Pourquoi Paul Biya refuse le fédéralisme

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Thu, 12 Jan 2017 Source: Jean-Marc Soboth

Jean-Marc Soboth, journaliste: Le 20 mai et l’État unitaire sont les bébés de M. Paul Biya, à lui tout seul !

Toujours aussi surprenant dans son approche inédite, Jean-Marc Soboth, journaliste senior, plusieurs fois primé, que nous considérons comme le meilleur francophone sur la question anglophone au Cameroun, analyse, à la demande de nos lecteurs, le dernier message du chef de l’État camerounais Paul Biya en rapport aux revendications et fait des révélations inattendues.

Propos recueillis par Cameroon Voice

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Cameroon Voice: Après le message de fin d’année 2016 du chef de l’État camerounais Paul Biya, peut-on enfin dire ‘Et les chiens se taisaient’ comme Aimé Césaire? On a noté une nette chute de la tension sociale au pays, notamment dans les régions anglophones? M. Biya y rappelle que le Cameroun est « un et indivisible et le demeurera ». Mais il dit être prêt à aller le plus loin possible dans les négociations en reconnaissant que ce qui a été fait est perfectible…

Jean-Marc Soboth: Je n’ai pas constaté de baisse de tension notable. Les réactions sont divergentes entre fédéralistes et souverainistes originels. J’ai néanmoins relevé une écoute attentive de l’élite anglophone. Certains, à l’instar de l’honorable Paul Ayah Abine, ont même demandé que l’on accorde une chance ultime à M. Paul Biya dans sa volonté déclarée de dialoguer même si il reconnaît qu’il n’a jamais tenu parole en trois décennies. Malgré le message du président Biya, les Anglophones ont tenu à observer la journée de manifestation du 02 janvier 2017. En définitive, j’ai remarqué des compatriotes anglophones qui, une fois de plus, ont fait preuve de respect, d’amour et de tolérance à l’égard des Francophones. Un amour qui n’enlèvera rien à leur détermination.

Contesteriez-vous le postulat d’un « Cameroun un et indivisible » qui doive le demeurer? M. Paul Biya rappelle que des nationalistes ont versé le sang pour l’unité du pays…

Personne n’a jamais contesté que le Cameroun doive rester un et indivisible. Mais il ne suffit pas de répéter ce refrain. Il faut s’impliquer. Et il faut savoir dans quel contexte juridique cela s’est fait. L’accord de Yaoundé d’avant-plébiscite datant d’octobre 1960, signé entre Ahmadou Ahidjo, Charles Assalé et John Ngu Foncha est très clair sur la question. Les frères et sœurs issus de l’administration britannique ne sont pas venus se fondre dans l’ancienne colonie française avec sa mentalité. Il s’agissait de créer un État fédéral ayant pour socle deux États fédérés distincts et qui, vous serez surpris, devait s’appeler ‘État fédéral du Kamerun’. Ils voulaient rester fidèles à la famille ‘allemande’ telle que prônée par Ruben Um Nyobè. Non pas pour s’accrocher à un quelconque legs colonialiste germanique, mais simplement en rappel au fait qu’on avait été ensemble dans le protectorat de Berlin. Et d’ailleurs, je le rappelle, le parti politique de John Ngu Foncha, qui a parcouru toute cette route vers la Réunification s’appelait justement Kamerun National Democratic Party (KNDP).

Je rappelle que les politiciens anglophones avaient fait leurs classes au sein du National Council of Nigeria and Cameroons (NCNC) du Panafricaniste et père de la Nation nigériane Nnamdi Azikiwe. Ils savaient ce qu’ils voulaient. Dans tous les contextes fédéralistes, chaque État fédéré cultive son authenticité. C’est ce qu’ils voulaient. On refuse de le leur concéder aujourd’hui. Et on voit bien que le fait d’avoir fait exploser l’association fédérale a plutôt conduit à détruire leur patrimoine historique.

