Paul Biya traite ses amis de Kondengui de méchants et non de prisonniers politiques

Biya Seul Camerounais Archives

Thu, 13 Jul 2017 Source: Germinal

Paul Biya a certainement raison de dire qu’il n’existe pas de prisonniers politiques au Cameroun. Il sait de quoi il parle surtout qu’il a su user des artifices pour faire avaler, le plus souvent par des tours de prestidigitation savamment orchestrés et dignes d’un Maître, l’histoire selon laquelle les personnes interpellées dans le cadre de l’ « Opération Épervier » sont coupables de distractions de deniers publics. Il l’a répété mille fois, le plus souvent en se regardant dans la glace.

Le peuple famélique éreinté par trois décennies d’une gouvernance catastrophique et d’une gestion à l’emporte-casse, avait besoin du sang. Il a transformé ses propres créatures en victimes expiatoires. Il a réussi certainement à se convaincre, mais pas à convaincre de nombreux Camerounais avisés qui ont démasqué le jeu de massacre de politique qu’il a orchestré dans le sombre dessein de baliser le chemin à un dauphin qui n’osera pas ouvrir les placards de la République après son départ de la magistrature suprême.

On comprend pourquoi Mathias Eric Owona Nguini soutient dans le présent dossier que l’ « Opération Épervier » «donne […] l’impression d’être une démarche calculée de purge politique. Ainsi, la lutte contre la corruption est-elle toujours menacée d’être dévoyée en pratique dévoratrice et sacrificatrice de judiciarisation manipulatrice et inquisitrice de règlements de compte. Cela ouvre alors la porte au tissage politicien d’intrigues judiciaires qui alimente la perception des dossiers de l’ « Opération Épervier » comme des procès politiques maquillés et grimées en affaires de droit commun ».

Si Marafa Hamidou Yaya, Titus Edzoa, Jean Marie Atangana Mebara, Urbain Olanguena Awono, Polycarpe Abah Abah, Thiérry Atangana, Me Lydienne Yen Eyoum…étaient poursuivis pour des infractions de droit commun, le commun des Camerounais ne comprend pas toujours pourquoi Paul Biya doit ordonner les interpellations, les arrestations, les condamnations de certaines personnalités, tout usant de tous les stratagèmes pour protéger les membres de sa famille nucléaire et ses amis.



En tout état de cause, un système qui commence à dévorer ses propres créatures pour tenter de se régénérer est un système décadent.

Dossier publié dans Germinal n°082 du 07 février 2013.

Des procès politiques maquillés en infractions de droit commun

Paul Biya et ses partisans ont de la peine à convaincre l’opinion publique sur le fait qu’il n’existe pas de prisonniers politiques au Cameroun.

Paul Biya et ses thuriféraires sont visiblement très embêtés par les sorties médiatiques, amplifiées par leurs comités de soutien, de certaines personnalités, dont notamment, Titus Edzoa, Marafa Hamidou Yaya, Jean-Marie Atangana Mebara, Polycarpe Abah Abah, Urbain Olenguena Awono, Michel Thiérry Atangana, Lydienne Yen Eyoum… arrêtées et/ou condamnées à l’issue de procès qui, aux yeux de nombreux observateurs, ne sont que des procès politiques maquillés.

On comprend pourquoi ils mettent tout en œuvre pour convaincre l’opinion publique qu’il n’existe pas de prisonniers politiques dans les goulags tropicaux qualifiés de prisons camerounaises.

Le chef de l’État a saisi l’occasion qui lui a été offerte lors de la visite de travail effectuée en France, du 28 janvier au 5 février 2013, pour déclarer aux journalistes français qu’au Cameroun il n’y a pas de prisonniers politiques. Paul Biya précise : « Je sais qu’il y a des personnes qui commettent des délits et qui pour faire bonne figure, disent qu’ils sont des prisonniers politiques.

Quand vous avez détourné des fonds et que les tribunaux vous condamnent. Que voulez-vous qu’on fasse ? Nous sommes un pays où il n’y a pas de prisonniers politiques, il n’y a pas de torture, les gens sont libres. »

Cette sortie de l’Homme-lion est venue corroborer l’opinion du quotidien gouvernementalCameroon Tribune, qui dans son édition du n°10260 du 15 janvier 2013, qualifiait de « diversion » la sortie médiatique de Marafa Hamidou Yaya sur le site slateafrique.com et largement reprise par des journaux camerounais.



