Le soulèvement anglophone: une opportunité historique pour réexaminer nos institutions actuelles pour un leadership inclusif du Cameroun.
« …L’instant est là, un instant rarement offert par l’Histoire, quand un peuple sort du passé pour entrer dans l’avenir, quand une époque s’achève, quand l’âme d’une nation, longtemps étouffée, retrouve son expression… » (Jawaharlal Nehru au Parlement indien, le 14 août 1947).
Bien plus qu’un problème anglophone, un malaise national
La crise actuelle dans nos régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest est l’expression de l’âme d’un peuple, qui n’est pas sans rappeler la déclaration ci-dessus du nationaliste indien, devenu Premier ministre, à la veille de l’indépendance de l’Inde il y a 70 ans.
En effet, il ne s’agit pas de revendications anglophones, il s’agit aussi de revendications francophones, qui expriment un malaise national pour plusieurs raisons.
Premièrement, quand sonne le glas à Bamenda, Garoua, Maroua, Bertoua, Bafoussam ou n’importe où au Cameroun, “…n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas: il sonne pour toi”. C’était l’avertissement de l’auteur américain Hemingway à propos de la mort ou la souffrance d’un être humain où qu’il soit parce qu’il ou elle est une partie de l’humanité. Ce sentiment d’une communauté de destin devrait lier tous les camerounais, en tant que constituants d’une même nation.
Deuxièmement, bien plus qu’un problème anglophone, les récents soulèvements de Bamenda et de Buéa sont révélateurs d’un malaise national beaucoup plus profond, qui découle du leadership institutionnel et de la structure de gouvernance de notre pays dont l’architecture fut viciée à l’origine. A l’aune de son expérimentation au cours des 50 dernières années, notre cadre institutionnel de gestion des affaires publiques apparaît clairement ne pas avoir été conçu pour répondre aux besoins et aux aspirations du peuple.
Ce qu’on appelle problème anglophone est un aspect spécifique d’un problème national beaucoup plus prégnant qui peut être défini comme un défaut génétique d’un système de gouvernance publique qui n’est pas réactif aux besoins et aux préoccupations des citoyens, anglophones tout comme francophones.
Dans cette optique, en comparant notre pays à un organisme humain, on peut dire que l’éruption de furoncles sur une quelconque de ses parties équivaudrait en réalité à une infection de l’organisme entier et son traitement exigerait d’attaquer le mal à la racine. Dans le paragraphe ci-dessous intitulé “ Architecture étatique viciée par définition …”, on peut comprendre comment l’organisme humain fut peu à peu contaminé par la bactérie dès l’origine du processus de construction nationale et comment les failles actuelles peuvent être reliées au processus originel de formation de notre Etat.
Le mal s’est éternisé pendant tellement d’années avec des conséquences évidentes en termes – de carence dans l’accès des populations aux infrastructures de service de base telles que l’eau potable et l’hygiène publique, l’électricité, les transports, les soins médicaux, l’éducation, le logement ; de déliquescence des sociétés publiques qui vivent de subventions chroniques sans perspectives d’autonomie; de fonctionnement moribond de plusieurs entreprises et institutions publiques à l’instar du Conseil économique et social, de la Société nationale d’investissements, la Société nationale d’hydrocarbures, de la Douala stocks exchange, de Camtel, des Agences de régulation des services publics, etc.
La persistance du mal, pour ne pas dire son aggravation, aurait dû être une sonnette d’alarme pour les autorités mais notre système étatique n’a pas été conçu avec un mécanisme intégré de contrôle préventif, capable d’alerter à temps les dirigeants sur ses dysfonctionnements et son quasi- effondrement, ce qui le rend pratiquement irrémédiable. D’où la prise de conscience tardive, et généralement en phase terminale, des maux qui minent les institutions et les entreprises publiques.
Autrement dit, comment un système de gouvernement efficace ne peut-il pas être alerté opportunément à propos des difficultés que ses citoyens rencontrent sur la route entre Douala et Bamenda, ou Yaoundé et Bamenda (et encore pire sur la portion Bafoussam-Bamenda) et agir en conséquence; combien de vies devraient être perdues sur nos routes, plus particulièrement sur les grands axes, avant qu’un système ne prenne la mesure de l’urgence de la situation; combien de vies devraient être perdues dans les hôpitaux avant la réhabilitation du système de santé ?