En quoi pensez-vous que l’état actuel de la constitution de la République du Cameroun et, surtout, la perspective des négociations élargies envisagées par le président Paul Biya ne puissent pas régler les problèmes posés? Tout le monde semble s’accorder sur le fait que le président Biya est prêt à tout donner…

Le Président Paul Biya ne va rien concéder. Je m’en vais vous expliquer pourquoi à partir de mon background d’assez bon étudiant en droit constitutionnel, qui me permet de cerner la posture présidentielle pas comme un journaliste ordinaire. Le chef de l’État dit cette phrase importante in fine: ‘Nous devons rester ouverts aux idées mélioratives, à l’exclusion toutefois, de celles qui viendraient toucher à la forme de notre État.’ À ce moment précis, il répond aux ‘initiés’ - je les appelle ainsi. Il s’exprime en jargon constitutionnaliste. Et il dit clairement qu’il ne sera nullement question de toucher à l’État unitaire centralisé. La forme de l’État est un chapitre ou un sous-chapitre dans le cours de droit constitutionnel. On y apprend entre autres l’État fédéral, l’État confédéral, l’État unitaire, la décentralisation… Aucune de ces formules n’est ontologiquement liée à l’unité et à l’intégrité du territoire. L’unité n’est pas en danger en fonction de la forme de l’État comme M. Paul Biya essaie de faire croire aux ignorants.

Je trouve très malhonnête que l’on dise qu’on tient à un pays uni, un et indivisible et qu’en même temps on mélange cette unité à la camisole de force de l’État unitaire. C’est une escroquerie intellectuelle exploitant l’analphabétisme et l’inculture des autres. Je ne me souviens d’aucun pays qui, sous quelque prétexte que ce soit, est passé d’État fédéral à État unitaire à notre époque. Tout mettre entre les mains d’une personne, le président de la République, est tout sauf un moyen d’empêcher le souverainisme. Ce qu’il y a à faire c’est : cultiver l’envie de vivre ensemble, l’esprit de la nation. Les États-Unis et l’Allemagne sont des États fédéraux. La Suisse est une confédération... La France s’est largement décentralisée avec ses conseils généraux. Le Cameroun est resté une chefferie.

Barack Obama qui a été professeur de droit constitutionnel à l’Université de Chicago n’a jamais suggéré de révision constitutionnelle pour faire des États-Unis un État unitaire comme au Cameroun sous prétexte de protéger l’unité de la fédération. Il ne faut pas exagérer la manipulation!

Vous insistez sur le fait que la loi référendaire de mai 1072 était un tour de passe-passe d’une clique de bureaucrates franco-africains. Vous constatez bien que lors de votre dernière interview sur la question, vous vous êtes fait insulter par beaucoup...

Je me fiche qu’on m’insulte ou pas. Mais je persiste et signe : le 20 mai 1972, avec la fête nationale subséquente, c’était une escroquerie! Qu’on le veuille ou pas. Une fête nationale procède toujours d’un précédent patriotique. Le 14 juillet en France, c’est la prise de la Bastille, la naissance de la République. La fête nationale américaine, le 04 juillet, c’est l’Independence Day, déclaration d’indépendance. Dans la plupart des pays africains, pareil : jour d’indépendance égal fête nationale. Au Cameroun, à quoi correspond le 20 mai? À rien. On a pourtant les dates du : 1er janvier pour l’indépendance de la partie francophone, 1er octobre pour la réunification doublée de l’indépendance de la partie britannique, puis une date de deuil national pour nos innombrables frères et sœurs du Northern Cameroons poussés au Nigéria par fraudes - dont beaucoup, vous vous en doutez, auraient conservé jusqu’à ce jour leur carte d’identité de Kamerounais…

Paul Biya et ses amis ont tout effacé. On fête le 20 mai, résultant d’une entourloupe de quelques bureaucrates entre Yaoundé et Paris. Vous savez quoi? À l’époque, ils ne savaient même pas comment qualifier leur 20 mai. Ils étaient embarrassés. On fêtait la réunification tous les 1er octobre. Du coup, ils imaginèrent un subterfuge. On mentionnait sur les calendriers un minuscule ‘Unification’ pour la date du 20 mai, le temps de faire oublier le 1er octobre. Quelle en est la pédagogie pour la postérité? Aucune. Il ne suffit pas de réciter le refrain du « sang versé » de compatriotes qu’il a avoué « par erreur » avoir éradiqué comme Boko Haram...