Pour Essama Essomba, dans l’interview qu’il a accordée à ce journal en ligne, Marafa Hamidou Yaya « dénie […] toute indépendance a justice, indépendance pourtant consacrée par la constitution à l’instauration de laquelle il a puissamment contribué. Le justiciable entend ainsi déplacer sur le terrain politique une question encore pendante devant la justice. »

Avant de poursuivre : « L’essentiel de sa stratégie de communication ne porte pas sur l’affaire pendante devant la justice. Elle porte sur la politique et les ambitions du justiciable. D’où le volontaire amalgame entre la justice et la politique […] Cette communication et cette instrumentalisation visent surtout à distraire. Loin de la préoccupation essentielle du justiciable de préparer la cause devant les tribunaux, notamment en appel, il se présente comme la victime expiatoire des maux à lui imputés par le régime en place. »

Victimes expiatoires

Les partisans de Marafa Hamidou Yaya ne partagent pas cette opinion. Selon eux, leurs idoles et beaucoup d’autres personnalités incarcérées « sont des victimes expiatoires ». Les « procès en cours ne sont en réalité que des procès politiques qui ne disent pas leur nom.

Si ces procès n’étaient pas politiques, pourquoi déployer tant d’énergie et de moyens pour convaincre l’opinion publique ? Leur manière de faire est une preuve qu’il y a anguille sous roche et que la plupart des personnalités arrêtées sont victimes de leurs ambitions politiques réelles ou supposées. De plus, la rapidité avec laquelle l’affaire État du Cameroun contre Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaha a été liquidée prouve que les magistrats subissaient des pressions les poussant à condamner les prévenus avant l’entrée en fonction du Tribunal criminel spécial (Tcs).



Ce qui n’a pas été le cas avec Urbain Olanguena où nous avons vu que les magistrats se sont débinés au moment de rendre le verdict. Il était question dans ce dernier cas de le renvoyer devant le Tcs afin d’alourdir les charges qui pèsent contre lui. N’évoquons pas le cas Mebara qui était tout autant flagrant.», enchaîne-t-il. Avant de s’interroger : « Si ces procès ne sont pas politiques, Titus Edzoa et Michel Thiérry Atangana injustement condamnés, ont-ils passé 15 années derrière les barreaux d’une prison normale, avant l’érection d’un camp militaire, le secrétariat d’État à la défense, en prison secondaire ? »

Ceux-ci n’hésitent pas aussi à brandir des documents prouvant que la justice est aux ordres de l’exécutif qui ordonne les poursuites et manipule les ordonnances de renvoi. « C’est le ministre de la Justice qui rédige la plupart des ordonnances de renvoi et les fait assumer par des magistrats accroupis et carriéristes », lance un défenseur des droits de l’homme visiblement courroucé.

Avant de brandir le rapport d’une réunion qui se serait tenue à la chancellerie, réunion au cours de laquelle le juge d’instruction Pascal Magnaguembe aurait été contraint d’apposer sa signature au bas d’une ordonnance de renvoi manipulée sur injonction de l’actuel Garde des Sceaux, Laurent Esso.

Dans ce document on peut : « Les 12, 13 et 14 juin 2012, le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé prend part à des réunions auxquelles il est convié à la chancellerie, aux côtés du secrétaire général du ministère de la Justice, du directeur de l’Action publique et des Grâces, du procureur général près la cour d’appel du Centre et le procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mfoundi, réunions présidées par le Garde des Sceaux.

Au cours de ces assises, il est « instruit » au juge d’instruction Pascal Magnaguemabé de ne pas dans son ordonnance renvoyant Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaha devant le tribunal de grande instance du Mfoundi statuant en matière criminelle en phase de rédaction, rentrer dans les détails des charges qui pèsent sur Fotso Yves Michel et Marafa Hamidou Yaya.



Le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé tique devant cette « instruction » et relève qu’il semblait judicieux de mettre à la disposition de l’accusation l’entier mécanisme et dans ses détails usité par Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya pour détourner les 31 000 000 de dollars US de fonds publics par eux détournés.

La haute hiérarchie maintient ses « instructions ». Le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé rédige une mouture de cette Ordonnance conformément aux instructions reçues et le remet le 22 juin 2012 au ministre d’État, ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Le 25 juin 2012, la Hiérarchie judiciaire par l’entremise du président du tribunal de grande instance du Mfoundi, M. Schlick remet au juge d’instruction Pascal Magnaguemabé pour uniquement y requérir sa signature.