Combien de mères et de bébés un pays devrait-il perdre avant que sa conscience ne se réveille ?
Pour mieux comprendre la nature génétique et endogène du mal, on peut constater qu’au cours des 30 dernières années, le Président Biya, chef de l’Etat du Cameroun a constamment et sans succès fustigé ces vices et ces scandales qui, dans la fonction publique, entravent notre développement, parmi lesquels la corruption, la bureaucratie, le détournement de fonds publics, les tracasseries administratives, le climat des affaires délétère dissuasif pour les investissements. En fait, pendant des années, la propagation de ces vices est devenue virale, se traduisant par l’aggravation des discriminations, des injustices et des inégalités économiques.
En dépit des fréquents rappels à l’ordre et des stigmatisations du chef de l’Etat à l’endroit de la fonction publique, la persistance des mêmes obstacles, ainsi que l’incapacité du gouvernement à les affronter et à les enrayer, a mis en évidence la nature structurelle ou quasi génétique des défaillances du système de gouvernance, une sorte d’atavisme génétique qui empêche l’organisme de fonctionner au maximum; un défaut qui ne peut être corrigé qu’en modifiant l’ADN du système.
Pour un dialogue intégral et transparent, et non des solutions fragmentaires
Quelle qu’en soit l’issue, les négociations initiées par le gouvernement ne s’adresseront qu’à certaines facettes du problème. Au regard de la nature structurelle et de l’étendue du malaise qui implique différentes parties prenantes, – acteurs politiques et religieux, société civile, enseignants, gens de droit, etc -, il s’avère plus que nécessaire d’adopter une vision élargie et à long terme pour une solution crédible et durable.
Un tel objectif requiert une approche globale, constructive et holistique sinon les problèmes resurgiront à nouveau. « L’ordre et la sécurité » ne saurait être un ersatz de réponses efficaces aux griefs et préoccupations exprimés par les populations, qui ne peuvent véritablement être pris en compte qu’à travers un dialogue responsable et constructif, étayé par la bonne foi et l’ouverture d’esprit des parties impliquées dans le souci de solutions consensuelles et concertées, et non imposées.
Dans ce contexte, il devrait être clairement reconnu que le cas du magistrat de la Cour suprême Paul Ayah et les autres dessert la cause de notre démocratie. Nous devons par conséquent défendre un Etat qui protège les droits et les libertés de ses citoyens, et non un Etat qui les terrorise.
Toute approche parcellaire, partielle ou non exhaustive ne manquera pas de réduire le problème à une quelconque transaction administrative, et cela ne manquera pas encore une fois d’apparaître bâclé et superficiel, rappelant à plusieurs d’entre nous les tristes souvenirs du scénario de Foumban en 1961, passé à la postérité comme une fourberie ; en quelque sorte comme un jeu à somme nulle dans lequel pour qu’une partie gagne, l’autre doit perdre ; ou pour qu’une partie s’engraisse l’autre doit maigrir, ou; enfin, comme un marché de dupes par lequel une partie ne la joua pas à la loyale pour s’affirmer au détriment de l’autre.
Toute approche fragmentée sera contreproductive, avec pour conséquence l’omission des questions essentielles notamment: comment organiser au mieux une répartition équilibrée du pouvoir politique pour le bien-être de tous ? Comment concevoir au mieux un système de gouvernance démocratique transparent qui promeuve le développement; comment organiser un système politique qui assure une affectation des ressources efficiente dans lequel les fonctionnaires ou les dirigeants sont comptables de leurs actes devant les populations ? Comment construire une nation dont le but principal est de garantir les droits et libertés des citoyens dans leur quête du bonheur ? Comment concevoir et organiser un service public au service de la communauté et qui n’en devienne pas le bourreau ?