Pourquoi s’être donné toute cette peine en mai 1972?

Il a été dit que le projet de l’État unitaire a été initié en France. Cette France s’opposait initialement à la réunification parce que les nationalistes pourchassés par l’armée française trouvaient refuge de l’autre côté du Moungo où personne n’aimait voir les « barbares » français. C’était un havre de sécurité pour les patriotes à une époque où la France n’arrivait pas à accorder les violons avec les Britanniques pour les y chasser. Mais la France a, entre-temps, découvert le pétrole. Elle entendait l’exploiter, comme elle le faisait déjà ailleurs dans le Golfe de Guinée, sans rendre de compte aux ‘indigènes’. Elle savait qu’avec des leaders anglophones éveillés politiquement, ce serait compliqué. Il fallait donc leur mettre des menottes. C’est ce qui aurait motivé la création de l’État unitaire et la falsification de la réunification. Paul Biya n’en a été qu’un des techniciens ‘français’.

Il y a une toute petite contradiction dans ce que vous dites. Lors du référendum du 20 mai 1972, les Anglophones ont tous voté. La révision constitutionnelle s’est donc faite au suffrage universel. Il n’y a rien de bureaucratique là-dedans…

Voici le rôle qu’y ont joué les bureaucrates : ils ont imaginé comment devait se faire le scrutin et comment on allait rouler tout le monde dans la farine.

Pour avoir été mis en garde à répétition par des intellectuels comme Bernard N. Fonlon, les bureaucrates pro-français savaient que les Anglophones s’y opposeraient à coup sûr parce que le projet de loi référendaire violait les accords pré-plébiscite et l’article 47 de la constitution de 1961. Mais il fallait à tout prix exploser la forme fédérale de l’État pour en faire une chefferie bilingue contrôlée par Paris. Ils ont donc choisi de faire voter la masse des Francophones contre la minorité anglophone en mai 1972. De ce passage en force, les Francophones ne pigeaient que dalle. Tout cela s’est fait en violation des garde-fous de la conférence constitutionnelle de Foumban interdisant à la majorité francophone de faire de l’État fédéral ce qu’en voulait la France et ses technocrates bantous.

Y avait-il une autre manière de procéder à une consultation populaire de ce type quel qu’en fût l’objectif?

Le Cameroun n’est pas le seul à avoir un socle fédéraliste dans le monde. Aussi bien chez lez Écossais, les Irlandais, que chez les Catalans et les Québécois, seuls les États fédérés votent ou bloquent individuellement les orientations constitutionnelles majeures. En 1961, les compatriotes du Southern Cameroons ont voté sans les Francophones lors du plébiscite onusien. On l’a vu récemment en Écosse. On n’a jamais dit à tous les Britanniques de voter pour que l’Écosse ne quitte pas le Royaume Uni. Les Québécois ont voté deux fois, seuls, en 1980 et 1995, pour choisir de rester dans la fédération canadienne ou de la quitter. Les souverainistes ont perdu à chaque fois. Il n’a jamais été question d’associer tous les Canadiens au vote sous prétexte qu’on veut rester uns et indivisibles. Il y a même pire. Le Québec n’a jamais ratifié la constitution actuelle du Canada. Québec n’est pas d’accord avec certaines dispositions. Point. On n’est jamais allé leur imposer la masse populaire canadienne pour ça. Ils sont seuls à devoir décider de tout ce qui les concerne sans se sentir les otages des autres compatriotes. Pourtant le Québec est une vraie conquête militaire britannique. C’était la Nouvelle France il y a quelques siècles...

