Selon les premiers résultats de la quatrième enquête de l’Institut national de la statistique auprès des ménages, le Cameroun n’a pas pu atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté fixés par les Nations unies dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement. Il en est de même de ceux, encore plus modestes, contenus dans son Document de stratégie pour la croissance et l’emploi.
On pourrait commencer à déchanter au regard des premiers résultats de la quatrième Enquête camerounaise auprès des ménages (Ecam 4) en cours. Ce n’est assurément pas Paul Biya, bientôt 84 ans, dont pratiquement 34 passées au pouvoir, qui apportera la prospérité au Cameroun. Selon cette enquête réalisée par l’Institut national de la statistique (INS), le taux de pauvreté est passé de 39,9 % en 2007 (date de la précédente enquête) à 37,5% en 2014/2015. «Cette baisse modérée de 2,4 points de pourcentage est en deçà du rythme préconisé dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE) et ne permet pas d’atteindre l’Objectif de réduire de moitié la pauvreté à l’horizon 2015 suivant l’agenda des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)», concluent les experts de l’INS.
Pour atteindre les OMD, le pays aurait dû en effet porter ce taux à 26,5% en 2015, puisqu’il était 53% en 2001, pratiquement au moment de la formulation des OMD. Et pour être en conformité avec le DSCE, le taux aurait dû être de 35,2% en 2015. Augmentation du nombre de pauvres Le rythme de recul de la pauvreté (autour de 0.34 par an) étant extrêmement inférieur à celui d’accroissement de la population (en moyenne de 2,6% par an), le nombre de pauvres a ainsi augmenté depuis 2001. De 6,2 millions en 2001, il a bondi en 2014 à 8,1 millions de camerounais qui vivent en deçà du seuil de pauvreté monétaire (fixé à 339715 FCFA par an, soit 931 FCFA par jour). Ils étaient 7,1 millions en 2007. A cette époque-là, le seuil de pauvreté monétaire était alors de 269 443 FCFA par an; ce qui indique un renchérissement constant de la vie. D’ailleurs, la situation des pauvres s’est détériorée entre 2007 et 2014. Il faudrait allouer en moyenne à chaque adulte pauvre la somme annuelle de 130 200 FCFA pour le sortir de la pauvreté. En 2007, ce montant était de 83 000 FCFA.
Pour réduire le nombre de pauvres au Cameroun en 2015, les statisticiens de l’INS estiment qu’il aurait fallu réaliser un taux de pauvreté inférieur à 32%. Cet objectif est visé par le gouvernement à l’horizon 2020. A cette date, le pays s’est engagé à porter le taux de pauvreté monétaire à 28,7%. Pour atteindre cet objectif, il était question selon le DSCE que le Cameroun affiche «une croissance économique soutenue de 5,5% en moyenne entre 2010 et 2020». Or, entre 2010 et 2014, ce taux de croissance moyen s’est situé autour de 4,7% par an. Pour rattraper le retard, «le taux réel de croissance du PIB devrait se situer nettement au-dessus de 7% en moyenne annuelle» entre 2015 et 2020 prescrivent les économistes de cette institution publique. Pourtant, le gouvernement lui-même a projeté jusqu’à 2017 un taux de croissance annuelle de seulement 6%. Le Fonds monétaire international (FMI) craint même un recul de la croissance qui se serait établie en 2015 à près de 6%. «Les problèmes de compétitivité structurelle, avec notamment un environnement des affaires peu propice à l’investissement privé et l’absence de progrès en matière d’intégration régionale risque de continuer d’entraver le développement du secteur privé, entrainant un taux de croissance en moyen terme d’environ 5%» s’est inquiété Christine La Garde, la directrice général du FMI en visite au Cameroun la semaine dernière.
Les inégalités se creusent
On est donc en droit d’être pessimiste quant à la réduction du nombre de pauvre au Cameroun, même à l’horizon 2020. Surtout qu’un autre phénomène qui annihile la contribution de la croissance sur la réduction de la pauvreté a fortement pris de l’ampleur. Il s’agit des inégalités entre les pauvres et les non pauvres. Ces inégalités se sont accentuées de 13% entre 2007 et 2014. A titre d’illustration, la consommation des 20% des ménages les plus riches représente 10,1 fois celle des 20% des ménages les plus pauvres et qui sont de loin les plus nombreux.
A en croire Ecam 4, avec le taux de croissance moyen de 4,7 enregistré sur la période 2007-2014, le pays aurait pu faire mieux qu’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement si au même moment l’écart entre les pauvres et les moins riches était resté stable: «si les inégalités, mesurées par les écarts de consommation entre pauvres et non pauvres étaient restées inchangées, le niveau de croissance économique aurait pu permettre de ramener le taux de la pauvreté de 39,9% en 2007 à 21,8% en 2014, soit un recul de 18 points». Les inégalités ont donc impacté négativement le taux de pauvreté de 15,7 points. En d’autres termes, si la croissance était restée nulle entre 2007 et 2014, la pauvreté aurait largement augmenté pour se situer à 55,6% en 2014. Un niveau de pauvreté supérieur à celui qu’a connu le pays en 1996.
Emplois décents
Il apparait donc des résultats préliminaires d’Ecam 4 que le premier défi du gouvernement dans sa lutte contre la pauvreté devrait être une meilleure distribution des richesses. Cela devrait se manifester par une augmentation des revenus des ménages, dont 90% sont situés en zone rurale. Et pour tous les experts, cela passe par la création d’emploi de qualité, ce que peine à produire l’économie camerounaise.
«L’évolution du taux de sous-emploi global chez les personnes âgées de 10 ans ou plus est passé de 75,8% en 2005 à 71,1% en 2007 pour remonter à 79,0% en 2014. Cette tendance s’écarte de la voie tracée dans le DSCE, dont l’objectif visé est de ramener le taux de sous-emploi global des personnes âgées de 10 ans ou plus de75% à moins de 50% à l’horizon 2020» révèle la 4e enquête sur les ménages.