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Paul Biya n'incarne pas l'avenir

Jeu., 4 Févr. 2016 Source: Jean Paul Mindjouk

Le temps, la force et la volonté feront défaut malgré les « appels du peuple». Au moment où les appels se multiplient pour demander au Chef de l’Etat de se représenter à la prochaine élection présidentielle, Paul Biya aura t-il le courage d’arrêter de penser aux prochaines élections pour penser à la prochaine génération ?

Oh mon Dieu ! j‘ai envie de dire que ça recommence, cette interminable comédie ! Originaire de la Région du Centre, militant du RDPC, j’étais comme les autres militants hanté par l’idée du lendemain alors même que nous étions de plain pied dans le renouvellement des organes de base du Parti en octobre dernier.

Le Président Paul Biya, candidat naturel de notre formation politique a vieilli. A 83 ans, le Chef de l’Etat n’incarne plus l’avenir. Opinion unanimement partagée en cette fin d’année 2015. Les échéances de 2018, si « certaines mais lointaines » nous hantaient tous étant convaincus que nous étions à la fin du cycle de vie de notre principal atout. 

Mais d’où vient que subitement, nous nous engageons dans une voie sans issue, nonobstant nos certitudes si récentes? Le Chef de l’Etat, qui n’a pas perdu le bon sens malgré son âge très avancé, doit se
ressaisir et comprendre qu’un transfert générationnel du pouvoir s’impose au vu des raisons ci-après :

Ce n’est pas l’appel du peuple

Il est vrai qu’une idée qu’on croyait banale a traversé l’opinion et a été injectée au sein du Parti ces derniers temps. Une tendance assez représentative mais irresponsable qui, s’inspirant des cas Robert Mugabe (Président du Zimbabwé à 87 ans) et de Abdelaziz Bouteflika (qui règne sur une chaise roulante en Algérie) estimait que le Chef de l’Etat camerounais peut encore rempiler parce qu’il tient toujours sur ses deux pieds. Cette tendance, il faut l’avouer, est composée de grabataires, de sexagénaires et d’octogénaires. Elle recrute ses adeptes dans le grand Nord (Cavaye Yéguié Djibril), à l’Ouest (Niat Ndjifendji Marcel), dans le Centre (Sylvestre Naa Ondoua) et dans le Sud (Martin Belinga Eboutou). Mais que représentent-ils face à une jeunesse abandonnée, trompée (création de plus de 300 mille emplois annuels depuis quatre ans) et dans le désarroi total ?

Une jeunesse qui a accepté de vivre avec une telle situation dans l’espoir que les choses bougeraient en 2018. Que la fin du calvaire est proche. Une jeunesse qui sait que les raisons suivantes devraient amener le Chef de l’Etat à prendre sagement sa retraite.

Chômage des jeunes, administration inefficace 

Un groupe d’intellectuels camerounais a publié récemment un ouvrage collectif sur la débrouillardise au Cameroun. Cette étude qui prend le contrepied des chiffres récents sur la création des centaines de milliers d’emplois au Cameroun en arrive à la conclusion que la majorité des jeunes vivent dans la précarité. Les emplois qui existent le sont dans le secteur informel.

Le Gouvernement a tenté plusieurs initiatives qui se heurtent aux obstacles sectoriels. Le manque de concertation entre les départements ministériels est source d’incohérence. Le MINEPAT avait lancé dans le temps les clusters bois sans se référer au Ministère des Forêts gestionnaire de la ressource.

En continuant d’autoriser l’importation de la friperie (vêtement de seconde main), le Ministère du Commerce ne se rend pas compte de l’incidence sur l’industrie locale. De même, plusieurs initiatives de création de petites et moyennes industries ne pourront jamais prospérer sans des allègements fiscaux par un Ministère des Finances plus soucieux de collecter les taxes que de créer la richesse. Ainsi va notre administration.Chacun joue sa partition en l’absence de coordination et d’impulsion politique fortes.

Notre fonction publique est inefficace parce qu’elle est très désarticulée. Ce constat de la Banque mondiale fait en 2003 reste constant malgré le temps qui passe.

Désordre urbain

Aucune ville du Cameroun ne présente une image radieuse de modernité à cause du laissez faire. La configuration de nos villes illustre l’absence totale de l’Etat. Du système des transports publics, à la création des quartiers, des litiges fonciers en passant par les services sociaux de base (routes, adduction d’eau, téléphone, éclairage public, enlèvement des ordures, adressage), c’est le désordre total. Yaoundé, Douala, Nkongsamba, Bafoussam etc. sont les cas accomplis de cette jungle qui apparaît comme une bombe à retardement. Toutes nos villes sont constituées à 70% de bidonvilles.