Par ailleurs, une remarque importante mérite notre attention, les soi-disant revendications anglophones ne proviennent plus des pères fondateurs, mais de leurs fils et même de leurs petits-enfants; ce qui signifie que la mémoire collective est aujourd’hui le carburant de la colère et des frustrations. Regardant 50 années en arrière, ils ont l’impression que la conférence de Foumban sur la réunification était une ruse par laquelle une partie fut trompée par l’autre. D’où une fois de plus notre appel à un processus de conciliation transparent, exhaustif et franc, impliquant fortement les jeunes générations dont 80% de la population, soit environ 20 millions d’âmes, ont moins de 30 ans.
Le rôle des médias
A ce propos, les médias sont un instrument indispensable pour la promotion et la préservation de la démocratie. A ce titre, ils devraient rester libres et indépendants pour jouer efficacement leur rôle dans la société, et ne pas devenir un outil de manipulation ou de propagande dans l’intérêt partisan de quelques-uns au détriment de l’intérêt général et, surtout, des droits et libertés civiques.
En tant que vigile des valeurs d’une société démocratique, leur rôle devrait être de fournir aux citoyens des faits et des informations établis afin de maintenir vive leur conscience politique et les alerter au sujet de toute menace qui pourrait survenir contre leurs droits et libertés. De même dans ce contexte, les médias devraient être conscients des diverses menaces auxquelles ils sont exposés, entre autres la corruption et les différentes formes de pression négative susceptibles de les empêcher de remplir efficacement leur mission.
Dans cette optique, enfin, les médias devraient éviter de devenir des agents de propagande pour des groupes d’intérêt particulier, ce qui les conduirait à verser dans la désinformation et l’intoxication, en indexant par exemple les anglophones ,comme une bande de Vikings prompts à massacrer les francophones, avec d’évidentes conséquences quant à l’alimentation de la haine et du tribalisme entre les communautés.
A propos de l’économie…
Au début de la crise économique camerounaise au milieu des années 1980, différents audits en attribuèrent la cause à la nature du modèle ambiant de l’Etat-Providence qui avait compromis la répartition efficiente et concurrentielle des ressources, provoquant une détérioration considérable de la compétitivité de l’économie et de la balance des paiements.
Il en résulta une profonde crise du secteur bancaire en raison de l’important volume accumulé d’actifs toxiques avec pour effet une contraction substantielle du crédit, qui se transforma en une profonde récession économique avec de multiples conséquences néfastes : la déconfiture des sociétés étatiques et paraétatiques et un chômage massif qui déclenchèrent à travers le pays un phénomène d’appauvrissement sans précédent.
La correction des limites de ce paradigme, fondé sur l’Etat-entrepreneur et la rente administrative, devait conduire aux propositions de réformes structurelles visant à asseoir une dynamique économique libérale et entrepreneuriale, dans laquelle l’Etat devait davantage jouer un rôle de facilitateur ou de catalyseur en créant un climat propice aux investissements.
Dans cette optique, et pendant presque 20 ans, le Cameroun a été contraint de souscrire au programme d’ajustement structurel (PAS) sous l’égide des institutions de Bretton Woods.
Il est bien regrettable de remarquer qu’après tant de sacrifices et d’efforts consentis par la population, le Cameroun se retrouve pratiquement au point de départ, du fait des dévoiements dans la mise en oeuvre des réformes structurelles préconisées.
Cela est clairement attesté par les piètres performances de la quasi-totalité des entreprises publiques et des concessions de service public, les dettes improductives finançant des éléphants blancs, les gaspillages budgétaires entraînant d’importants déficits et des tensions de trésorerie et, enfin, la détérioration de notre balance des paiements. Tout ceci ne manque pas de susciter les préoccupations de nos partenaires et des observateurs avertis.
Pendant plus de 30 ans, de 1984 à ce jour, le taux de croissance annuel du Cameroun a oscillé autour d’une moyenne d’environ 2 pour cent en termes réels.
Comparé au taux de croissance de la population d’environ 2,5 pour cent, le PIB par habitant est donc resté stagnant quand il ne s’est pas contracté. En éliminant l’impact de Boko Haram sur la croissance et la répartition des revenus, la courbe de pauvreté a empiré ces 10 dernières années avec une incidence prégnante dans les zones rurales et les régions septentrionales.
