Lutte contre le blanchiment d’argent, quelle efficacité ?

Thu, 1 Oct 2015 Source: Josiane TCHAKOUNTE

1201 déclarations de soupçon de blanchiment d’argent ont été traitées au Cameroun entre 2006 et 2013. Dans la même période, 278 affaires ont été transmises aux procureurs de différentes juridictions du pays. Ce sont-là des chiffres dévoilés par le Secrétariat permanent du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC), pour parler des progrès enregistrés au Cameroun en matière de lutte contre ce fléau.

Ces résultats sont le fait des différentes institutions de lutte mises en place, notamment l’Agence nationale d’investigation financière (ANIF) créée par décret n°2005/187 du 31 mai 2005. Au Cameroun, comme dans le reste des Etats de la sous-région Afrique centrale, des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ont été mis sur pied.

Mais faut-il pour autant se satisfaire de ces statistiques et des dispositions institutionnelles et légales telles qu’elles sont ? Dans sa communication prononcée le 16 septembre dernier à Yaoundé à l’occasion de la quatrième réunion plénière sur la Commission technique du GABAC, le secrétaire permanent, Désiré Geoffroy Mbock, a fait état de quelques manquements observés dans le fonctionnement des ANIF.

Ces structures assimilées à des cellules d’analyse des flux financiers illicites souffrent du manque d’indépendance et d’autonomie financière, d’absence de moyens financiers et d’équipements techniques adéquats et de déficit de personnels qualifiés dédiés aux tâches d’analyse financière. « Quand toutes les conditions d’un bon fonctionnement existent, l’on observe une tendance chez certaines d’entre elles à se détourner de leurs missions principales, alors même que la maîtrise desdites missions reste à parfaire », a confié le secrétaire permanent.

Désiré Geoffroy Mbock va plus loin dans son analyse sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux : « En zone CEMAC, aucun procès en blanchiment de capitaux et en financement du terrorisme n’a été intenté contre les auteurs de crimes économiques et de crimes de faits de financement du terrorisme, alors que des infractions sous-jacentes ont été établies », déplore-t-il. Une situation causée par l’ignorance des textes communautaires par les autorités de poursuite et les organes en charge de lutte contre les crimes économiques.

Le GABAC, organe sous-régional chargé de la coordination, de l’animation et de l’évaluation des actions entreprises au sein des Etats dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a entres autre missions d’apprécier la conformité des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme de ses Etats-membres aux standards internationaux.

Pour ce faire, la structure s’est dotée d’un Manuel de procédures d’évaluations mutuelles. Le rapport d’activités à mi-parcours de cette structure pour l’exercice en cours révèle qu’elle dispose des premiers rapports de suivi-évaluation du Cameroun et du Gabon. Les dispositifs du Cameroun ont été évalués en 2008, sous l’égide de la Banque mondiale.

Face au contexte d’insécurité que vit la sous-région Cemac avec à la clé les attaques du groupe terroriste Boko Haram, la nécessité pour les Etats d’échanger les informations en matière de renseignements, comme prescrit pour la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, devrait aider à plus d’efficacité dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Un fléau qui n’est pas sans conséquences sur les économies de la sous-région déjà affaiblies pour certaines par le choc pétrolier.

L’urgence de conjuguer les efforts s’impose dans un environnement où les criminels économiques débordent d’ingéniosité dans le développement de nouvelles stratégies. A côté des placements dans l’immobilier, le transfert de fonds, la prise de participations, la commercialisation illégale des métaux précieux, la corruption, le trafic de drogue, le détournement des fonds, etc, il y a aussi la thésaurisation.

Cette dernière technique consiste pour leurs auteurs à garder par devers eux, d’importantes sommes d’argent, qui sont par la suite introduites dans le circuit formel de manière illicite. Le cas le plus récent qui prend de l’ampleur, c’est la fraude à la carte SIM. Là aussi, la pratique qui consiste à faire apparaître des appels venant de l’étranger avec des numéros locaux, fait perdre des dizaines de milliards de F aux opérateurs de téléphonie mobile et à l’Etat.

Auteur: Josiane TCHAKOUNTE