Nul ne peut réellement prédire le destin d’un prince Bamiléké… Il sera toujours aussi déroutant qu’il y a deux ou trois siècles lorsque certains souverains prévoyants n’hésitèrent pas à éloigner leur progéniture princière afin de les préserver des vicissitudes des guerres de succession.
Ce ne fut peut-être pas exactement le cas du futur dandy du barreau du Cameroun né en novembre 1951 dans les méandres de la chefferie Bandja dans le Haut-Nkam que presque rien ne destinait ni à la politique ni au sport, et encore moins à ce terroir septentrional où il passera une partie essentielle de sa vie.
Les reines, épouses des rois grassfields, avaient conservé une grande latitude en matière d’éducation des princes du fait de la polygamie qui en impliqua décentralisation de ce pouvoir. C’est ainsi que la mère de Dieudonné Happi, une fière princesse de la chefferie Bana - qui lui octroya sans ambages le patronyme de son père à elle, le Roi Happi de Bana -, diligentera précautionneusement l’éducation de son seul garçon né, signe du destin, un jour où une belle brochette d’autres rois séjournait dans le royaume de son père, le roi Bandja.
Chez les Binam grassfields, chaque fait particulier autour d’une naissance est potentiellement porteur de symboles. Sans doute cette convergence de rois à sa naissance fut le signe qu’un homme destiné à tous était né.
Très tôt, le jeune Happi est expédié à Pitoa près de Garoua dans la Bénoué où il fait ses études primaires. Puis c’est Yagoua dans le Mayo-Danay à l’extrême-nord où, au milieu de camarades du collège d’enseignement secondaire, le déjà jeune prodige en élocution apprend la langue Moundang en plus du Foufouldé usuel, parler populaire peulh.
Plus tard, le jeune prince est appelé à aller poursuivre ses études en France.
Il y fait de nombreuses rencontres. Il se familiarise notamment avec les Kadji; il se mélange à ses cousins Monthé, tous des Bana.
Mais chez les Bamiléké, un prince ne mène jamais une vie de velours. On le prépare à affronter les rudesses du quotidien au même titre que n’importe quel autre enfant. Cela permet d’en faire un homme comme les autres; un bon chef de famille et un leader.
Il doit être un bon débrouillard prêt à faire face aux épreuves les plus coriaces. Happi ne sera pas un enfant gâté.
Du Maine-et-Loire, sur les rives de la Loire et dans les Alpes-Maritimes, le jeune s’essaiera à presque tout en Hexagone. (Études universitaires où/quand?) Il y apprendra à connaître le vin, à s’expliquer, à se défendre et, surtout, à entrer au moins psychologiquement sans sa stature naturelle coutumière.
Il se révèle du reste excellent handballeur à Nice où il manque de devenir professionnel.
Il rencontre en France sa future épouse, Nicole. Sous les dehors ultra-modestes de la jeune brunette se cache, en réalité, une fille de prince notoire de la chefferie Bandjoun exerçant dans la haute administration territoriale camerounaise.
À la veille des années 90, c’est le retour au Cameroun du couple.
Maître Happi s’installe à Maroua dans le Diamaré. Qui l’eût prédit? C’est le chef-lieu du département où il a passé l’essentiel de son enfance. Il s’y sent presque comme un poisson dans l’eau. De là il peut s’offrir quelques villégiatures à Ndjamena au Tchad, de vagabonder dans la steppe ou d’aller vers le Nigéria voisin comme il avait toujours rêvé adolescent.
C’est en février 1990, à l’orée du retour au pluralisme politique que «l’avocat du Nord» se fait connaître du grand public national. Le très spectaculaire procès de l’ancien bâtonnier Yondo Mandenguè Black Albert défraie la chronique.
L’avocat le plus célèbre du moment est accusé par le régime monolithique du président Paul Biya de «sédition, subversion et affront au chef de l’État» pour «avoir eu l’intention de créer un parti politique sans l’autorisation de l’administration» au nom d’un Comité de coordination pour le multipartisme et la démocratie.
Cette affaire surmédiatisée fait connaître au public les Anicet Ékanè, Albert W. Mukong, Kwa Moutomè, Vincent Feko, et les Henriette Ekwè, Maître Happi y plaide par conviction. L’ancien bâtonnier écope néanmoins d’un emprisonnement prévisible ferme de trois ans; cinq ans pour Ékanè et deux ans pour les autres.
Ainsi, parmi les avocats qui s’illustrent par leur art et leur courage dans ce contexte politique incertain, il y a un certain Maître Happi l’avocat aux allures de play-boy qui, déjà, fait du chemin et avec qui l’on devra désormais compter.