La persistance de ces piètres performances socioéconomiques, en dépit de l’annulation partielle de la dette publique dans le contexte de l’initiative des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) en 2006, met en évidence le caractère structurel et endogène des causes du mal, qui trouvent leur racine dans l’architecture du système de gouvernance publique.
Une architecture de l’Etat viciée à l’origine, risques associés et conséquences néfastes.
Sous l’égide de son premier chef d’Etat, Ahmadou Ahidjo, le processus historique de formation de la nation camerounaise fut sous-tendu par le grand dessein d’un Etat fortement centralisé, confinant quasiment à un Etat totalitaire. Y apparaissait dès le départ la claire intention d’émasculation des droits et libertés des populations. En cohérence avec ce schéma, s’est développée une culture d’un Etat oppresseur, qui explique nombre d’abus encore observés aujourd’hui dans ce domaine.
En effet, si un Etat n’est pas conçu pour reconnaître et préserver les droits humains fondamentaux de l’ensemble de ses citoyens, comment pourrait-il en être autrement de ceux historiques d’une composante spécifique, anglophone en l’occurrence?
Aux lendemains des indépendances africaines, ce processus fut également observé dans d’autres pays qui n’avaient pas de problème linguistique.
Il donna généralement naissance à un régime politique hyper-présidentialiste, caractérisé par une forte personnalisation du pouvoir au sommet de l’Etat, une éviction des contrepouvoirs, ainsi que l’apparition des mythes, des valeurs et des comportements liés à la nature d’un tel pouvoir, dont le culte du leader.
Différentes évolutions post-indépendance dans notre pays obéirent à cette logique, notamment : la transformation du système multipartite en parti unique; la conversion de l’Etat fédéral en Etat unitaire, en fait totalitaire; la concentration massive des pouvoirs dans les mains du chef de l’Etat et l’éviction concomitante des pouvoirs législatif et judiciaire; la perpétuation d’une administration coloniale hyper centralisée, alors que le but de celle-ci n’était pas l’émancipation des populations mais leur confinement et leur soumission aux volontés de l’autorité coloniale, symbole du soi-disant “ordre et sécurité”; une bureaucratie exerçant d’immenses pouvoirs administratifs sans obligation de rendre compte aux populations; une structure décisionnaire pyramidale décidant d’en-haut au mépris des attentes des populations; en corollaire la dépendance de celles-ci vis-à-vis de l’Etat et l’étouffement simultané de leurs initiatives pour librement forger leur destin.
Dans ces conditions, en l’absence de mécanismes institutionnels indépendants de contrôle et de contrepouvoirs, susceptibles de maintenir le système de gouvernance publique en mode dynamique, pro-actif et de veille, son efficacité repose – non sur une organisation gouvernementale – mais sur le leadership de la seule personne qui en incarne totalement le pouvoir.
En matière de promotion du développement, cela exigerait de ce leader, au-delà d’une implication personnelle permanente, des qualités exceptionnelles de visionnaire, d’ambition, de volonté, d’omniprésence, de vigilance et d’omniscience.
L’expérience de ce type de régime montre qu’il comporte des risques élevés de dérives, parmi lesquels : la constitution d’une caste de rentiers de l’Etat, véritables prédateurs des richesses nationales; l’isolement du leader qui devient otage des factions d’intérêts particuliers, au détriment des populations; le renforcement du népotisme et de la corruption qui favorisent l’opacité et les injustices dans les processus décisionnels, et notoirement dans les nominations à des postes publics et l’octroi des marchés; le blocage du fonctionnement efficient des marchés au profit des intérêts particuliers; l’aggravation des inefficiences dans l’allocation des ressources publiques.