Les populations du Southern Cameroons devaient être seules, en 1972, à décider, à refuser de confier leur destin à une administration pro-française centralisée. Je doute fort qu’ils auraient accepté de se faire lier les mains ainsi. Les bureaucrates ont anticipé leur refus. Les vrais artisans de la réunification sont devenus, aujourd’hui, des prisonniers d’un État unitaire indésirable qui, lui, s’est royalement approprié le copyright de la réunification par la manipulation langagière. Telle est l’origine de la grogne qui couve dans les régions anglophones depuis le temps des Foncha, Albert Mukong. Elle se poursuit aujourd’hui avec des gars aussi brillants que George Achu Mofor avec lequel j’ai eu une longue conversation récemment, qui n’est pas moins que le seul gouverneur de province qui ait jamais démissionné sous Biya - suite aux injonctions du vice-premier ministre Gibert Andzé Tsoungui aux gouverneurs, leur exigeant des votes ‘gonflés’ au profit du candidat Paul Biya à la présidentielle multipartite d’octobre 1992 au Cameroun, au risque de faire face à des « conséquences ».

Qu’est-ce qui à votre avis explique la réticence du président Paul Biya quant à l’idée de remettre sur la table le débat constitutionnel de la forme de l’État au Cameroun et d’envisager, avec opiniâtreté, le retour éventuel à une constitution fédéral?

Très bonne question. Je résume ma réponse en ceci : l’État unitaire au Cameroun et la date du 20 mai, aussi loufoques soient-ils, sont en fait des bébés du président Paul Biya, à lui tout seul. Il en est fier mais refuse de l’avouer publiquement, préférant jouer la carte de ‘l’homme neuf’ après Ahidjo, du patriote défendant une unité qu’on aurait tous héritée des aînés.

Toucher l’État unitaire c’est toucher la prunelle des yeux de Paul Biya. Je ne dispense pas ici un cours de droit administratif sur le rôle central du secrétaire général de la présidence. Je ne suis pas un spécialiste. Mais le Pr. Joseph Owona disait du SGPR qu’il est « le président de la République technique ». C’est, sans doute, le plus grand stratège du présidentialisme renforcé. A fortiori dans un système où le président avait un parcours académique aussi modeste que celui d’Ahmadou Ahidjo. Un célèbre doctrinaire dit du SGPR qu’il est le président de « la République en pointillés ». C’est lui qui initie, motive, documente, encadre les projets de loi envoyés au parlement. Et qui en reviennent pour promulgation...

Tous les Camerounais, y compris les constitutionnalistes, l’ont oublié : dès janvier 1968, et cela jusqu’en juin 1975 lorsqu’il est nommé premier ministre, le président Paul Biya est le tout-puissant secrétaire général de la présidence d’Ahmadou Ahidjo. C’est le factotum du monolithisme et l’interlocuteur ‘technique’ de la France. C’est lui qui a tout manigancé. Dès 1966, Ahidjo et la France avaient supprimé le multipartisme. Tous les partis politiques anglophones sont tombés sous le générique de l’Union nationale camerounaise (UNC), parti unique, afin d’éviter toute véritable opposition parlementaire.

J’avais eu un jour une longue conversation à Yaoundé avec Joseph-Charles Doumba, à ces sujets; il m’avait expliqué le rôle moteur qu’ils avaient joué à cette époque aux côtés d’Ahidjo, lui, Paul Biya et François Sengat Kuo.

Dès 1968, Paul Biya cumule à lui seul le secrétariat général de la présidence et la direction du cabinet civil. En 1972, c’est le grand Manitou. Lorsqu’on parle d’État unitaire à l’époque, il est donc celui qui explique à Ahmadou Ahidjo, simple postier, de quoi il s’agit. Lui a une licence en droit public de la Sorbonne et un diplôme d’études supérieures en droit public. Il a été à l’Institut des études des études politiques du Paris et, en l’occurrence, au fameux Institut des hautes études d’outre-mer où la France ‘formatait’ ses administrateurs coloniaux à la peau noire.

C’est donc Paul Biya qui a fabriqué de toutes pièces l’État unitaire. Non pas par méchanceté ou par traîtrise comme beaucoup seraient amenés à le penser, mais simplement en tant que technicien ‘français’, dans le cadre d’un démembrement bureaucratique de la France. Il n’y avait aucun patriotisme là-dedans, bien évidemment. Sauf si par extraordinaire vous en deviniez un…

C’est très grave ce que vous dites. Existe-t-il un indice, un fait historique, une preuve supplémentaire, montrant que M. Paul Biya était effectivement l’auteur de l’État unitaire de mai 1972, l’homme qui tirait les ficelles?