Une mouture d’ordonnance renvoyant Fotso Yves et Marafa Hamidou Yaya devant le tribunal de grande instance du Mfoundi statuant en matière criminelle, mais, dans laquelle ce magistrat ne se reconnaît pas pour 40% de la décision à lui remise. Le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé tique encore, mais appose sa signature tout de même, sur ce document censé émaner de lui. (Hiérarchie oblige) ».

Dérives

C’est dire si le ministre de la Justice, c’est-à-dire le politique, est au cœur des procès en cours. C’est d’ailleurs lui qui autorise l’arrêt des poursuites contre un accusé en cas de restitution du corps de délit, conformément à l’article 18 (1) de la loi n°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel spécial qui dispose :

« En cas de restitution du corps du délit, le Procureur Général près le Tribunal peut, sur autorisation écrite du ministre chargé de la Justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de jugement. »



D’autres acteurs pointent du doigt les dérives de l’ « Opération Épervier ». De l’avis de Charly Gabriel Mbock, « entre le discours moral sur ‘l’urgence d’assainissement et l’immoralité des manœuvres et violences procédurales, la contradiction s’est avérée constante et croissante ; par effet cumulatif, elle a fini par convaincre les plus sceptiques que le Cameroun s’est engagé dans un véritable ésotérisme judiciaire : les rituels sacrificiels y semblent aussi impératifs que récurrents, comme pour donner des gages à quelque divinité extranationale en la gorgeant de sang camerounais[…] L’immolation, rituelle ou non, est une dérive qui n’a pas nécessairement l’adhésion des victimes humaines. » (Mbock, 2011 : 1-2).

Mathias Ecric Owona estime pour sa part que « le déroulement et le déploiement pratiques que des différentes procédures politico-judiciaires ressortissant de l’ « Opération Épervier », donnent de l’intelligibilité à l’hypothèse d’une exploitation politicienne de ces dossiers correspondant à une manœuvre d’élimination d’éventuels prétendants à la Magistrale et Majestueuse Cathèdre présidentielle».

C’est dire si l’on ne saurait évacuer du revers de la main l’hypothèse des procès politiques maquillés en infraction de droit commun.

L'ombre de l'exécutif plane sur les procès

De plus en plus, l’autorité judiciaire est perçue comme étant aux ordres de l’exécutif. Autrement dit, certaines procédures judiciaires engagées contre des personnalités et les arrestations opérées dans le cadre de l’ « Opération Épervier » sont considérées, à raison, par une frange de la population comme étant des procès politiques maquillés. Cette perception s’est accentuée avec le lancement en fanfare et à grand renfort de publicité de cette opération.



Sont venues confortées la perception de certains observateurs, les manœuvres orchestrées pour condamner les présumés innocents et les décisions rendues dans les affaires État du Cameroun contre :

1) Edzoa Titus et Michel Thiérry Atangana qui dure depuis plus 16 ans ;

2) Yves Michel Fotso, Marafa Hamidou Yaya et compagnie ;

3) Atangana Mebara et autres. D’ailleurs, Amadou Ali, alors ministre de la Justice, n’avait pas usé de circonlocution, avant que les magistrats ne rendent leurs décisions dans certaines affaires pendantes devant les cours et tribunaux, pour affirmer que toutes les personnalités arrêtées dans le cadre d’une opération visant, déclare-t-on, l’assainissement de la gestion des affaires publiques, n’ont aucune change de s’en sortir.

En d’autres termes, dès leur interpellation elles sont présumées coupables. La suite lui a donné raison, puisque jusqu’ici, les « gros poissons » emportés dans serres de ce lugubre rapace ont tous été condamnés à très lourdes peines de prison.

Comment pouvait-il en être autrement à partir du moment où c’est l’exécutif, représenté par son leader central Paul Biya qui ordonne les arrestations et tire les ficelles dans l’ombre en orientant le verdict des procès dans le sens de ses intérêts politiques.

En effet, lorsqu’il faut enclencher une procédure qui conduira à l’interpellation de certaines personnalités, certains dossiers ficelés par le ministre délégué chargé du contrôle supérieur de l’État (Consupe) sont transmis au secrétaire général de la présidence de la République. Celui-ci adresse à son tour une note à l’attention de la Très Haute Attention du président de la République généralement en ces termes: “ le ministre délégué à la présidence de la République chargé du Contrôle supérieur de l’Etat propose la traduction des mis en cause devant le Conseil de discipline budgétaire et financière ainsi que les juridictions compétentes.

