Dans la capitale régionale de l’Extrême-Nord du Cameroun, les attaques de la secte islamiste sèment la peur et un climat d’Insécurité au sein de la population.
Dans la petite cour, le petit garçon joue avec une vieille roue de voiture. Il est tout seul dans la rue déserte du quartier Pictoiré à Maroua. A la vue de la moto qui s’avance, il s’arrête un instant et plisse son petit visage innocent. Soudain, il lance quelques mots en fufuldé et entame une course vers une maison. Il s’interrompt au vieux portail en rouille et nous regarde. Un jeune homme, la vingtaine, et une femme vêtue d’un ensemble pagne délavé, rejoignent le petit môme. Tous nous observent. Ils parlent entre eux.
« On ne te connait pas, c’est pourquoi ils t’observent comme ça, tente d’expliquer le conducteur de mototaxi. A Maroua, ils ont peur de tous les nouveaux venus ». Comme pour justifier ses dires, deux passants sortis d’un couloir, nous regardent. Ils s’avancent, se retournent et nous regardent. Notre visage ne leur est pas « familier », rigole le mototaximan.
A Pictoiré, quartier populaire de Maroua, les enfants sont donc les premiers à détecter et signaler aux parents tout « nouveau arrivé ». Plus grave, allez dans une boutique. « Vous êtes nouvelle, vous glisse alors soupçonneux, le boutiquier du coin. Qu’est-ce que vous êtes venu faire à Maroua ? ». Le vieux Abdou, cheveux blancs et canne à la main, est plus explicite. Pour lui, la ville de Maroua est actuellement « une ville qui fait peur ».
« Même les étudiants ne veulent plus revenir. La télé a déjà montré trop de morts », jure-t-il, sans expliquer d’où lui vient l’information. « Alors, finit-il par demander, qu’est-ce que vous êtes venue faire ici ? ». Impossible de le convaincre. Il vous regarde, l’air dubitatif. Le vieux Abdou n’est pas le seul. Le mototaximan qui vous transporte ne se lasse d’ailleurs pas d’insister. « Qu’êtes-vous êtes venu faire ici ? ».
Depuis les attaques de la secte islamiste Boko Haram sur le marché central de Maroua et au quartier Barnaré, les habitants de la capitale régionale de l’Extrême-Nord du Cameroun ont peur. « Nous essayons de rassurer la population, soupire Pascal Zoua, sous-préfet de Maroua 1er. Dans les radios communautaires, nous passons des messages de sensibilisation, pour leur donner des conseils et leur expliquer que les policiers, gendarmes et militaires veillent à leur sécurité ».
Pas suffisant pour rassurer une population dont les attaques de la secte dans les villages frontaliers avec le Nigéria se déroulent presque quotidiennement. Même si dans les banques, édifices publics, commissariats, gendarmeries…, la sécurité est renforcée, la peur domine. « Le spectre des attaques plane à toute heure, reconnaît Pascal Zoua. Mais nous essayons de rassurer la population ».
Les bars se vident
Au lieu-dit pont vert au quartier Barnaré à Maroua, l’un des endroits qui regorge le plus de débits de boisson dans la capitale régionale de l’Extrême- Nord du Cameroun, les tenanciers de bar comme Léopold, recherchent désespérément des clients. Sur la dizaine de tables disposées à la terrasse du « Boucan », seules trois sont occupées.
« Avant, toutes les tables étaient pleines. Les attaques de Boko Haram se multiplient à l’Extrême-Nord et les clients s’enfuient, soupire un serveur, assis à une table et occupé à jouer avec son téléphone portable. Qu’est-ce qui prouve que Boko Haram ne viendra pas ici pour la deuxième fois ? ». Sur la table voisine, Christophe et son ami suivent la conversation.
« Honnêtement, je viens boire avec la peur au ventre, avoue le jeune étudiant à l’Ecole normale supérieure de Maroua, en jetant des regards autour de lui. Tout peut arriver. Je le sais et je reste juste vigilant ».
Si Christophe reste vigilant, Samira y vient « rarement », au lieu de deux à trois par semaine comme avant. « Je regarde tout le monde. Je me dis que chacune des personnes qui boivent dans le bar dissimule peut-être une bombe quelque part, dit la jeune employée d’un établissement de micro-finance. Du coup, les gens veulent savoir pourquoi je les regarde ainsi et ça fait bizarre ».
