Plan d’urgence: Paul Biya tente de déjouer le plan de l’ONU

Biyasilencieux Paul Biya tente d'éviter une intervention de l'ONU selon Bernard Ouandji

Wed, 27 Jun 2018 Source: camer.be

Ancien consultant dans le système des Nations unies, Bernard Ouandji estime que le plan d’assistance pour le Nord-Ouest et le Sud-Ouest n’est pas conforme.

Comment réagissez-vous au plan d’urgence humanitaire en faveur des populations sinistrées de la zone de conflit des sécessionnistes anglophones ?

Cette générosité subite est suspecte. En vérité, le gouvernement tente de prévenir une intervention éventuelle de l’Onu. Sur le fond l’on peut soupçonner le gouvernement d’anticiper sur l’initiative humanitaire que le conseil de sécurité de l’Onu envisage par rapport à la situation qui prévaut dans les zones anglophones. En anglais on dit «to preempt». C’est une manière de dire à l’Onu : «ne venez plus avec vos Casques bleus, nous sommes déjà en train de faire ce que vous comptez faire».

Et sur la forme, avez-vous une réserve ?

La forme de ce document est loin de se conformer aux règles de l’art en matière de formulation d’un plan d’urgence humanitaire. Personnellement j’ai participé à cet exercice de plan d’urgence durant mon service à l’Onu dans des pays en guerre ; et participé à l’appel de fonds à Genève ; ensuite formulé des plans de récupération et de reconstruction. Pour vous dire que les bailleurs de fonds suivent une méthodologie qu’on ne voit pas dans le Plan d’urgence humanitaire publié par le gouvernement Rdpc.

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D’abord, la première moitié du document n’est rien d’autre que le réquisitoire du Tribunal militaire contre les terroristes, avec sur onze pages une longue litanie de crimes et d’écoles brûlées par les mis en cause ; au passage la brutalité reprochée aux forces gouvernementales est zappée. Cette première partie ne sert à rien pour mobiliser les ressources ; une introduction de deux pages aurait suffi, avec pour objectif de localiser les zones de sinistres. C’est tout, pas pour incriminer une partie et dédouaner l’autre.

De quelles autres lacunes pourrait souffrir ce document ?

Le document souffre de nombreuses lacunes ; il présente la liste des localités du Nigéria qui accueille les réfugiés mais ne dit pas comment les autorités de ce pays voisin seront associées à la mise en oeuvre du plan. Autre lacune, le needs assessment est bâclé ; comprenez l’évaluation des besoins, qui tient sur deux pages, sans indicateurs sur l’état des enfants, des femmes et autres groupes vulnérables. On ne voit pas sur quelle base les rations alimentaires sont calculées, ni les médicaments nécessaires, etc. Tous les chiffres ne sont que des forfaits plus ou moins ajustés.

Voulez-vous dire que l’enveloppe de 13 milliards Fcfa allouée au plan est mal évaluée ?

Oui. En outre, cette enveloppe contient un volet de sommes importantes dédiées à la reconstruction des maisons et écoles brûlées. La reconstruction envisagée est une noble intention mais prématurée ; car les équipes de reconstruction ne peuvent pas travailler pendant que les attaques armées persistent, la preuve une équipe de Tunisiens a été attaquée sur le chantier de construction d’une route vers Mundemba dans le Sud-Ouest. You do not reconstruct until you dig out the root cause of the conflict.

Ce plan d’urgence humanitaire du gouvernement a été lancé en présence de bailleurs de fonds appelés à y contribuer dont des ambassadeurs. Qu’est-ce qui peut être attendu de leur part ?

Selon mon expérience dans la formulation de plans sous un contexte de conflit armé, la guerre c’est une phase à part tandis que la reconstruction correspond à une autre phase qu’on appelle post-conflict. Or, le conflit anglophone s’intensifie, avec escalade même, en l’absence d’une volonté d’ouvrir le dialogue.

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Avec la confusion de genres créée par ce plan, je doute fort que les bailleurs de fonds sollicités accèdent au desirata du gouvernement, d’autant plus que le document ne précise pas les arrangements de gestion ; a contrario, les donateurs aiment bien mettre de l’argent là où ils peuvent suivre et contrôler les utilisations.

Auteur: camer.be