Il y a quelques temps un débat passionné et passionnel a animé la toile concernant les arguments ou histoires construits de tout bord par certains camerounais pour obtenir le statut de réfugiés dans les pays du nord.
Le cas le plus récent est celui de ce camerounais qui aurait justifié sa demande entre autre par le fait qu'il aurait été contraint de boire du sang humain pour le culte des ancêtres. Le malaise et l'indignation que suscitent ces pratiques peu commodes sont légitimes et compréhensibles.
Au demeurant, s'en prendre de manière exclusive aux acteurs de ces égarements semble ignorer la complexité du problème. Il y a au moins deux aspects qu'il faut mettre en exergue. Mais avant il est impératif de rappeler qu'il s'agit ici des brebis galeuses.
Les pratiques mensongères pour étoffer la demande du statut de réfugié sont répandues partout dans le monde et ne sauraient être une particularité camerounaise ou africaine. Par ailleurs, ce débat ne doit pas jeter le discrédit sur les personnes qui ont vraiment besoin d'asile. Et parmi ces personnes, hélas, il y a aussi des camerounais(es).
Revenant au débat, la première question à se poser est de savoir pourquoi les gens se livrent-ils aux mensonges pour justifier leur demande ? Le besoin ou il faut dire l’instinct d’émigrer est humain. C'est tout à fait normal de quitter son lieu de résidence pour chercher une vie meilleure ailleurs.
L'histoire de l'humanité est avant tout une histoire migratoire. Aujourd’hui malheureusement, alors que les produits marchands peuvent circuler librement à travers les différentes frontières nationales, les producteurs n'ont aucune chance légale de faire valoir leur liberté à la circulation. Alors que les citoyens des pays du nord peuvent sans grandes barrières légales migrer vers le sud, les citoyens des pays du sud, par contre, doivent faire face à d'énormes exigences légales que très peu seulement peuvent remplir.
Le regroupement familiale et le système d'asile restent les seuls options. Le système d'asile offrant le plus de marge de manœuvre aux citoyens du sud. En d'autres termes, pour avoir accès à la libre circulation qui est réservée aux privilégiés, les laissés pour compte doivent faire recours aux mensonges et fables de tout genre.
C'est certes un abus du système d'asile, mais pas un crime. D'ailleurs le code de procédure de la demande d'asile en Allemagne ne prévoit pas de sanctions pour les requérants ayant faussé les donnés dans leurs demandes. Dans d'autres contextes, la fuite des régimes autoritaires avait une autre signification.
Pendant la période de la guerre froide par exemple, la fuite du bloc de l'est était très souvent qualifiée comme le « vote avec les pieds » indépendamment si la personne était persécutée ou pas. Cette fuite était alors considérée comme acte démocratique, comme un non à la dictature.
Pour qu'il n'y ait pas d’ambiguïté, il est peut-être important de préciser que les responsabilités sont partagées. Le migrant qui fonde les raisons de son déplacement sur les mensonges ne doit pas forcement être considéré comme victime, car il est aussi acteur.
Il pouvait faire un autre choix que celui de l'émigration construite au tour de mensonges. Les autres responsabilités sont endogènes (acteurs des politiques nationales) et exogènes (acteurs de la gouvernance globale).
La seconde question qu'il convient de soulever est celle de savoir pourquoi les mensonges aussi flagrants fonctionnent ? Cela semble plus dire sur les destinataires que sur les auteurs. Que l'on prête foi aux déclarations les plus sordides et rocambolesques relève de cette prédisposition mentale qui est truffée de préjugés de toutes sortes.
Nos frères utilisent cette faiblesse pour atteindre leurs objectifs. Déjà dans les camps nazis par exemple, comme le montre un témoignage dans le livre de Serge Bilé, les Noirs ont très tôt su utiliser l'imaginaire rétrograde à leur égard afin de tirer certains avantages : « Hugo était conscient de cette situation. Il nous en parlait lui-même. Mais il acceptait de jouer le jeu avec les SS.
Du coup, les Allemands lui donnaient tout le temps du pain qu'il venait partager avec nous. Pour moi, cet homme, c'était la providence qui nous l'envoyait » . Dans d'autres cas, les Noirs obtenaient plus de savons en argumentant que leur peau était noire du fait de la saleté. Qui est donc ridicule?