« Depuis les attaques, seul un dixième des clients vient encore ici. Boko Haram est en train de me ruiner », lance Léopold Kungne. Débout à l’entrée de son bar « Tropicana : chez papa Leo », Léopold regarde tristement les quatre personnes qui sirotent leur bouteille de bière et secoue la tête. Depuis l’attentat-suicide survenu le 25 juillet, ce quinquagénaire fait à peine des recettes de 20 000 F. Cfa les weekends, au lieu de 100 000 F comme avant.
« Plus de 20 personnes sont décédées ici un samedi, soupire Léopold. Du coup, la plupart des clients ont peur. Ils voient en chaque nouvelle personne, chaque étranger, chaque buveur, un suspect de Boko Haram ». Il est 17 h 53 min. Léopold s’approche de la table où boivent trois personnes (deux hommes et une femme). « S’il vous plaît, finissez rapidement votre boisson. Il est l’heure de la fermeture ».
Tout autour, les quelques clients présents dans les bars se lèvent par petits groupes. Ils finissent rapidement leur boisson et s’en vont. Les tenanciers les observent avec tristesse. Avant, expliquet- on au « VIP », on buvait « jusqu’à l’aube ». « C’était notre coin préféré, confirme Christophe. J’étais un régulier ici ». Les responsables des débits de boisson qui ont essayé « d’ouvrir après 18 h » ont été sanctionnés. « Mama Bamenda », a vu son bar scellé durant deux semaines.
« Elle a dû négocier jusqu’à », glisse un tenancier. « Chaque personne dissimule peut-être une bombe » A l’entrée du marché Central, à l’endroit précis où l’attentatsuicide du 22 juillet a fait une dizaine de morts et de nombreux blessés, certains commerçants refusent de servir des clients portant des sacs à dos. « Que contient votre sac ? On peut le fouiller ? », demande un vendeur de chaussures de marque chinoise. Il a perdu son « frère et ami » lors de la dernière attaque.
« Je ne fais plus confiance à personne », tranche-t-il en fouillant ledit sac. A côté, ses collègues crient à haute voix : « il est interdit de prendre des photos dans le marché ». « Lorsque la kamikaze s’était faite explosée, on ne l’avait pas vu venir, murmure un commerçant, la voix enrouée. Elle a tué mes frères.
C’est pourquoi on a peur». « Chaque personne dissimule peut-être une bombe », se dit un commerçant de tissus. A cet endroit, les regrets sont encore dans les coeurs. Le reporter du Jour passe près d’une heure au milieu de ces commerçants qui la prennent pour une jeune étudiante. Une petite confiance s’établit. « Ce jour-là (22 juillet), je n’ai pas vu les gens qui portaient la bombe. Je m’étais déplacé pour aller prendre le tissu d’une cliente chez un grossiste », confie un commerçant.
Quelques minutes plus tard, il a entendu un « grand bruit » et c’était la panique. « Il y avait le sang partout », lâche-t-il. Un collègue arrive. Il s’interrompt. Ils parlent en haoussa et notre commerçant ne veut plus causer avec nous. La même question : « qu’est ce que tu es venue faire à Maroua ». Pas moyen de les convaincre.
Au secteur de vente des objets artisanaux, Arouna, vendeur depuis 12 ans, ne veut pas entendre parler du mot « Boko Haram ». « Ma famille a trop souffert avec eux à Fotokol », explique le jeune homme dans un français approximatif. Lui, comme certains hommes dans la capitale régionale, ne permet plus à sa femme d’aller faire les courses au marché.
Il les fait luimême. En cas d’attaque, nous dit-il, il se sera « le premier tué ». Du coup, sa femme et ses enfants seront épargnés. « C’est normal que les gens aient peur, explique une source sécuritaire. Si Boko Haram a pu frapper Maroua, cela veut dire que ses éléments s’y trouvent ou y étaient.
Il y a eu des complicités. C’est pourquoi nous amenons la population à coopérer ». En effet, le rêve de la plupart des habitants est de voir « Boko Haram quitter le Cameroun ». « Notre pays n’a jamais connu un ennemi aussi invisible. Seulement, nous sommes un pays qui aime la paix et nous allons tout faire pour la garder », rêve un habitant du quartier Hardé.