Pour hautes appréciations du chef de l’État.” Lorsque Paul Biya reçoit cette note, il griffe à la marge un petit “Accord” et retourne le dossier au clerc de service. À son tour, il achemine le dossier au ministre de la Justice qui actionne les services compétents qui déclenchent les interpellations.



La correspondance de Laurent Esso, alors ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République, adressée au ministre de la Justice d’alors, Amadou Ali, dans laquelle l’ordre est donné au parquet du tribunal de grande Instance du Mfoundi, d’ouvrir une information judiciaire contre Maitres Eyoum Yen Lydienne, Baleng Maah Célestin et, les nommés Abah Abah Polycarpe, Engoulou Henri et Ngwem Honoré, avec mandat de détention provisoire, du chef d’accusation de détournement de deniers publics et complicité est illustre cette démarche révélatrice du caractère politique de certaines arrestations. Elle prouve à suffisance qu’au Cameroun la justice est sous la botte de l’exécutif.

Dans cette correspondance, Laurent Esso écrivait: « Faisant suite à votre correspondance de référence, j’ai l’honneur de vous notifier l’Accord du chef de l’État à vos propositions tendant à faire déférer Maîtres Eyoum Yen Lydienne, Baleng Maah Célestin, les nommés Abah Abah Polycarpe, Engoulou Henri et Ngwem au Parquet du Tribunal de Grande Instance du Mfoundi en vue de l’ouverture d’une information judiciaire contre eux, avec mandat de détention provisoire, du chef d’accusation de détournement de deniers publics et complicité. Vous voudrez bien me faire connaître, pour la Très Haute Information du chef de l’État, l’exécution de ces diligences».

Marafa Hamidou Yaya; l'ennemi intime de Paul Biya

Incarcéré depuis le 16 avril 2012, après avoir déconseillé à Paul Biya de se présenter à l’élection présidentielle d’octobre 2011, il demande aujourd’hui son départ.

Si pour Paul Biya, il n’y a pas de prisonniers politiques au Cameroun, il y en a au moins un qui se considère comme un prisonnier politique: Marafa Hamidou Yaya. Depuis son incarcération à la prison centrale de Kondengui le 16 avril 2012 avant d’être brutalement transféré à la prison du Secrétariat d’État à la défense, il a publié de nombreuses lettres mettant directement en cause le chef de l’État et son entourage qu’il accuse d’ailleurs d’avoir manœuvré pour accélérer son arrestation. Aujourd’hui, il ne cache plus son ambition présidentielle.



Malgré sa condamnation à 25 ans de prison en compagnie de son ami, Yves Michel Fotso, Maraf Hamidou Yaya persiste à nier toute implication dans le détournement des 31 millions de dollars destinés à l’acquisition de l’avion présidentiel. Il s’est agi d’un procès politique. A-t-il décidé de l’acquisition d’un avion présidentiel ? Non, c’est Paul Biya.

A-t-il choisi de négocier avec Gia ? Non, ce fut une décision collective, approuvée par l’État major particulier du chef de l’État. A-t-il ordonné le virement de 29 millions de dollars dans les comptes de Gia International sans garantie ? Non, il s’y était opposé. La décision de virer l’argent a été prise par Michel Meva’a m’Eboutou avec l’accord de Paul Biya. L’avion était-il prêt dans les ateliers de Boeing ?

Oui, mais l’État du Cameroun a refusé de le réceptionner pour acquérir un 767. Tous ces éléments permettent aujourd’hui de douter de l’implication réelle de Marafa Hamidou Yaya dans le détournement de la somme de 31 millions de dollars destinés à l’acquisition de l’avion présidentiel, s’il y en a eu un. D’ailleurs, il n’a été condamné que comme « co-auteur intellectuel ». Rien de plus !

Cet homme né en 1952 et qui a atteint les plus hautes sphères de l’État a aujourd’hui toutes les raisons de penser qu’il est un prisonnier politique. Il raconte d’ailleurs dans sa première lettre les discussions qu’il a eues avec l’actuel directeur du cabinet civil, Belinga Eboutou quelques mois avant l’élection présidentielle, sur son éventuelle candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2011, après qu’il ait clairement déconseillé Paul Biya de prendre un nouveau mandat après son tripatouillage de la constitution en mars 2008. Son arrestation le 16 avril 2012 semble d’ailleurs avoir été largement préparée par deux personnes : Paul Biya et Amadou Ali.

