Les vrais-faux dons de Paul Biya
40 millions de FCFA pour un certain Gabriel Ebili cette année 2017, 75 milliards pour des ordinateurs chinois à 500 000 étudiants camerounais en 2016, 100 millions pour des sinistrés à l’Est en 2012, 1,9 milliard pour les victimes de Boko Haram en 2016… sont autant de sommes d’argent débloqués par le chef de l’Etat à titre « humanitaire ». Le Quotidien de l’économie s’est mis sur l’origine des fonds qui financent ces « cadeaux » du Président.
L’actualité toute fraîche est celle relative aux 40 millions de FCFA, qualifiés de « signe de reconnaissance », que le président Paul Biya vient de faire débloquer au bénéfice de Gabriel Ebili. Ce technicien-radio retraité de la Crtv, présenté comme un des héros ayant contribué à l’échec du coup d’Etat du 6 avril 1984, en circonscrivant le message radio des putschistes à la seule ville de Yaoundé. Action qui a évité que des mercenaires supposés postés dans d’autres régions du Cameroun n’entrent en action si le message des putschistes avait été diffusé sur l’ensemble du réseau du poste national de la radio diffusion du Cameroun.
« Le Quotidien de l’économie » s’est intéressé à ce cadeau présidentiel et bien d’autres pour comprendre comment Paul Biya finance ce que les apparatchiks du régime présentent en règle générale comme des « dons présidentiels » et, donc, des cadeaux. Pour ce qui concerne par exemple le cas de M. Ebili, « Cameroon tribune », le média public, rapporte dans sa parution du 30 janvier 2017 que c’est effectivement le chef de l’Etat, qui a « ordonné le déblocage de 40 millions de F qui serviront à la construction d’une maison d’une maison pour le héros du 6 avril 1984 ». En clair, les fonds seront payés par le Trésor public camerounais. Il ne s’agit dont point de l’argent sorti de la poche de Paul Biya. Le flou persiste sur la ligne budgétaire qui a été utilisé. Car nulle part dans le budget 2017 de la présidence de la République (48 milliards de FCFA), par exemple, il ne figure pas de rubriques relatives au « héros du 6 avril 1984 ».
Autre exemple d’abus de langage du mot « don » : 500 000 ordinateurs chinois pour autant d’étudiants camerounais pour l’année académique 2016-2017. Bien que mentionnant que c’est dans le cadre du « Plan spécial jeunes » prescrit par le président camerounais, Paul Biya, le 10 février 2016, le ministre de l’enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, n’a pas manqué de claironner le 27 juillet 2016 qu’il s’agit d’un don présidentiel. Exactement comme un cadeau qu’un père offrirait à ses enfants. Que nenni. Les 75 milliards de FCFA qui vont servir à acheter les 500 000 ordinateurs auprès de la société chinoise Sichuan Telécom Construction Engeneering Co. Ltd sont une dette que les générations actuelles et futures vont devoir rembourser à Eximbank China. M. Biya ne sera certainement plus là pour voir comment cette créance sera réglée.
Plus récemment encore, Paul Biya a ému le peuple camerounais en ordonnant l’évacuation sanitaire de l’ex-capitaine des Lions indomptables, Rigobert Song, victime d’une rupture d’anévrisme en octobre 2016. Le 4 octobre, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, va déclarer que le président a ordonné l’évacuation en France, « avec les moyens de l’Etat » camerounais, de l’ancien footballeur. Les 48 millions dépensés à cette occasion, de la bouche même du porte-voix du gouvernement proviennent du Trésor public qui dispose d’une ligne budgétaire pour les évacuations sanitaires.
Dans la même veine, du fait des atrocités de la secte terroriste Boko Haram, Paul Biya a ordonné en avril 2016, le déblocage de 1,9 milliard de FCFA en faveur de milliers de personnes qui souffrent dans la région de l’Extrême-Nord. « Dans son élan de magnanimité, le président de la République a décidé de mettre à leur disposition un don spécial pour leur permettre de retrouver le sourire. La quatrième phase de distribution de cette offre du président Paul Biya a été lancée à Maroua le 22 avril 2016 par Henri Eyebe Ayissi, ministre de l’Agriculture et du développement rural (Minader) », rapporte en son temps « Cameroon tribune ». En fait de « magnanimité » présidentielle, une ligne budgétaire est prévue pour la gestion des catastrophes. Il ne s’agit pas de l’argent puisé dans la fortune personnelle de M. Biya.
Last but not the least, c’est également dans le même registre, s’inscrit un « don » de 100 millions de FCFA octroyés en 2012 par le locataire d’Etoudi pour soulager des populations victimes d’inondations dues aux violentes pluies à Doumé dans le département du Haut-Nyong. Là aussi, personne n’a indiqué que le budget de l’Etat dispose d’un chapitre nommé « dépenses communes », doté de plusieurs dizaines de milliards de FCFA (243 milliards en 2017), que la président de la République peut mouvementer à sa guise.
Opacité autour des avoirs de Paul Biya
Du fait du flou sur ses ressources financières, il est régulièrement difficile de distinguer les dons personnels du Président de ceux provenant du Trésor public.
Même le très introduit hebdomadaire parisien « Jeune Afrique » a essuyé un demi-échec en essayant presque, en 2015, de déterminer les revenus de Paul Biya qui lui permettent de mener son train de vie. Le maigre résultat auquel le magazine est parvenu est que, le plus « petit » salaire officiel est celui du Camerounais Paul Biya, rémunéré 200 euros [131 000 FCFA] par mois pour son mandat de président. Le fait que, malgré l’article 66 que le chef de l’Etat lui-même a fait inscrire dans la constitution depuis 1996, cela fait plus de 20 ans que le peuple camerounais ne sait pas quels sont les revenus de son président de la République. Jusqu’ici, l’on ne peut se livrer qu’à des conjectures.
Paul Biya est-il pauvre ou riche ? A-t-il suffisamment de moyens financiers pour se permettre le luxe s’offrir ou offrir des « cadeaux » d’une valeur plus ou moins importante ? Mystère et boule de gomme. Ses affidés se contentent de répondre qu’il est dans les hautes de la cime de l’administration depuis 55 ans. Et donc, le fait de vivre aux frais de la princesse lui aurait permis d’épargner ses revenus officiels. À titre de comparaison internationale, Barack Obama avait un salaire mensuel de 24 264 euros (158 millions de FCFA) par mois, François Hollande de 13 764 euros par mois (8,9 millions de FCFA), et Vladimir Poutine de 7 460 euros (48 millions de FCFA).
En tout cas, Paul Biya n’est pas un Paul Kagame. Car, dans la Gazette officielle rwandaise n°46 bis datée du 12 novembre 2012, il est ainsi précisé que le président rwandais dispose d’une « résidence présidentielle avec tous les équipements nécessaires », de cinq véhicules de fonction ou encore de « frais de représentation au service à la charge de l’État ». Mais le Rwanda est une exception. Dans la majorité des cas comme celui du Cameroun, les avantages en nature ne sont pas précisés dans les textes de lois. Beaucoup de médias nationaux, ou même internationaux, ont parfois prêté des biens à Paul Biya. Mais cela a fait pschitt.