Les soubresauts politiques du début des années 90 et l’émoi qui s’en est suivi pouvaient permettre aux Camerounais de rêver et d’envisager des lendemains meilleurs pour la santé politique des principaux partis politiques nés pour l’essentiel cette année-là.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que 25 ans après l’instauration du multipartisme, la démocratie est confisquée par les leaders des partis politiques de cette époque.
Toutes les possibilités d’alternance au sommet de ces différentes formations politiques ont été bloquées.
On est à se demander si au Cameroun, certaines personnes ont signé des contrats à vie pour vieillir et demeurer soit opposants, soit candidats naturels de leur parti politique.
Observant le système politique camerounais des années 1990 jusqu’aux années 2010, le socio-politisteMathias EricOwonaNguini affirme que la transition démocratique a avorté.
« Si l’évolution a été pluraliste, un certain nombre de caractéristiques du système monopolistique et autoritaire qui avaient prévalu des années 60 aux années 90 sont restées. Ce faisant, on ne peut pas considérer que le Cameroun ait réussi sa transition démocratique et qu’il veut éventuellement envisager de la consolider ».
En réalité, le passage de l’Etat de parti unique à un Etat de multipartisme a plutôt obstrué les avancées démocratiques au Cameroun. Les cinq partis politiques qui avaient porté l’aspiration du peuple au changement n’ont pas réussi à vendre leur rêve.
Tout compte fait, dans le sempiternel jeu du pouvoir et de l’opposition, plusieurs Camerounais ont vite conclu au mensonge politique. Les opposants n’ont pas joué leur partition et les différentes icônes sont demeurées éternellement présidents et/ou grands alliés du pouvoir.
Cas de figures d’une démocratie frivole
Dans sa forme, la démocratie camerounaise est « frivole et infidèle de la maison-mère démocratie ». Cinq hommes apparaissent aujourd’hui comme des fossoyeurs de la démocratie génitrice : Fru Ndi, Bello Bouba, Dakolé Daïssala, Paul Biya etAdamou Ndam Njoya. Chacun, à son niveau, a hypothéqué les appétits des Camerounais qui croyaient à l’alternance.
L’année 1990 est peut-être le coup d’envoi non officiel du début du processus démocratique camerounais avec la création d’une « coordination nationale pour la démocratie et le multipartisme », qui valut à Me Yondo Black, ancien bâtonnier, et à plusieurs personnes d’être arrêtés pour sédition, subversion, affront au chef de l’Etat en février 1990.
Tout le problème est de savoir comment les différentes icônes des formations politiques ont géré par la suite le vent démocratique. Leur longévité historique ou leur désir d’éternité n’a pas favorisé le rajeunissement et des innovations au sein de leur formation politique.
Si John Fru Ndi lance en mai 1990 à Bamenda, le Social Democratic Front (Sdf) lors d’une marche dont la répression cause la mort de 6 personnes, si le 4 juillet 1990 enfin, le président Paul Biya accepte d’abandonner le monopole politique exercé par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) créé en 1985 sur les cendres de l’Union nationale camerounaise (Unc) de l’ancien présidentAhmadouAhidjo, il ne faut pas perdre de vue que le « libraire » de Bamenda est resté le président à vie de son parti.
Aujourd’hui âgé de 74 ans, il a verrouillé le jeu politique à travers le fameux article 8.2 qui tranche les têtes de tous ceux qui exigent un quelconque changement à la tête du parti.
Les départs massifs de plusieurs caciques de ce parti, comme SeïdouMaïdadi, Evariste Fopoussi Fotso, Yves Epacka, Samuel Tchwenko ou encore Ben Munasuffisent amplement pour comprendre les secrets de la longévité du patron indétrônable du Social democratic front.
Bello : seul capitaine dans son bateau
L’Undp (Union nationale pour la démocratie et le progrès) de Bello Bouba Maïgari n’est pas en reste. Selon Owona Nguini, « ce qui est sûr, c’est que le leadership durable est une caractéristique prévalant chez les dirigeants des partis au Cameroun, du Rdpc à l’Undp, en passant par le Sdf et toutes les autres formations politiques, quelles que soient leur importance et leur représentativité, on constate généralement que les leaders essayent de durer le plus longtemps possible ».
