'Ngannou vient de connaître la blessure du hold-up électoral'

Wilfried Ekanga lors d'une présentation

Mon, 30 Oct 2023 Source: Wilfried Ekanga

C'est samedi; il reste trois jours avant les adieux du mois d'octobre. Le Soleil vient de se coucher au-dessus de la Kingdom Arena de Riyad, en Arabie Saoudite. Une insolente constellation de stars est réunie en un seul lieu, comme des étoiles au cœur d'une galaxie : de Cristiano Ronaldo (le meilleur scoreur de l'histoire du football) au célébrissime Marshall Mathers (alias Eminem) en passant par Rio Ferdinand (la mythique muraille de Manchester) ou encore Conor McGregor (le sulfureux champion de MMA des poids légers et welters), le tout sous l'œil attentif du seul, de l'unique Michaël Gerard Tyson, dit « Mike ». C'est la crème de la Jet-Set mondiale qui est présente ce 28 octobre dans le royaume du prince héritier Mohamed Ben Salmane.

Cette impressionnante conjonction d'astres a une raison : ils sont venus assister à une affiche inédite. Un duel des extrêmes. Une première historique : le Britannique Tyson Fury, surnommé « the Gypsy King » (le Roi Gitan), champion du monde des poids lourds dans les quatre catégories du Grand Chelem de son sport, et qui totalise alors 33 victoires pour un seul match nul (et donc 0 défaite), affronte un novice de la boxe anglaise, un garçon audacieux dont la plastique - et la détermination - fut sculptée par les sables de Batié, dans les Hauts-Plateaux du lointain Cameroun : Francis Xavier Ngannou. Et bien que ce dernier fasse figure de Boss incontesté à l'UFC (Ultimate Fighting Championship), notamment après avoir écrasé l'Américain Stipe Miocic en mars 2021 et le Français Cyril Gane en janvier 2022, il faut noter qu'il s'agit-là d'un tout autre registre : les Arts Martiaux Mixtes (MMA), et qu'il débarque donc fraîchement dans la boxe pure.

Autant dire que le déséquilibre est complet. L'épisode de David contre Goliath n'est plus une simple légende biblique ; il est sorti des pages du livre pour se matérialiser dans le réel. Et comme pour le roi hébreux face au Philistin il y a plusieurs millénaires, peu d'observateurs concèdent la moindre chance de victoire au Camerounais avant le début de l'affrontement. Mais ce que ces braves gens ne savent pas encore à ce moment-là, c'est que quand on est Camerounais, rien n'est normal. Même les Camerounais ne comprennent pas leur pays. Le Cameroun est une nation poursuivie par le talent et l'excellence, mais où gouvernent des individus médiocres et sans talent. Partout dans le monde et peu importe la discipline, qu'elle soit physique ou intellectuelle, il y a toujours un nom camerounais qui traine par là. Quand bien même nous ne voulons pas briller, c'est la lumière qui semble nous suivre. Telle une femme mal-aimée, elle nous drague, nous aguiche, nous courtise.

C'est le seul pays au monde qui s'est octroyé le nom de Continent, sans que cela ne choque personne. Et alors que les arbitres viennent de lancer les hostilités, notre Gitan insulaire va vite l'apprendre à ses dépens.

LA LOI DES SYSTÈMES

Lorsqu'il se retrouve sur les fesses au cours du troisième round, l'Irlandais à la voix de pirate va en effet se demander si c'est bien ce débutant qui l'a mis à terre, ou s'il a simplement glissé sur une peau de banane oubliée sur le ring par Georgina Rodriguez, la compagne de Cris. Mais le crochet du gauche qu'il vient de se prendre sur la tête pour ensuite chavirer comme le Titanic une nuit d'avril 1912, est sans équivoque : c'est bien Francis qui l'a fait asseoir, et qui se tient maintenant debout devant lui, pour lui faire la leçon. Le combat commence à peine, et on sait déjà que c'est l'IMAGE qu'on en retiendra, quoiqu'il advienne ! Fury vient enfin de réaliser : non, ce ne sera pas un samedi comme les autres. Non, l'adversaire de ce soir est différent, et ne finira pas au tapis comme les précédents. L'adversaire de ce soir est un prédateur intrépide, capable de transformer le plus coriace des tigres en mignon petit chat. Et celui sur lequel plane le spectre d'un KO n'est désormais plus du tout celui que l'on croyait !