En effet. Je vous révèle ici que Paul Biya a tenu à achever tout seul, sans Ahidjo, son déménagement de la réunification de 1961 en 1972. Il initie unilatéralement une révision de la constitution par décret présidentiel en 1984. C’est un précédent étrange en matière de hiérarchie des normes juridiques! Là, il n’y a plus Ahidjo. Il s’est brouillé avec Ahidjo et ses apparatchiks. Il n’a donc aucune pression. Il n’y a ni urgence, ni péril en la demeure. Mais l’un des tout premiers actes de sa présidence est, très paradoxalement, de supprimer le vocable ‘Unie’ dans l’appellation ‘République Unie du Cameroun’. On devient une ‘République du Cameroun’. Il efface ainsi l’histoire de février/octobre 1961. Imaginez donc pourquoi. Du coup, la vraie réunification de février/octobre 1961 n’existe plus. En 1960, la ‘République du Cameroun’ ne fut que l’une des deux parties signataires – avec le Southern Cameroons - de l’accord de Yaoundé jetant les bases de l’État fédéral du… Kamerun – remarquez bien l’orthographe!

Paul Biya a travaillé, jusqu’à preuve du contraire, dans le cadre de l’agenda pétro-stratégique de la France dont il a hérité de son prédécesseur plusieurs comptes numérotés aux Îles Caïmans ainsi que l’avait révélé l’écrivain Mongo Beti dans la revue ‘Peuples Noirs, Peuples Africains’...

Les Anglophones se revendiquent désormais publiquement citoyens du Southern Cameroons ou de l’Ambazonie. Ils ne seraient donc plus simplement Camerounais comme leurs compatriotes. Ne vous sentez-vous pas mal à l’aise lorsque les revendications prennent cette tournure?

J’étais mal à l’aise il y a dix ou vingt ans, lorsque je n’en savais rien. Mais dans la vie, on lit, on apprend. Et on change d’avis. J’ai dit plus haut qu’un État fédéral du Kamerun s’est créé en 1961. L’État fédéral a la particularité d’associer des entités fédérées dont chacune promeut une sorte de nationalisme local. Cette originalité contribue à la vraie diversité. Pas celle, centraliste, dont parle M. Biya, où vous devez attendre longtemps pour que Yaoundé décide de vous attribuer un simple titre foncier derrière la case de votre grand-père au village natal.

L’Ambazonie est une réalité différente promue par les gens du SCNC. Le Southern Cameroons, lui, est l’ancienne province britannique qui avait choisi de se joindre à l’ancienne colonie de la France. Il entend le rester, et c’est tout à fait légitime. Soit on accepte le Southern Cameroons tel quel, soit on redevient le Kamerun de l’origine, le seul qui regroupe tous les compatriotes. On ne peut pas avoir son nom et celui du voisin en même temps. Le Cameroun dans son acception française actuelle est, juridiquement, réservé aux Francophones. On ne l’imposera à personne.

Ne vous sentez-vous pas outré que l’on continue, vous avec, de défendre ainsi un héritage colonialiste européen en pleine actualité panafricaine? Au fait, qui est Anglophone dans ce pays? Les écoles anglophones sont désormais pleines d’enfants de Francophones?

Parlons d’abord d’héritage colonialiste. La réunification dont nous parlons se fonde sur des frontières coloniales. C’est clair. Mais les Anglophones ne se bornent pas à défendre un héritage européen. Ils veulent conserver ce qu’ils ont de mieux que les indigènes de la France : le respect (habeas corpus), la tradition, l’État de droit... On doit à leur authenticité le très emblématique ‘Toghu’, la tenue d’apparat qu’arborent les Camerounais sur la scène internationale. Les Francophones se préfèrent en costumes-cravate. On s’entend là-dessus. C’est à un point où les Bamiléké qui sont des Grafi comme les cousins Widikum du Nord-Ouest s’approvisionnent comme tout le monde chez les Anglophones.