L’odyssée politique de 1992 n’a pas véritablement quelque chose de positif à la démocratie camerounaise. Du moins, sur le plan de l’alternance. Parti d’opposition le plus représenté à l’Assemblée nationale avec 68 députés en 1992, Bello Bouba, qui fut le tout premier chef du gouvernement de Paul Biya, est resté fidèle à sa logique.
L’accord passé avec le Rdpc va conforter son assise. Seul capitaine dans son bateau, il n’a jamais rencontré de difficulté à renouveler son bail à la tête de sa formation politique.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Bello Bouba fait partie de ces nombreux leaders qui font de la question de l’alternance un épiphénomène. Ses anciens lieutenants directs tels que Issa Tchiroma Bakary et feu Samuel Eboua ont quitté le bateau.
En réalité, seul candidat à sa propre succession lors du cinquième congrès ordinaire en 2012, ses militants ont battu campagne à sa place. Le Mouvement démocratique pour la défense de la République (Mdr) de Dakolé Daïssala, légalisé le 9 octobre 1991, n’a jamais tenu de congrès.
Président fondateur unique de son mouvement, Dakolé Daïssala, avec ses six députés en 1992, a vendu « cher » son ralliement au parti au pouvoir. Ce qui a sauvé le Rdpc qui a bénéficié de l’offre de ses députés. La conséquence : une majorité absolue assurée au Parlement, et M. Dakolé sauva le régime, changea le destin politique du Cameroun en quête d’une hypothétique l’alternance.
Au nomde la real politik, Dakolé n’a jamais tenu de congrès dans son parti. Adepte du pragmatisme, il a soutenu la révision constitutionnelle de 2008 qui a fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels au Cameroun.
L’enjeu, garantir par tous les moyens ses prébendes. Interrogé par nos confrères de Mutations sur la possibilité d’une alternance dans son parti, ce sénateur visiblement diminué affirmait n’être pas prêt à passer le relais : « Vous voyez qui d’autres ? », martelait-il.
A l’Union démocratique camerounaise (Udc), Adamou Ndam Njoya, qui dirige d’un air de famille depuis 1991, n’a jamais pensé à confier la direction de son parti à une autre personne.
On note comme une confiscation de l’Udc par le couple Patricia Tomaino Ndam-Adamou Ndam Njoya. Joint hier sur son téléphone, Mongwat Ahidjo, le secrétaire national à la communication de l’Udc a indiqué : « la question de l’alternance n’est pas un problème particulier. La convention nationale qui est le congrès se tient tous les 5 ans. A l’issue de cette convention, tout le personnel, jusqu’au président, est renouvelé ».
Il a ajouté : « on a déjà tenu 5 conventions, notamment en 1993, 1997, en 2002, etc. Je dois rappeler qu’il y a un candidat qui a déjà eu à gêner un peu le président national ».
Il refuse de considérer ce dernier comme un « chef incontesté »,mais relève qu’il est « régulièrement élu par tous lesmembres. Un parti d’opposition n’est pas un parti au pouvoir », a-t-il tranché.
La touche du candidat naturel du Rdpc
Dans une interview accordée à Rfi en mai 2015, Jacques Fame Ndongo, le secrétaire à la communication du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), affirmait, à propos de la succession de Paul Biya, le président naturel de ce parti, que le sujet n’était pas à l’ordre du jour.
« Si vous, vous estimez qu’il faille lui trouver un successeur dès à présent, nous, au niveau du Rdpc, nous disons non !C’est notre champion. Il est percutant, il est efficace, l’âge ne correspond à rien du tout ».