Au fur et à mesure que le temps passe, elles s’étendent sans schémas directeur et sans réel espoir de modernisation.

Que faut –il faire ? Les initiatives de Gilbert Tsimi Evouma et de Fritz Ntone Ntone apparaissent, en dépit des grincements de dents qu’elles suscitent, comme de la médecine douce là s’impose la chirurgie. La situation est telle qu’il faut un sursaut national, des mesures fortes pour ne pas compromettre l’avenir.

Paul Biya a-t-il conscience de la gravité de la situation ? A-t-il la force d’engager un tel chantier à 85 ans ? ou alors veut-il léguer cet héritage à son successeur après 2020, à moins de 15 ans de 2035, échéance qu’il s’est fixée pour l’émergence du Cameroun ?

La question anglophone

Il y a une trois semaines, Chief Mukete a demandé à travers plusieurs publications d’expression anglaise d’écouter les revendications des anglophones. Le patriarche estimait qu’il est temps d’amorcer un dialogue franc pour ne pas transformer une simple question identitaire en revendication politique majeure. 

La question anglophone ne doit plus être une simple sujet régionale au moment où nous francophones, nous choisissons pour nos enfants l’anglais comme première langue étrangère. Depuis deux décennies, cette question s’exprime à travers des tendances contradictoires dans leurs approches. Celle radicale de la CNCC qui s’exprime en termes d’autodétermination, de séparation avec « La République du Cameroun ». Celle moins radicale qui reconnaît la nécessité d’ajustement culturel. 

Dans l’un et l’autre cas, on sent un besoin de dialogue. Nous autres francophones devons faire équipe avec ces demandes qui ne sont pas dépourvues de pertinence. 

Il n y a qu’à observer autour de nous des attitudes qui, sans être émanation d’une politique officielle d’exclusion ne sont pas moins des négligences condamnables ; le français domine sur l’anglais dans la pratique courante dans les institutions de formation, dans l’administration.

Dans l’armée, il est la seule langue reconnue. De petites décisions telles que l’exigence d’être parfaitement bilingue pour tout accès aux fonctions de Chef de service par exemple serait un pas significatif parmi tant d’autres souhaitées. Il faut faire quelque chose. Le Président de la république a-t-il encore du temps ?

La gestion des ressources de l’Etat

Je ne parlerai pas ici de l’opération « Epervier » qui, engagé sur le tard n’a pas encore généré des résultats escomptés.

Un célèbre intellectuel chinois disait ceci de son pays : « lutter contre la corruption sur le tard détruit l’Etat. Arrêter les coupables sur le tard détruit le parti » cette affirmation peut-elle s’appliquer au Cameroun ? L’histoire nous le dira. Mais interrogeons nous un peu sur le déploiement du Budget d’investissement public.

En dépit de l’avènement d’une programmation triennale, le Cameroun continue de dilapider, au fil des années, ses ressources propres compromettant ainsi l’atteinte des objectifs qu’il s’est fixé. Prenez un ministère au hasard et examinez la répartition du BIP et les origines ethniques des chefs de départements ministériels en dix ans. Ajoutez-y celles de leurs amis, de certains députés, épouses et autres, vous comprendrez que la ventilation du BIP n’obéit pas aux objectifs de cohérence. Même quand elle a cette prétention, elle ne s’accorde pas avec des objectifs de durabilité. 

Le Cameroun veut faire tout et partout à la fois ; résultat, rien de durable ne se fait.

Dans nos quartiers qui n’a pas encore vu un projet routier de 200 mètres s’arrêter devant le portail d’une élite ? Avons-nous seulement le temps de réévaluer cette situation au risque de heurter les sensibilités ? allons nous continuer à bâtir des écoles sans élèves, des routes privées, des hôpitaux sans médecins et à promouvoir, au fil des années, des projets sans liens avec l’intérêt des populations?

Là est toute la problématique du BIP. Le débat sur son niveau de consommation qui revient chaque année nous éloigne des vrais enjeux.

En définitive, plusieurs questions non évoquées ici telles que l’application intégrale de la constitution de 1996, le système éducatif, le difficile décollage de l’agriculture de seconde génération méritent une attention permanente.

Auteur: Jean Paul Mindjouk