Il en résulte des conséquences néfastes pour la société qui comprennent entre autres: une croissance molle et non inclusive; une distanciation continue entre le gouvernement et les attentes et aspirations des populations; l’absence d’impulsion, d’initiative et d’anticipation gouvernementales ; la déconfiture des entreprises publiques ; l’inertie et les lenteurs dans la mise en œuvre des réformes et des projets ( par exemple la loi sur la décentralisation qui date de 1996, les plans d’urgence, les projets structurants sans impact significatif); le taux élevé de détournement de fonds publics et de gaspillage des ressources budgétaires ; le faible taux d’accès aux services d’infrastructure de base (eau, électricité, éducation, soins de santé, logements, transports, etc.); un taux de chômage élevé ; un faible taux d’attractivité des investissements privés ; une aggravation du processus de paupérisation ; un développement régional déséquilibré ; une zombification et une vassalisation des citoyens ; une perte de confiance des jeunes dans l’Etat, culminant en une perte d’amour propre, combinée à l’apparition de sentiments de défaitisme, de fatalisme et de résignation ; une aggravation du tribalisme ; une perte de solidarité citoyenne ; l’étouffement de la démocratie, avec pour corollaire la disparition de l’expression plurielle au profit d’une pensée monolithique. En somme, et plus grave, ces évolutions donnent naissance à l’image d’un Etat-vampire dans lequel une petite poignée sucerait le sang et la sueur de leurs compatriotes.
Pourquoi les nations échouent: les enseignements de la dynamique historique des sociétés…
Dans un livre fascinant “Why Nations Fail” (Pourquoi les nations échouent?), les auteurs, Daron Acemoglu et James A. Robinson, respectivement professeur d’économie au MIT et de gouvernement à Harvard, plongent dans plus de trois siècles d’histoire du développement pour comprendre pourquoi certaines nations prospèrent et d’autres demeurent pauvres. Les résultats de cette recherche – qui en réalité confortent ceux d’études antérieures sur le même sujet – révèlent une forte corrélation entre la distribution du pouvoir politique et la dynamique de prospérité dans les sociétés.
Voici ce qu’ils en disent:
“ En fait, l’Egypte est précisément pauvre parce qu’elle a été dirigée par une élite étroite qui a organisé la société pour son seul bénéfice au détriment de la masse de la population. Le pouvoir politique fut concentré dans les mains d’une infime poignée qui l’utilisa à son avantage, à l’instar des 70 milliards de dollars accumulés apparemment par l’ex-président Moubarak…Que ce soit en Corée du Nord, en Sierra Leone ou au Zimbabwe, les pays pauvres sont pauvres pour les mêmes raisons que l’Egypte est pauvre. Des pays tels que la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis devinrent riches parce que leurs citoyens renversèrent les élites qui contrôlaient le pouvoir et mirent en place une société dans laquelle les pouvoirs politiques étaient très largement partagés, dans laquelle le gouvernement était responsable devant les citoyens et réactif à leurs problèmes, et où la grande masse des populations pouvaient tirer avantage des opportunités économiques…
Nous verrons que la raison pour laquelle la Grande Bretagne est plus riche que l’Egypte tient au fait que en 1688, la Grande Bretagne ( ou l’Angleterre pour être précis) eut une révolution qui transforma le système politique et partant le système économique de la nation. Les populations luttèrent et obtinrent plus de droits politiques, qu’ils utilisèrent pour accroître leurs opportunités économiques. Il en résulta une trajectoire politique et économique fondamentalement différente, qui culmina dans la révolution industrielle.” (Traduction de l’auteur).
Dans un Etat à gouvernement fortement décentralisé ou s’apparentant au fédéralisme, il est plus probable de trouver une répartition du pouvoir plus équilibrée, qui est de nature à renforcer les capacités des régions des communautés locales et des individus à prendre leur destin en main.
Par ailleurs, fédéralisme ne signifie pas anglophone ou sécession, c’est une forme d’organisation de l’Etat et de gouvernance publique, qui fait la preuve de son efficacité comme accélérateur du développement dans plusieurs pays, comprenant les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne, l’Ethiopie, le Nigéria, l’Australie et plusieurs autres pays.
Il faut éviter de créer de la confusion dans l’esprit des populations, le fédéralisme ne porte atteinte ni ne remet en cause l’engagement des pères fondateurs “d’Unité dans la diversité”, au contraire du système actuel de gouvernement fortement centralisé, comme l’attestent ses conséquences néfastes. L’appel souvent entendu “Le Cameroun est un et indivisible” ne peut se justifier que face à des revendications sécessionnistes.
Seuls des systèmes de gouvernement fortement décentralisés ou s’apparentant au fédéralisme sont naturellement enclins à renforcer les capacités des populations et des communautés locales pour devenir les principaux agents de leur développement, ou des acteurs majeurs de leur vie.