On y perpétue la tradition culinaire Grafi là où les Francophones privilégient de plus en plus des aliments importés pour faire dandy. Les ‘Bamenda’ ont démocratisé en zones urbaines autant de variétés gastronomiques peu coûteuses que le Fufu-corn Njama Njama, le Fufu Eru, le Achu… Ils ont apporté le Kumba bread fait à base de patate douce...

Leurs enseignements de base procèdent d’une production locale - versus celle des Francophones importée de France. On devrait s’en inspirer. Qui sont donc les Anglophones? Ceux dont nous parlons ici sont les citoyens du Southern Cameroons ou West Cameroon. Il y a, certes, de plus en plus de Francophones qui sont devenus anglophones à l’école. C’est une excellente chose. Mais ça n’a rien à voir.

La majorité des Francophones et des analystes pensent que si on revient au fédéralisme au Cameroun, ce serait la porte ouverte aux sécessionnismes. Ne le pensez-vous pas vous aussi?

Je trouve extrêmement malhonnête que des gens qui n’ont pas fait la réunification en février 1961, qui n’ont jamais été appelés aux urnes par l’ONU, qui ne savent même pas ce qui s’était passé, que ceux-là accusent ceux qui ont fait montre de patriotisme en 1961 de vouloir faire sécession au point de justifier toute la brutalité mise en œuvre soi-disant pour les en empêcher. Si aujourd’hui ils veulent l’indépendance, on devrait plutôt faire une introspection, un bilan de notre méchanceté à l’égard de ceux dont on dit souvent qu’ils sont nos ‘Bamendas’… On doit se remettre en question …

Il n’en demeure pas moins que de plus en plus de leaders fédéralistes anglophones pensent que l’indépendance serait la meilleure chose, aux dernières nouvelles… Ça remet aussi en question leur foi en l’unité nationale…

Qu’est-ce que vous croyez? À votre avis, à quoi sert un État fédéral soumis au diktat de la France? Il ne sert à rien. Notre monnaie, nerf de tout pays, est française. Des pays comme le Ghana, l’Éthiopie, la Tanzanie, voire le tout petit Malawi, battent monnaie sans aucun problème. Le Cameroun est rempli de diplômes français qui font plus de bruits et de vantardise que d’efficacité patriotique. Les Anglophones répètent à qui veut l’entendre qu’ils respecteront enfin leurs compatriotes le jour où ces derniers se réveilleront enfin contre le colonialisme français. Or, tant et aussi longtemps qu’il s’agit de leur pays, les intellectuels francophones n’ont qu’un seul projet de société, un seul slogan: ‘Paul Biya doit partir!’ C’est le comble de la stupidité! Mais ils semblent tous d’accord avec M. Biya pour rester esclaves du colonialisme français aux dépens de leurs ‘Bamendas’. Thomas Sankara disait qu’il n’y a aucune pitié à avoir pour l’esclave qui ne veut pas se libérer. Personne ne va aider l’esclave qui veut demeurer esclave à se libérer contre son gré… Je partage entièrement cette forme ‘d’antipatriotisme’.

À vous écouter, il n’y a aucun espoir à l’horizon, aucune solution à attendre de M. Biya. Du coup, l’impression que ça dégage c’est que l’affaire des Anglophones va être un autre bide, une autre tempête dans un verre d’eau…

Je ne pense pas. Le Cameroun ne va pas s’arrêter avec Paul Biya. J’aimerai vous dire que la colère des Anglophones est très grande. Et elle ne date pas d’aujourd’hui. Elle va féconder. Nous qui vivons à l’étranger savons que les Anglophones fréquentent très peu, ou pas, leur compatriotes francophones. Parfois on a une nette impression de haine viscérale. La Nation kamerunaise prônée par les Nationalistes devient un mirage. La réunification au Cameroun n’a aucun avenir si ce problème n’est pas réglé.

Auteur: Jean-Marc Soboth