Au mois de février 2009, le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé, en charge du dossier relatif à l’acquisition de l’avion présidentiel demande au Délégué général de la sûreté nationale, Emmanuel Edou de lui retirer son passeport. À cette date, il se trouvait à l’Est Cameroun dans le cadre d’une rencontre avec les Centrafricains sur la sécurité de la frontière et devait se rendre en Afrique du Sud pour assister à une conférence des ministres africains de l’Administration territoriale. Il a dû avoir recours à Paul Biya pour se voir restituer son passeport. En février 2010, selon un câble diplomatique publié par le site WikiLeaks, il a fait part de ses inquiétudes à Janet Garve à Yaoundé en ces termes : « Je peux me retrouver en prison ! »

Arrestation

Au gouvernail des manœuvres en vue de son arrestation, un homme : Amadou Ali. À l’époque, il est ministre de la Justice. Les deux hommes ne s’aiment pas. L’un est originaire de l’Extrême – Nord et l’autre du Nord. Ali n’est pas prêt à accepter qu’un ressortissant du Nord puisse à nouveau succéder à Paul Biya. Ahidjo était déjà ressortissant du Nord. D’ailleurs, lui-même aspire. Il utilise dès lors tous les moyens pour barrer la route à son adversaire. Y compris l’appareil judiciaire. Il a longtemps mis à cet effet à contribution son « fis » Pascal Magnaguemabé, qu’il a sorti de Mora où il était affecté pour le tribunal de grande instance du Mfoundi. Yves Michel Fotso n’échappe pas à cette manœuvre. Car le ministre de la Justice sait que les deux sont amis de près d’une vingtaine d’années.



Pour pousser la bataille jusqu’à la mort, Amadou Ali envoie discrètement le 13 octobre 2008 le magistrat Salatou, inspecteur à la chancellerie d’origine Kanuri. Ce dernier doit rencontrer le juge fédéral suisse Edmond Ottinger, chargé de la procédure suisse pour laquelle Yves Michel Fotso est poursuivi, afin de l’influencer et le corrompre pour citer Marafa Hamidou Yaya dans son rapport. Cette démarche ne prospère pas.

Cependant, les luttes et batailles d’Amadou Ali rejoindront également celles d’un homme : Paul Biya, président de la République depuis le 6 novembre 1982. Marafa Hamidou Yaya et lui ont travaillé ensemble pendant 17 ans. L’erreur fatale de l’ancien secrétaire général de la présidence de la République, c’est d’avoir tenté de s’émanciper. Allant jusqu’à s’opposer à un dernier mandat du chef de l’État. Jugeant que c’était « le mandat de trop ». Paul Biya n’aime pas cela et il ne le lui a certainement jamais pardonné. Et Marafa le sait bien.

Il affirme clairement être « porteur d’un projet mettant en avant les exigences de paix et de justice permettant de bâtir une société de confiance ». C’est clair, il veut affronter le chef. Malgré sa condamnation à 25 ans de prison accompagnée de huit années de déchéances de droits civils, il ne compte pas lâcher. D’ailleurs, après avoir été reconnu coupable, il a lancé au président de la collégialité Gilbert Schlick, « un peu déçu, mais pas vaincu ». La lutte continue.

Polycarpe Abah Abah: dans les filets de ses adversaires politiques

L’ex-Minefi qui dit être prison sur la base de la calomnie, du mensonge et de la diffamation accuse vertement Amadou Ali. Il n’a pu déjouer le complot politique ourdi contre lui par ses adversaires.

Polycarpe Abah Abah paye-t-il aujourd’hui la rançon de ses écarts de gestion à l’époque où il était aux affaires ou, comme le pense une opinion de plus en plus répandue, est-il victime des ambitions politiques et pouvoiristes - supposées ou réelles - qu’on lui prête ?

Le débat sur la polémique est tranché sur le vif par l’ex-ministre de l’Économie et des finances en personne et ses avocats. Une thèse que conforte par ailleurs la tournure à la fois rocambolesque et scandaleuse que prennent les procédures judiciaires engagées contre lui.