Un ou l'autre a déjà sans doute fait l'expérience de n'être intéressant pour certains européens que lorsqu'il a un discours misérabiliste à offrir sur l'Afrique. Quand on fait un récit d'une vie africaine normale, on peut être certain d'ennuyer son interlocuteur et dont de le voir vous éviter.
Les mensonges sur les motifs de la demande d'asile et quelques autres forfaits commis par quelques membres de diaspora semblent avoir fait de la diaspora une sorte de nouvelle bête noire pour certains. Il est même question désormais de la diaspora « nuisible ». L'attitude de la diaspora peut incontestablement ternir l'image du pays d'origine, mais la crédibilité d'un pays ne dépend pas de sa diaspora.
Il ne faut pas surestimer le pouvoir de la diaspora. La réalité sur le terrain et les représentations diplomatiques sont de loin plus importantes. Toutefois, un État responsable peut se servir de sa diaspora pour accroître son influence sur la scène internationale en renforçant par exemple les capacités de sa diaspora à faire du lobbying et de la démocratie culturelle. Par la même occasion, l'impact de l'engagement de la diaspora pour le développement du pays d'origine devient plus importante.
Autrement-dit, l'impact des actions de la diaspora à l'extérieur tout comme au pays dépend directement des rapports entre cette diaspora et le gouvernement.
Pourquoi l'attente d'une diaspora parfaite alors que le Cameroun ne l'est pas ? Nous devons nous familiariser avec le fait qu'autant il y a des personnes au Cameroun qui transgressent la loi et les valeurs morales, autant il y en a aussi dans la diaspora camerounaise. Et cela vaut pour toutes les sociétés. Les gens ne peuvent pas subitement devenir des anges parce qu'ils ont traversé l'océan.
Même certains camerounais de la diaspora se sentent mal à l'aise face aux comportements immoraux ou illégaux de leurs compatriotes à l'étranger. La raison est très souvent la peur de se voir en tant que camerounais d'être jeter dans la même marmite. En effet, c'est souvent le cas. Mais en fait celui qui généralise le comportement d'un membre ou même groupe de la diaspora a lui-même un problème.
Parler d'une diaspora nuisible est erronée. Ce serait faire exactement ce qu'on reproche à certains membres de la diaspora. Autant il y a des choses que l'on peut reprocher à la diaspora, autant il y a des tares au Cameroun qu'il faut affronter. La diaspora camerounaise est très active et il faut donner à césar ce qui est à césar. Rien qu'à voir le professionnalisme et les activités durables de certaines associations de cette diaspora (cf. http://africa-and-science.com/?p=7070), on se résout à l'évidence que notre diaspora est meilleure que sa réputation.
Dans le débat sur le rôle de diaspora, les aspects nuisibles ne doivent pas prendre le pas sur l'apport largement positif de cette diaspora. Un débat axé sur la nuisibilité de la diaspora serait injuste à l'égard des milliers de camerounais de- conditions de vie au pays ou dans leurs villages. Quelques brebis galeuses ne sauraient être mis au centre de la réflexion, alors que la très grande majorité se comporte de manière raisonnable. Un petit exemple banal (17.10.2014) est celui d'un camerounais qui a participé au célèbre jeu télévisé allemand «Wer wird Millionnär?».
Il n'y a pas gagné le million, mais sa prestation était respectable. Il a étudié, il est bien intégré, il travaille et il n'a rien dit de négatif sur son pays d'origine. Il est un parmi les milliers de camerounais de diaspora, à tout le moins en Allemagne. Concernant l'Afrique plus largement, de l'autre côté l'atlantique, « avec plus de 48 % de diplômés, les immigrants Africains ainsi que leurs enfants est la population la plus éduquée des États-Unis. Ils sont un peu plus nombreux que ceux qui sont traditionnellement connus pour être de gros bosseurs, les Asiatiques.
Ils sont presque 2 fois plus nombreux que les Caucasiens, et presque 4 fois plus nombreux que les noirs américains » (bstar.fr cité par L. Jamfa 2014) . C'est cette majorité qu'il faut soutenir et encourager. Sur les millions de camerounais vivant à l'étranger, ceux qui utilisent le ternissement de l'image du Cameroun comme fonds de commerce sont extrêmement minoritaires. Les actes de cette minorité sont déplorables, mais ce n'est pas une catastrophe ni pour le Cameroun ni pour la diaspora elle-même comme le serait Ebola ou Boko Haram.