Ainsi, au cours des dix manches que durera le match, le chauve barbu aura tout essayé, notamment un ou deux mini-coups au menton de son challenger, mais beaucoup trop légers pour faire vaciller le fils du Continent. On se souviendra plutôt surtout de ses (trop) nombreuses « accolades » séparées par l'arbitre, comme si son dernier espoir pour remporter le combat était de faire ami-ami avec ce Newcomer, pourtant de deux ans plus âgé et théoriquement moins frais. Un aveu de faiblesse à peine voilé, comme ces subtils coups de coude auxquels il aura plus d'une fois eu recours. C'est le Joker du lâche ; c'est ce qui arrive quand on est à cours d'idées, dans un challenge qu'on pensait facile. À cet instant, Ngannou fait déjà bien mieux que David, puisque lui n'a ni armure, ni fronde, ni caillou ; sa protection quasi parfaite (sa main gauche ne s'éloignant presque jamais de sa tempe) et ses poings lui suffisent. Fury, qui avait promis de le mettre KO « en six rounds », ne l'a toujours pas fait fléchir d'un seul genou au dixième acte. Un ultime aveu de faiblesse.

Et c'est ainsi que, décontenancé par ce vis-à-vis qui ne lui aura définitivement laissé aucune ouverture, le Gypsy finira son combat comme il l'a commencé : sans solution, et visiblement soulagé que ça se termine enfin. À l'issue de cette rencontre d'anthologie, l'histoire vient d'ajouter un cas supplémentaire à l'adage : « Impossible n'est pas camerounais ». Les feux s'allument, et le Prédateur lève les bras vers l'océan de flashs. Il sait qu'il a gagné. Fury baisse la tête et rumine son humiliation. Il sait qu'il a perdu. Dans ses oreilles résonne encore l'hymne du Continent, et il comprend enfin pourquoi la Terre a semblé cesser de tourner au moment où le Vert-Rouge-Jaune s'élevait sur les écrans de la Kingdom Arena, peu avant le duel. Il sait qu'il n'oubliera jamais cet homme incroyable, à qui trois mois et demi d'entraînement auront suffi pour faire plier sa carrière entière, dans un secteur radicalement différent.

Par chance pour lui, l'un des trois juges, un Américain (certainement rancunier depuis la raclée infligée par Francis à son concitoyen Miocic il y a trois ans), décidera à la surprise générale de prononcer un écart de 93-96 en sa faveur, après que les deux autres juges ont octroyé à chacun des combattants un 94-95. Dans les travées de la Kingdom, c'est la stupeur générale : Luis Figo, R9, Evander Holyfield, Manny Pacquiao et autres Cédric Ndoumbe n'en reviennent pas. Fury lui-même se demande comment cela est possible. Le premier surpris par sa propre victoire, c'est lui !

Mais c'est la loi des systèmes. Ngannou vient de connaître la blessure du hold-up électoral, qui n'est pas sans rappeler celui subi dans son propre pays par l'opposition il y a cinq ans, face à un Conseil Constitutionnel corrompu jusqu'à la moelle des os, en faveur de la mafia en place.

Oui, c'est la loi des systèmes : celle où l'on décide que vous n'êtes pas le plus rapide, même si vous avez franchi la ligne d'arrivée une heure avant les autres.

Pourquoi ? Eh bien, parce qu'on l'a décidé !

EN BREF :

Qu'à cela ne tienne, c'était beau, c'était épique, c'était grandiose, c'était inoubliable. Voir l'attention de cette pléthore d'icônes planétaires fixée sur le Continent, fut un moment d'exception ! Voir le drapeau Continental recouvrir les épaules du Prédateur et à jamais identifiable par tout ce beau monde ; voir le Cameroun mis à l'honneur par les exploits d'un garçon parti des bas-fonds vers les plus hauts sommets, ça se passe de commentaires ! On ne peut que remercier ces hommes et femmes qui, par leurs exploits de par le monde, nous rendent fiers de dire autour de nous à l'Etranger : « Je suis Camerounais ». Au bout de cette nuit étoilée de Riyad, un nouvel astre est apparu au firmament, et il scintille désormais autant que les autres.

Cela dit, aujourd'hui, le Cameroun a besoin non pas de stars, mais de modèles. L'injustice subie par Ngannou ce week-end devrait lui servir de déclic, afin que sa notoriété ne serve plus les desseins d'un régime sournois, qui pratique le même type d'injustice envers ses compatriotes. Contrairement à une simple star, le rôle d'un modèle est d'user de sa notoriété, de son aura et de son audience pour exiger l'égalité sociale, en faisant pression auprès des décideurs. Un modèle ne laisse pas des individus inutiles récolter là où ils n'ont pas semé, et un modèle n'apprend surtout pas aux oppresseurs des techniques qui leur permettront d'encore mieux opprimer les faibles. Car s'il est aussi facile pour les autres de piétiner nos droits, c'est parce que nous piétinons nos propres droits chez nous, et ils le savent.

Et ceux qui, malgré leur force médiatique, ne font rien pour éradiquer ces injustices dans leur maison, finissent par mériter qu'elles leur arrivent dans la maison des autres.

Auteur: Wilfried Ekanga