C’est un moment décisif pour déterminer notre destin, il ne faut pas le louper…
En 1947, à l’aube de l’indépendance de l’Inde, Jawaharlal Nehru, Premier ministre de ce grand pays, s’adressant à l’Assemblée constituante indienne, disait ceci à ses compatriotes:
«Il y a de nombreuses années, nous avons donné rendez-vous au destin et l’heure est venue de tenir notre promesse… Sur le coup de minuit, quand dormiront les hommes, l’Inde s’éveillera à la vie et à la liberté. L’instant est là, un instant rarement offert par l’Histoire, quand un peuple sort du passé pour entrer dans l’avenir, quand une époque s’achève, quand l’âme d’une nation, longtemps étouffée, retrouve son expression…».
C’est notre moment d’expression et de bilan, c’est un moment décisif pour notre pays, et nous devons franchement l’affronter, et ne pas en faire ni le déni ni la procrastination, si l’on veut obtenir des solutions durables au malaise actuel. Nous le devons aux jeunes et futures générations. Nous devons saisir les événements de Bamenda et de Buea comme une “bénédiction cachée”, comme opportunité pour réexaminer les performances de notre Etat afin de construire une infrastructure institutionnelle de gouvernance des affaires publiques à l’épreuve du temps, qui libère notre pays de la violence et de la corruption, etc.; cela mettra en cohérence les structures de l’Etat et la vision des pères fondateurs “d’Unité dans la diversité”.
Concernant nos piètres performances en matière de progrès économique et social, nous ne devrions pas avoir peur de remettre en cause notre modèle de gouvernance publique, ou notre modèle de leadership en vue de les améliorer, de les rendre plus aptes à répondre aux attentes des populations.
A la lumière de ce qui précède, notre Etat, dans sa forme et ses structures actuelles, apparaît davantage comme une hypothèque qu’un atout. D’où la nécessité d’un examen critique et véridique du leadership et de la gouvernance des affaires publiques.
En ce qui a trait au niveau et à la fréquence élevés de corruption de certains dirigeants, nous ne devons pas avoir peur de discuter des voies et moyens de rendre les occupants de charges publiques comptables devant les populations…
Par ailleurs, les constitutions ne sont pas inscrites sur de la pierre; la seule chose permanente dans ce monde est la constance des changements planétaires, ce qui constitue un défi à nos modes de vie, et peut obliger un pays à adapter son organisation pour l’amélioration du bien-être de ses citoyens.
Au cours des 30 dernières années, notre monde a ainsi assisté à des cas de restructuration des Etats ou des institutions, à l’instar de l’ex-Union soviétique, de l’Allemagne, de la Séné-Gambie, du Brexit…Plusieurs pays sont actuellement sous une pression similaire y compris le Royaume Uni. L’anticipation et la pro-activité sont le meilleur guide pour éviter les conséquences brutales et non souhaitées de telles évolutions.
Il faut s’engager à bâtir une nation qui donne à tous ses enfants une chance égale d’accomplir leurs rêves et leurs aspirations, de réaliser leurs propres talents, une nation qui de manière indiscriminée renforce les capacités de ses citoyens, régions et communautés locales de manière à ce qu’ils participant pleinement à leur développement, une nation qui donne espoir à sa jeunesse, qui restaure leur confiance dans l’Etat comme institution impartiale, garante de la justice et de la sécurité des populations, qui promeut des entrepreneurs audacieux et confiants, capables de participer pleinement à l’aventure humaine de création de valeur, dans tous les domaines de la vie – technologie, entrepreneuriat, énergie, urbanisation, industrie, agriculture, biotechnologie, physique, environnement, arts, etc.
Last but not least, nous devons entreprendre de bâtir une nation inclusive, fondée sur des principes d’égalité pour tous en droits et libertés, car seuls des esprits libres sont capables de se développer. Ce sera notre meilleur legs pour les générations futures. Ce faisant, dans 50 ans elles seront fières de nous.
Christian Penda Ekoka
Conseiller Technique Cabinet Civil du Président de la République
Article rédigé en Février 2017