C’est Polycarpe Abah Abah qui, en premier lieu, monte au créneau le 25 octobre 2011 devant la barre de la cour d’appel du Centre : « Je suis en prison depuis près de quatre ans, révèle-t-il, sur la base de la calomnie, du mensonge [politique] et de la diffamation » Et de poursuivre : « des mensonges ont été dits à propos des milliards que j’aurais planqués à l’étranger. Qu’on me sorte des comptes bancaires qui attestent de l’existence de ces milliards.

Tout cela, martèle-t-il, n’est que mensonge et je suis sûr que leurs auteurs sont à l’écoute. Je n’ai pas détourné, je ne dispose d’aucun compte à milliards. Je mets au défi quiconque pourrait apporter la moindre preuve de l’existence de ces comptes à milliards. Ça été une campagne de calomnie destinée à jeter l’opprobre et le discrédit sur moi. Les auteurs de ces mensonges sont connus ». Pour accréditer la thèse d’un complot politique ourdi contre lui par ses adversaires, Abah Abah fait encore des renversantes révélations : « je suis un homme dont la vie est brisée, la famille détruite par des individus qui savent pourquoi j’ai été arrêté.

J’ai été arrêté sans qu’il y ait eu au préalable une enquête de la police ou de la gendarmerie, sans un rapport de la Conac, sans un rapport de l’Anif et sans que le Fmi ait à me reprocher quoi que ce soit. Personne ne m’a accusé de détournement de fonds. On vous pompe des mensonges prétextant que j’ai des comptes à milliards à l’étranger. Mais, je sais pouvoir compter sur votre expérience de juge et votre sagesse », qu’on ne vous dise pas que c’est le président Biya qui a demandé d’engager les poursuites contre moi.



En novembre 2011, l’ex-Minefi pointe un doigt accusateur sur l’ex-Garde des sceaux comme auteur de ces mensonges. À travers une correspondance adressée à Amadou Ali, Polycarpe Abah Abah dénonce le complot dont il est victime et envisage de donner une suite judiciaire aux dénonciations calomnieuses et autres diffamations dont il se dit victime de la part de l’ex-Minjustice. Il estime qu’à des fins de manipulation et pour des raisons autrefois inavouées et qui sont désormais connues, Amadou Ali n’a pas dit la vérité au chef de l’État à son sujet.

1 200 000 francs suisses.

«Compte tenu de la gravité des propos qui vous sont attribués et qui sont probablement à l’origine de mon arrestation sans enquête préalable et de mon incarcération depuis 44 mois, conclura-t-il dans ladite correspondance, je me trouve dans la pénible obligation de donner une suite judiciaire à toutes vos dénonciations calomnieuses et autres diffamations, dans un avenir proche, devant les juridictions nationales ou ailleurs ».

Abah Abah accuse en effet Amadou Ali d’avoir affirmé, selon Madame Garvey, que M. Dooh Colins a aidé le gouvernement de la République du Cameroun à identifier et localiser un compte bancaire appartenant à l’ex-Minefi dans les livres de la Swiss Ubs Bank au Luxembourg ; compte affichant un solde créditeur à son profit de 1 200 000 francs suisses.

Des affirmations contre lesquelles l’ex-Minefi avait déclaré s’inscrire en faux et qui visaient, selon lui, à jeter de l’opprobre sur sa personne et à monter le chef de l’État et le peuple camerounais contre lui.

Se prononçant récemment sur le cas Abah Abah et la manière dont l’ « Opération épervier » est menée, Me Nouga est acerbe : « Nous pensons que l’« Opération épervier » telle qu’elle est menée est mal menée. Elle n’est qu’un prétexte à toutes sortes d’accusations et contre les membres du gouvernement et contre le gouvernement lui-même et qui pourrait laisser croire qu’ils utilisent cette opération pour soutenir le président de la République dont les résultats sociaux sont manifestement contestables.



Donc ça peut également être une partie de l’entourage du président de la République qui, voyant des gens brillants émerger comme Abah Abah et ayant peur d’avoir à discuter éventuellement la succession avec ces gens, cet entourage se met à les attaquer et de toutes les manières pour qu’ils soient mis hors course.