Si lors du dernier congrès du Rdpc, on a noté deux candidatures au poste de président national, l’ex-ministre René Zé Nguelé, et le président Paul Biya, aujourd’hui âgé de 82 ans, plusieurs observateurs politiques sont d’avis qu’il s’est agi d’une farce. En effet, depuis le congrès fondateur demars 1985, le « créateur » des militants du Rdpc n’a jamais songé à laisser la direction de l’Etat ou de son parti à un tiers.
La commission de politique générale s’est contentée de l’accompagner dans cette direction malgré toutes les velléités de modernisation du parti.
La perpétuation de son bail s’est poursuivie contre l’avis des dissidents tels que Chief Mila Assoute qui, après avoir démissionné du Rdpc, avait déclaré avoir « déposé un dossier pour l’élection présidentielle sous la bannière du Ralliement au changement pour la nouvelle République (Rcnr). Le chef de l'aile « moderniste » du Rdpc, Mila Assoute, a par la suite été obligé de s’exiler. Comme dans les Sdf et autres formations politiques, le Rdpc a connu des secousses qui ont favorisé la transhumance et le parachutage politiques. Paul Ayah Abine, ancien député Rdpc, analysant la situation du Cameroun à partir de sa nouvelle posture d’opposant, déclarait sentencieusement en 2014 que : « l’implosion du Rdpc est très imminente! On n’attend plus que le départ de M. Biya pour que ce parti politique éclate. Les tendances se font voir assez clairement ; il y a donc une guerre aux visages multiples ».
Las d’attendre une mue de son ancien parti, il a quitté le bateau. Ainsi, un constat se dégage : les différentes icônes des formations politiques n’ont pas réussi à donner une nouvelle dynamique à l’opposition camerounaise en décrépitude avancée. Bien évidemment, plusieurs causes justifient l’attitude de ces leaders politiques dont les manoeuvres entravent la construction d'une nouvelle dynamique de l’opposition, seul instrument capable de tenir la dragée haute au pouvoir.
D’après le socio-politiste Claude Abe, « l'alternance ne devrait pas être utilisée au Cameroun si on considère la période qui va de 1958, date de l'arrivée de M. Ahmadou Ahidjo au pouvoir, à aujourd'hui ».
Pour lui, l’alternance n'est pas synonyme de circulation des élites ou de renouvellement de celles-ci. Il s’agit d’un changement quasi-radical de régime politique s’accompagnant de la mutation de positions des formations politiques et d’élites politiques.
Comme conséquences de l’autoritarisme politique, Claude Abe évoque, entre autres, la perte de puissance du parti, la contre-productivité, les défections exprimant les frustrations mal vécues ou digérées.
A ses yeux, l’on est en face d’une scène de théâtre qui a permis le déploiement d'une gestion institutionnelle avec la légalisation d'une pluralité de partis politiques sans assise institutionnelle réelle et l'organisation régulière de rites de dévolution du pouvoir.
Le politiste croit savoir que la situation offre au peuple plusieurs possibilités. « Ce n'est pas à moi de lui dire s'il faut s'inspirer du Burkina Faso ou du Sénégal. Ce n'est pas non plus à moi de lui dire s'il faut faire le choix de la servitude volontaire en recherchant avidement la captivité et à lutter, de la sorte, contre toutes les possibilités de se libérer de cette classe politique décevante. En tout cas, en tant que citoyen camerounais, mon souhait c'est que le peuple se positionne comme le souverain exclusif ».
Pour le juriste et politologue Jean Paul Nsengue par contre, « Il n’y a pas eu de régression dans le processus de démocratisation au Cameroun. Au Cameroun comme ailleurs, on observe de nos jours que les partis politiques sont de fortes entreprises politiques. En science politique, on parle d’entrepreneurs politiques.Ceux qui créent des formations politiques croient qu’ils ont investi sur la durée et que tout investissement doit être rentable. C’est ce qui justifie lamainmise sur le fonctionnement, la structuration des différentes formations politiques. Il est difficile de venir au sein d’un parti et de débouler le chef », martèle-t-il. Selon lui, l’alternance ne changerait en rien le mode de gouvernance.