La même année (1990), le prince Bandja défend avec succès l’ancien patron de la sécurité présidentielle tchadien inopinément incarcéré à Garoua au moment où l’ancien président tchadien, Hissène Habré, échoue dans le septentrion camerounais avec son entourage. C’est l’occasion du coup d’État perpétré par son ancien compagnon d’armes Idriss Déby Ie 1er décembre 1990 appuyé par les services spéciaux français.
Entre 1991 et 1992, l’avocat est la coqueluche des médias libres pour son indépendance, son verbe sophistiqué et un sens inné de la facilitation. Par pur hasard, il est également une sorte de pierre angulaire non officielle de l’Union pour le changement, le mouvement politique unitaire qui manque de peu d’arracher le pouvoir à la présidentielle d’octobre 1992 avec son candidat Ni John Fru Ndi.
Beaucoup apprendront plus tard à leurs dépens qu’il n’était rien dans ce mouvement populaire, seulement un observateur actif. Il n’en est militant à aucun échelon; il est tout juste un sympathisant de la démocratie.
Les plus hauts responsables politiques en prendront pour leur grade à cet effet; par exemple, John Fru Ndi tentera en vain de l’enrôler dans les arcanes d’un SDF (Social Democratic Front) au sommet de sa popularité.
Les responsables de l’UNDP auront moins de mal à l’arracher plus tard de sa neutralité pour en faire un conseiller municipal à Maroua. L’expérience est peu excitante. Il est allé à l’UNDP avec sa fougue habituelle avant de démissionner des années pour se remettre là où il s’est toujours senti le mieux : dans la société civile. Il nous confia qu’il savait qu’il y avait plus à perdre qu’à gagner à l’UNDP mais qu’il pensait devoir une certaine reconnaissance au septentrion où ce parti politique fut le mieux implanté.
Les membres fondateurs de Laakam, l’«association culturelle» Bamiléké, auront, eux aussi, moins de mal à recruter l’électron libre.
L’association culturelle Bamiléké dont il est demeuré, à ce jour, le sempiternel président par intérim malgré après la disparition du président national Robert Nkamgang, le 24 mai 2002, joua un rôle trouble dans le processus démocratique en faisant du lobbying à l’hôtel Matignon à Paris et à l’Immeuble Étoile à Yaoundé.
Mais Maître Happi est resté un avocat dans l’âme comme il a su l’inculquer à sa fille aînée - de ses 06 enfants - Vanessa, avocate au barreau du Québec et du Cameroun…
Il demeure avant tout un bon avocat
Après d’innombrables séjours coûteux à Douala et à l’Ouest sur une vingtaine d’années, son sort fut de s’installer en résidence définitive à Douala; il quitte ainsi le septentrion de son enfance. C’est ce qu’il fait en 2007.
De s’être ainsi rapproché de la dernière demeure de sa défunte mère, la princesse Bana, lui a indubitablement porté bonheur.
L’un des plus récents faits d’armes de l’avocat à sa nouvelle résidence littorale est, en effet, le procès opposant Amity Bank Cameroon PLC., à la COBAC (Commission bancaire de l’Afrique centrale) devant la chambre judiciaire de la Cemac siégeant en audience publique à Ndjamena en novembre 2009.
Assisté de l’impressionnant Patrice Monthé, son cousin et ancien bâtonnier de l’ordre, Dieudonné Happi a contraint la Cour à condamner l’autorité monétaire sous-régionale pour «le dépassement de sa mission initialement confiée» à Amity Bank, à savoir la «cession totale de la banque au lieu de se limiter à faire entrer un partenaire stratégique dans son capital». Une pratique qui était devenue courante chez les fonctionnaires de l’institution.
Ce n’est pas tout. Maître Happi peut se targuer d’avoir fait relaxer le 30 avril 2014 le colonel Édouard Etondè Ekotto, l’ancien camarade de classe du chef de l’État Paul Biya au lycée Général Leclerc. C’est le tout premier et le seul «éperviable» à avoir été libéré à l’exclusion d’une mesure politique du président de la République, et seulement sur plaidoirie d’avocat.
À 77 ans, le patriarche Duala et ancien président du conseil d’administration du Port autonome de Douala (PAD) a bénéficié d’une cassation de l’arrêt de la Cour d’appel du Littoral qui le condamnait trois ans plus tôt à une peine d’emprisonnement ferme de 15 ans.
Mais le prince cosmopolite est resté proche de la tradition. Dans son fief villageois, il est acquis la notabilité de Wambé So’o, un titre de noblesse qui associe le statut de prince. Adoubé chez les Sawa, il a notamment reçu un autre titre de notabilité chez les Batanga…