C’est pour ça que-je ne suis pas le seul à le dire ; on considère cette Opération comme une Opération politique. Il y a beaucoup de hauts responsables sur lesquels pèsent d’importantes accusations et qui ne font l’objet d’aucune poursuite, y compris dans les dossiers qui sont pendants à l’heure actuelle. Donc tout cela laisse croire que cette « Opération épervier » n’est pas crédible. »

Par ailleurs, sa condamnation en l’absence de ses avocats le 19 juin 2012, à 06 ans de prison pour délit d’évasion aggravée, est perçue comme une autre preuve de la cabale contre lui. Selon ses avocats, son crime est de s’être retrouvé à son domicile à Odza le 11 mai 2012 accompagné de son chef d’escorte, après un rendez-vous manqué avec son dentiste. Il devait récupérer de la nourriture, sans aucune intention de s’évader. Il sera le même jour enlevé par des éléments cagoulés de la Dgre et séquestré pendant 06 heures. Aussitôt condamné, il sera déporté parce que jugé dangereux et réduit à l’isolement à la prison du Sed, son nouveau lieu de détention depuis lors.

Maheu

Les mille miracles judiciaires de l'affaire Titus Edzoa.

Victime de ses ambitions politiques, Edzoa Titus sera maintenu en prison tant que Paul Biya vivra. Ainsi en ont décidé les comploteurs de minuit.

Le 6 juillet 2012, le Tribunal de grande instance de Yaoundé doit livrer le verdict de l’un des plus anciens dossiers ouverts en son sein.

Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana Abega, inculpés de détournement et de tentative de détournement des deniers publics depuis plus de 15 ans et incarcérés depuis lors dans une cellule blindée du Secrétariat d’état à la défense, s’attendent à être fixés sur leur sort. Ils sont jugés en compagnie d’Isaac Njiemoun et M. Mapouna, rattrapés par l’accusation une dizaine d’années plus tard, qui comparaissent libres.

Le collège des juges qui a connu de l’affaire depuis le 27 octobre 2009 va arriver à l’audience, imputé de l’un de ses magistrats. La veille au soir, le président de la Cour d’appel du Centre a notifié à Mme Itong son affectation au ministère de la Justice, pourtant décidée depuis avril. Elle ne peut plus agir comme juge. Le verdict rédigé et prêt à être lu, ne peut être prononcé, puisque la composition du Tribunal est jugée«irrégulière». Les juges ont été muselés.

On apprendra des sources internes au milieu judiciaire de Yaoundé que les trois juges de départ avaient montré des réticences à faire savoir leur décision avant son prononcé, en dépit de pressions intenses venues notamment de la Cour d’appel de Yaoundé.

L’affectation subite de Mme Itong va être mise à profit pour extirper un autre magistrat du trio des juges : le président de la Cour d’appel semble s’être enfin rendu compte que M. Batoum ne peut plus cumuler ses fonctions de juge et de juge d’instruction. Deux nouvelles dames vont être désignées pour compléter la collégialité ainsi cassée.

Et, le 04 octobre 2012 après quatre mois de reports, une condamnation à 20 ans de prison ferme et au paiement des dommages et intérêts est prononcée à l’égard de Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana. Deux des trois magistrats qui assument ce verdict n’ont rien connu des débats et des plaidoiries : la décision est prise « à la majorité », ce qui signifie que ce sont deux magistrats, sur les trois que comptait le collège, qui ont décidé du sort des deux prisonniers du Sed.

« Nous avons eu aujourd’hui la confirmation juridique et judiciaire que ce procès est le fruit d’une grande manipulation du système judiciaire camerounais, et c’est extrêmement grave », déclare ce jour-là Charles Tchoungang, l’ancien Bâtonnier de l’ordre des avocats constitué pour les intérêts de Michel Thierry Atangana.

« Nous avons demandé qu’on nous indique la position du juge dissident, poursuit-il, pour que nous puissions démontrer au monde entier que, dans cette affaire, on a retiré deux juges qui étaient contre, pour condamner des innocents ». L’affaire fait grand bruit mais, pour le pouvoir de Yaoundé, le but est atteint : Titus Edzoa ne sera pas libéré tant que M. Biya est président de la République. Ses compagnons d’infortune vont devoir ronger leur frein en prison avec lui.

Ce verdict n’est en fait qu’un énième épisode des manipulations judiciaro-policières connues par l’ancien Secrétaire général de la présidence de la République, ancien très proche collaborateur de Paul Biya depuis sa démission du gouvernement en avril 1997. Ministre de la Santé publique au moment où il officialise son divorce avec le Renouveau, M. Edzoa va connaître une descente aux enfers des plus brutales.

L’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle qui se profile à l’horizon en fait l’un des plus résolus adversaires du système. Pour empêcher sa communion avec les citoyens organisée autour de lettres ouvertes et d’interviews publiées par la presse, il est placé en résidence surveillée dans sa villa du quartier de Bastos par le préfet du Mfoundi, actuel ministre de la Défense.

