du département», avait affirmé le sous-préfet par intérim de Mozogo, Ouhé Kolandi. Interrogé par la suite sur la destination des boeufs et des ruminants dont aucune trace n’était visible à la fourrière de la commune rurale de Mozogo , il avait dévoilé le pot aux roses : «Sur les 13 boeufs, 03 ont été remis aux officiers qui ont conduit l’opération. 02 boeufs ont été remis au commissaire spécial et 01 taureau au commandant de brigade de Mozogo». Quid des 7 boeufs restants et des petits ruminants ?
«Ne cherchez pas à en savoir davantage», avait-il lancé. En réalité, le bétail restant avait été vendu à un commerçant de la ville de Mozogo et l’argent, reversé à un haut responsable du département du Mayo-Tsanaga, à Mokolo.