Rouleau compresseur

Des hommes du régime vont réfléchir à la «sanction» à lui administrer. Edouard Akame Mfoumou, très influent ministre d’Etat en charge de l’Economie et des Finances, et Amadou Ali, secrétaire général de la présidence de la République, mettent alors au point la technique dite du « rouleau compresseur » pour venir à bout de leur ancien homologue.

Ils recrutent des alliés et organisent une recherche minutieuse dans les actes supposés de mauvaise gestion de l’ancien ministre et décident de lui réserver des procès à cadences afin de le garder le plus longtemps possible en prison. Michel Thierry Atangana Abéga, bref fiancé de la fille de M. Akame Mfoumou et coupable d’être de l’entourage de Titus Edzoa va lui aussi subir les foudres des comploteurs. Il est le premier à être interpellé et gardé à la Direction de la police judiciaire.



En juillet 1997, une information judiciaire est ouverte contre Titus Edzoa au sujet de la gestion du Comité de pilotage des projets routiers mis sur pied par arrêté du président de la République et dont Michel Thierry Atangana est le président. L’ancien ministre est incarcéré à la prison de Kondengui. Mais les journées du Professeur de chirurgie à l’intérieur du pénitencier, faites de soins administrés aux malades, ne sont pas du goût de M. Amadou Ali.

En sa double qualité de secrétaire général de la présidence de la République et secrétaire d’Etat à la défense (Sed) chargé de la gendarmerie, il décide du transfert de M. Edzoa et de son compagnon d’infortune dans une cellule presque close du Sed où les deux accusés ne connaissent pas la différence entre le jour et la nuit. Là-bas, une bonne douzaine d’autres chefs d’inculpation leurs seront notifiés.

Si l’une de ces accusations est le prétexte de leur condamnation à 15 ans de prison ferme et à la confiscation de leur bien, en un procès déroulé en une demie nuit, le jour même où la candidature de M. Edzoa à la Présidentielle d’octobre 1997 est déclarée irrecevable par la Cour suprême, les autres chefs d’inculpation restent veilleuse selon la technique déjà mise au point du rouleau compresseur.

Cette condamnation sera confirmée par la Cour d’appel du Centre le 27 avril 1999, assortie de l’obligation de payer solidairement des dommages et intérêts à l’Etat de 350 millions Fcfa. Et le recouvrement forcé de cette somme va encore donner lieu à un petit miracle judiciaire.

Alors qu’après toutes les recherches d’usage, un pouvoir spécial a été délivré à Me Ngwé Gabriel, huissier de justice à Yaoundé, pour procéder à la saisie de l’immeuble «objet du titre foncier n°7890/Mfoundi» appartenant à Titus Edzoa, les avocats de l’Etat ne vont fixer leurs yeux que sur la villa de l’ancien ministre bâtie au quartier Bastos, qui fait l’objet d’une double inscription hypothécaire et ne peut faire l’objet d’une saisie immobilière.



Mais la Communauté urbaine de Yaoundé va acheter l’immeuble vendu, en croyant qu’il s’agit de la villa. Mais rapidement, elle obtient que la décision constatant la vente aux enchères soit rectifiée par substitution du numéro du titre foncier dont la vente a été autorisée par le juge par le numéro du titre foncier de la villa dont la saisie est en l’état impossible. Cette décision a fait l’objet de recours judiciaire.

Parallèlement, les autres inculpations restées en veilleuse ont été ressorties. Mais le juge d’instruction qui a hérité du dossier va créer l’événement. Au terme de son enquête, Pascal Magnaguémabé décide d’élargir totalement Michel Thiéry Atangana, Isaac Njiemoun et Mapouna des accusations mises à leurs charges respectives.

Seul Titus Edzoa était renvoyé devant les juges pour répondre du crime de «détournement » des voitures et du délit de «concussion». Mais la chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel du Centre, saisie à nouveau par le procureur de la République, dans un arrêt rendu le 3 février 2009, va réhabiliter tous les chefs d’inculpations initiaux.

C’est l’examen de ces accusations par le Tribunal de grande instance de Yaoundé qui a donné lieu à la condamnation « à la majorité » de Titus Edzoa, Michel Thierry Atangana et Isaac Njiemoun.

Auteur: Germinal